Selon que vous serez puissant ou misérable...
« Après plusieurs années de baisse de la ressource publique, la poursuite de la politique du rabot, si elle n’a pas été dépourvue d’efficacité, n’apparaît plus satisfaisante ». « Elle ne s’est en effet pas accompagnée d’une réflexion sur les missions attendues ». La réduction des ressources publiques serait ainsi globalement de l’ordre 40% sur trois ans (!) après avoir déjà connu une décroissance de l’ordre de 30 % (sur une même période). Une partie de ces économies devrait découler « de la suppression de missions et de mesures de restructuration ».
Non, on ne rêve pas ! C’était dans tous les journaux : le gouvernement a enfin pris le taureau par les cornes et s’attaque au déficits publics de l’Etat et des collectivités territoriales. Et quel volontarisme, quel courage, quels objectifs ambitieux en termes de volume et de calendrier ! Avec de telles mesures, le déficit budgétaire ne sera bientôt plus qu’un mauvais souvenir et le poids de l’emploi public (moins 10 %, cela fait 500 000 emplois en moins sur trois ans !) va se retrouver à un niveau record d’allègement !
Ah, bon ? Je me suis trompé ? Laissez-moi vérifier… ah zut, il ne s’agit que de citations du rapport de députés LREM sur les Chambres de commerce et d’industrie, dont les dotations fiscales vont encore baisser (il n’en restera plus que 300 à 400 millions alors qu’elles étaient à plus de 1,2 Mds il y a peu) et les emplois disparaître encore plus (encore 2500 emplois à supprimer après près de 3000 départs déjà enregistrés dans le réseau).
Ah mais si ! au même moment on annonce aussi que l’audiovisuel public est mis à la diète : 400 millions d’euro, soit un peu moins de 10% des ressources publiques affectées à ce poste.
Cessons d’ironiser ! Bien entendu, il ne s’agit pas de mettre en cause le désir du gouvernement de s’attaquer (enfin) à la dépense publique. On pourrait tout juste souligner que la méthode paraît curieuse : comme je l’avais écrit ici-même il y a quelque temps concernant l’audiovisuel, il faudrait d’abord redéfinir le rôle et les objectifs avant de voir quels moyens lui affecter, plutôt que donner (encore !) des « coups de rabot » et demander d’adapter les missions aux moyens.
Mais c’est surtout la logique gestionnaire qui nous échappe ! Les vraies économies doivent être recherchées sur les postes les plus importants ; à cet égard, faire baisser les dotations des CCI (montant global d’environ 750 millions), réduire le budget de l’audiovisuel (budget d’un peu moins de 5 Mds), n’est-ce pas racler les fonds de tiroir et s’acheter bonne conscience à peu de frais… ou plutôt aux frais des « petits » qui ne peuvent guère se défendre ?
Au même moment (pour ne pas dire toujours « en même temps »), les collectivités locales (140 Mds de prélèvements) crient à l’étranglement parce qu’on veut limiter la progression de leurs frais de fonctionnement à 1,2 % ! Au même moment, l’Etat (près de 300 Mds de prélèvements) nous promet, par des réformes non définies et non chiffrées de réduire son train de vie vers la fin du quinquennat… en limitant la progression de ses dépenses à 0,7 %... seulement ! Au même moment, on gaspille les milliards (18 ? 25 ?) dans la suppression de la taxe d’habitation, réforme ruineuse, perverse (car une fois de plus on rompt le lien entre le service collectif qu’on reçoit et la contribution fiscale qui la finance) et inéquitable (car seuls paieront dorénavant ceux qui utilisent le moins les services locaux : les résidents secondaires et les propriétaires non occupants). Au même moment on amuse la galerie avec les économies liées à la suppression de quelques parlementaires, alors que depuis des années et des années, tous les rapports prônent la suppression des départements (mais pas des services de proximité, comme l’a justement souligné M. Macron).
Revenons aux CCI… et à l’ironie ! L’annonce du nouveau tour de vis incluait « une réforme de l’organisation et de la gouvernance [...qui] devrait permettre de piloter les objectifs et surveiller l’affectation des moyens » à travers la mise en place chez CCI France d’un organe à triple représentation : à côté des élus consulaire, des représentants des élus et du Gouvernement. Ce sont donc les institutions les plus dispendieuses qui vont être désignées comme parangons et surveillants de la vertu budgétaire ! Il y a de quoi frémir, si on pense ne serait-ce qu’à la gabegie de quelques programmes informatiques : SIRHEN (Education nationale), abandonné après plus de 300 millions de dépenses, LOUVOIS (solde des militaires) abandonné après avoir coûté plus de 200 millions par an pour régler les paies avec retard ou en distribuant royalement des trop perçus, sans oublier le scandale de la dématérialisation des cartes grises… et je ne cite là que les nouvelles les plus récentes !
Décidément, le courage et le parler vrai qui avaient tant contribué à l’élection de M. Macron semblent achopper dès qu’il s’agit de la dépense publique. Nous devons tous faire des efforts pour en revenir à une certaine vertu budgétaire ; mais les efforts ne semblent guère partagés et La Fontaine avait donc raison : « selon que vous serez puissant ou misérable… ». On a beaucoup discuté sur le fait de savoir si M. Macron était le Président des « riches « ou des « très riches » ; pour ce qui est des efforts budgétaires à accomplir, la question ne se pose décidément pas.