Sciences sociales et entreprise, entre méfiance et dialogue, regards croisés
La recherche en sciences sociales - sociologie, histoire, ou anthropologie - est une source de compétences pour l'entreprise, bien que cette dernière les mésestime, et que chercheurs et monde de l’entreprise semblent vouloir se méfier les uns des autres.
Parce qu’elle est connectée aux objectifs de développement durable, et intègre les récentes théories de la soutenabilité ou durabilité, la RSE convoque les sciences sociales, au-delà d’une approche purement instrumentale.
Les sciences sociales sont en mesure de penser les organisations, et les logiques économiques, dans les relations d'interdépendance qu’elles entretiennent avec les systèmes sociaux et la société dans son ensemble.
Dans une économie mondialisée où la concurrence s’exacerbe, l'entreprise change et se restructure souvent, l’incertitude règne en permanence, la question de l’apport des sciences sociales à la prospérité et la pérennité de l'entreprise se pose plus que jamais.
Complexité exigeante
Elle se pose avant toute chose en termes de dialogue, de communication apaisée, de coopération, et, pour dire, de synergie, soit la mise en commun de leurs compétences, moyens, et ressources, que beaucoup appellent de leurs vœux.
"Le constat est aujourd’hui partagé par les spécialistes: les sciences sociales (la sociologie en particulier) n’ont plus guère droit de cité parmi les «outils» utilisés par les entreprises pour résoudre les problèmes humains et organisationnels auxquels elles font face. D’autres approches pourtant souvent naïves et/ou artificielles les ont chassées de territoires qui leur étaient auparavant acquis ", déclarait François Dupuy en 2018 sur Liaisons Sociales.
Selon le sociologue des organisations, les disciplines des sciences sociales seraient menacées de deux cotés.
Elles mettent les entreprises et leurs dirigeants face à une complexité exigeante, impliquant de leur part un réel effort pour la maitriser, les obligeant à raisonner autrement et à sortir des schémas simplistes, des recettes et de la vacuité des modes managériales.
"Il est plus aisé de s’en tenir à des injonctions contradictoires (coopérez/soyez autonomes par exemple), à des «valeurs» lancées sans connaissance des univers dans lesquelles elles vont venir «s’écraser », tout en démonétisant la parole de ceux qui les ont émises."
Réalités du travail
Dans Lost in Management il fustige les errements d’un management encombré de processus, de consultations longues, voire stériles, qui ne tient pas compte des réalités du travail.
Malgré la volonté affichée des organisations de placer l’Homme au centre des préoccupations managériales, la réalité des pratiques reste très en retrait et fait figure de simple effet d’annonce.
Il décrit par ailleurs la "paresse des manager"», qui se couvrent d’une inflation de procédures et d’indicateurs au lieu de s’intéresser concrètement à la manière dont leurs collaborateurs travaillent pour satisfaire les besoins des clients.
Alors, qu’en est-il aujourd’hui de la difficulté, sinon parfois l’impossibilité de communiquer entre les chercheurs des sciences sociales et l’entreprise? Y aurait-il plus d’espoir dans la relation que l’entreprise pourrait entretenir avec la philosophie?
"Contrairement à ce que l’on pourrait penser, il n’y a pas une éthique des entreprises, mais une pluralité d’éthiques – parfois totalement opposées – qu’adoptent respectivement les acteurs économiques. Il est donc absurde de parler de RSE au singulier, même si certaines causes semblent faire l’unanimité auprès de toutes les entreprises (...) Ce que l’on constate, c’est que l’éthicisation de l’économie, qui a récemment connu une consécration juridique au travers des notions de raison d’être et de société à mission introduites par la loi PACTE, invite/impose de plus en plus les/aux entreprises – quels que soient leurs domaines d’activités – de se positionner sur ce type de sujets, et de manifester un engagement dans la Cité et pour le Bien commun."
La société de demain
L’apport évident des sciences sociales à l'entreprise est leur expertise scientifique de haut niveau, la transmission de connaissances, d'analyses, et de cadres de réflexion sur des sujets les plus divers.
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Les transitions économique, écologique, énergétique auxquelles les entreprises sont confrontées, ne font pas appel à la méthodologie de la conduite de changement à laquelle elle sont accoutumées, mais à une approche transformationnelle visant à conduire la mutation de leur modes de pensée et de comportement, la réévaluation de leur chaîne de valeur, toutes choses qui nécessitent l'appropriation de concepts, techniques et outils nouveaux, disruptifs, et une attitude nouvelle.
Puisque les entreprises n’ont de cesse d’affirmer que le capital humain est leur valeur la plus précieuse, elles devraient convoquer les sciences sociales pour être partie prenante de la création d'une organisation soutenable ou durable, et de la société de demain.
Les sciences sociales n’ont-elles pas, pour champ de recherche, les relations entre l’être humain et la société, et pour but de décrire, d'analyser et d'expliquer les phénomènes traversant la société et ses différents groupes?
"La compréhension des êtres humains et de leur comportement passe par l’adoption d’une herméneutique, c’est-à-dire d’une épistémologie compréhensive capable de rendre compte du sens que les êtres humains donnent à leur vie dans les organisations".
Durabilité
Les apports des sciences sociales – voire de la littérature et de la philosophie - sont pour les entreprises des leviers d'action majeurs, afin d'être en capacité d’entreprendre leur migration vers une culture organisationnelle centrée sur la primauté du développement humain.
La mutation de leur business modèle vers la soutenabilité ou durabilité est le défi du siècle des entreprises. Auront-elles la capacité, la volonté politique, le courage, et la détermination, de le relever?
Il n’est pas aisé d’intéresser les entreprises aux sciences sociales, n’ont plus que les chercheurs des sciences sociales à l'entreprise.
Bien qu’il existe une longue histoire d’échanges croisés, susceptible de faire évoluer leurs relations, pour leurs bénéfices respectifs.
A l'heure de l'anthropocène, le “business as usual” est de plus en plus contesté.
Les enjeux de l'entreprise de demain ne sont pas technologiques et économiques, mais humains, répètent à l'envi les acteurs des sciences sociales.
Le temps est venu de mettre l’humain au centre des activités et métiers de l'entreprise, non plus seulement en paroles mais en actes.
Maillage
Au-delà de leurs divergences, l'heureux maillage entre l'entreprise et les sciences sociales que beaucoup appellent de leurs vœux, tarde à se réaliser.
On ne saurait oublier que les sciences sociales n'ont véritablement commencé à s'intéresser à l'entreprise que depuis les années 1980, ce qui entretient l'espoir qu'elles pourraient réussir, un jour, à mobiliser et unir leurs forces.
"A qui appartient l'entreprise?" était le sujet d'échanges du Colloque qui s'était tenu en 2013 au Centre Culturel International de Cerisy-La-Salle.
La question des parties prenantes fut centrale, et au cœur des débats relatifs à la crise de légitimité de l'entreprise. Elle est semble-t-il, aujourd'hui, plus que jamais d'actualité.
Responsable transport - logistique
1 ansMerci pour le partage du savoir 🙏