Savoir douter à bon escient
Yelch, le doute...

Savoir douter à bon escient

« Le doute n’est pas une condition agréable, mais la certitude est absurde » Voltaire

Et si professionnellement, nos doutes étaient finalement nos meilleurs atouts, un bien précieux dont nous aurions intérêt à prendre soin… ? C’est l’une des positions paradoxales défendues par les récentes recherches menées par Jana-Maria Hohnsbehn et Iris Schneider à l’Université de Dresde. Elle démontre notamment que : « Le doute a un impact positif sur la fiabilité des décisions à long terme, sur les capacités d’apprentissage et sur nos capacités d’adaptation à un environnement mouvant ». Selon elles, le doute serait une compétence à cultiver. Compétence rare et précieuse… mais compétence à stimuler et à canaliser.

Encore faut-il apprendre à bien douter, ni trop, ni trop peu, au bon moment, sans s’enliser et surtout sans enliser les autres dans des tergiversations qui les stérilisent ou les désengagent : comment rendre le doute qualitatif? préserver des moments de doute? Et ainsi mieux décider, mieux agir et faire preuve de détermination à bon escient.

Et en matière de « discipline de doute », les philosophes ont beaucoup à nous apprendre.

 « L’ignorant affirme, le savant doute, le sage réfléchit » Aristote

3 philosophes pour mieux douter…

« Nous sommes des nains, montés sur des épaules de géants » Bernard de Chartres

Pyrrhon

Pyrrhon d’abord, au 4ème siècle avant notre ère, théorise le doute sceptique et nous invite à suspendre notre jugement et à renoncer à l’idéologie. Son approche est ainsi résumée par Sextus Empiricus : « Le scepticisme est une compétence ET une méthode qui consiste à examiner, à comparer et à opposer toutes choses de toutes les manières possibles. Il permet finalement de leur accorder à toutes un même poids, et d’atteindre ainsi l’époché, c’est-à-dire la suspension de l’assentiment, qui est le chemin vers la tranquillité de l’âme ». Le doute nous protège des certitudes faciles, de nos jugements catégoriques et de nos a priori. Il nous préserve surtout des idéologies à la mode en nous invitant à la circonspection et à l'ouverture. Ses deux questions clés : "En êtes-vous sûr… ?" et "Et pourquoi pas...?"

Socrate

Socrate ensuite, nous rappelle combien nos certitudes faciles sont fragiles et éphémères : « je ne sais qu’une seule chose, c’est que je ne sais rien ». La reconnaissance de notre ignorance est le début de la sagesse dans la mesure où elle nous ouvre à nous-mêmes, aux autres et au monde. Là où les certitudes faciles nous enferment, nous dessèchent et nous sclérosent. Socrate questionne inlassablement le sens de l'action. Il fait du doute un formidable remède à l’arrogance et un chemin d’écoute et de questionnement intérieur. Nos certitudes sont des symptômes : elles méritent d'être requestionnées pour trouver "ce dont elles sont le signe", puis pour trouver une voie plus juste. Sa question clé : « Pourquoi ? »


Descartes

Descartes enfin, qui nous partage une véritable méthode pour questionner nos perceptions, s’assurer toujours de la solidité de nos connaissances, requestionner sans relâche nos certitudes. Bref, Descartes nous apprend à bien douter. Son œuvre fourmille de conseils très adaptés à notre époque : par exemple pour ralentir le temps et éviter la « précipitation dans l'analyse et dans la décision ». Mais aussi pour distinguer les faits des interprétations, circonscrire les moments de doute dans le temps, mais également pour sortir du doute le moment venu. "Car dans le domaine pratique, il faut bien agir, avant d'avoir levé les doutes". Ses questions clés : "Qu'est-ce qui vous fait dire cela?" et "Et si… ?"

 « Le doute est au commencement de la sagesse » Aristote

4 pistes pour mettre à profit l’enseignement de ces philosophes :

1.    Pour mieux décider : quelle place laissons-nous au doute et au dialogue contradictoire dans nos prises de décision ? Comment instaurer des routines de doute ? On doute bien lorsqu'on crée des espaces de doute et de questionnement au bon moment. Cela passe d’abord par le fait de légitimer le doute, de valoriser cette posture… et de s’appuyer sur les collaborateurs les mieux capables de douter (on les connaît 😉) : les inviter à exprimer leur questionnement et à s’exprimer (au lieu de leur jeter un regard agacé 😉).

 2.    Pour mieux manager : réapprendre à questionner et développer notre curiosité et nos capacités d’étonnements. Et là encore, cela nécessite de leur donner confiance en valorisant le doute et sa valeur ajoutée pour le collectif. Douter ensemble est un bon moyen d’apprendre, de se poser les bonnes questions et de trouver des solutions plus robustes ensemble.

 3.    Pour mieux manager les risques : se garder des optimistes naïfs et inconséquents, encourager les expressions dissidentes, laisser parles les oiseaux de mauvais augure et tirer parti de leurs interventions, faire preuve de pessimisme dans la réflexion, et se donner ainsi les moyens de mener l’action avec détermination. Les entrepreneurs les plus fiables et les plus performants dans le management du risque ont souvent un petit côté suspicieux... Manfred Kets de Vries va jusqu'à faire d'une légère paranoïa un atout entrepreneurial.

 4.    Pour mieux innover : la discipline du doute remet tout à plat. C’est un formidable aiguillon pour penser hors cadre, inventer, voire disrupter. Les moments de doute sont les plus fertiles : ce sont des moments de maturation inconfortables mais propices à l'émergence.

L'âne de Buridan

Seul danger : l’enlisement dans le temps et dans l’inaction. L'âne de Buridan meurt de faim et de soif, incapable de se positionner et de commencer à boire ou à manager.

Comme l’écrit Descartes, nous sommes comme des cavaliers perdus dans une forêt profonde. Lorsqu’il s’agit d’entreprendre, nous avons intérêt à nous fixer des caps et à les suivre, comme s’ils nous menaient sur notre chemin : nous pouvons ainsi espérer atteindre la lisière de la forêt et nous retrouver. Sans cela, nous risquons d’errer dans cette forêt, de tourner en rond et de nous perdre. Le « meilleur doute » doute aussi parfois de l’opportunité de douter…

Louis Bruhl

Dirigeant chez RéSolutions - Votre futur voulu, résolument

10 mois

"Nos certitudes sont des symptômes : elles méritent d'être requestionnées pour trouver "ce dont elles sont le signe", puis pour trouver une voie plus juste. Sa question clé : « Pourquoi ? » Voilà qui, a n'en pas douter ;-)) est une sage et efficace ligne de conduite. Bien cordialement, Louis.

Alain Bloch

Emeritus Prof. HEC Paris in Entrepreneurship, Co-Found. X-HEC Entrepreneur joint MSc, Hon. Chair Prof. CNAM in Marketing, Speaker & Author, Syntec Accred. Coach, Family Business Advisor, Serial Entrepreneur & Investor

1 ans
Pascale PROUST

Chargée de recouvrement chez R&O, Seafood Gastronomy

1 ans

Le doute est le sel de l'esprit. C'est pas moi qui le dit, c'est Alain (philosophe)! Le doute permet de se renouveler, d'élargir son champ de connaissance et de compétence...alors doutons !!!

Christophe Soisson

Créateur de Valeurs Ajoutées et responsable de Master au Conservatoire National des Arts et Métiers

1 ans

Encore un article précieux ! Doute et action font en réalité très bon ménage. Être en posture d'ouverture aux possibles est ce qui permet de voir et (bien) vivre la force créatrice de la décision, et de l'action, et de ressentir le moment utile pour agir. Nous connaissons tous, a-contrario, des postures que ne nourrissent apparemment pas le doute : la décision verticale, organisatrice mais qui, si elle ne s'inspire pas du terrain, peut parfois le museler pour ainsi dire par principe ; la décision normative, visant l'efficience mais qui, face à des situations nouvelles, peut produire toujours plus de la même erreur ; etc. On connait aussi le doute à mauvais escient : inquiet de tout, il paralyse la décision ; brownien, il engendre des changements de pieds incessants. Le bon manager, à mon avis, place dans son organisation la pratique du doute entre ces deux écueils. J'ajoute qu'il entretient une culture de l'ouverture, certes, mais aussi de la confiance : en soi, en l'équipe, en l'avenir... Être conscient de sa force d'évolution évitera de se rassurer à bon compte avec de fausses certitudes, et permettra de cultiver sa dynamique. Doute et confiance me semblent bien être deux conditions liées pour des décisions créatives :)

Sebastien Martin

Stratégie + Leadership = pas de blabla, juste des résultats et le sourire.

1 ans

Alors oui, je crois sincèrement que mes doutes sont un atout précieux. Les doutes me poussent à explorer de nouvelles perspectives, à rechercher des solutions créatives et à sortir de ma zone de confort. Encore que, maintenant que je le dis, j'ai comme un doute ... 😉

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