On sent toujours un engouement autour du matériau bois, et en particulier en France où il est plébiscité
À la tête du Groupe ISB depuis 2019, Benjamin Bodet nous fait part de sa vision de l’avenir dans un contexte économique et géopolitique incertain. Entre investissements, évolution du RBUE, entrée en vigueur de la RE2020 ou comportements des marchés, il revient sur les grands enjeux du Groupe et de la filière forêt-bois pour les mois et les années à venir. Interview.
Pouvez-vous nous présenter brièvement le groupe ISB, son histoire et ses évolutions ?
Le Groupe a été créé en 1962 par #FrançoisPinault, d’abord sous le nom des Établissements Pinault avant d’être rebaptisé Pinault Bois & Matériaux (PBM) en 1982. En 2003, Wolseley Group rachète les actions de Pinault et intègre les différentes activités du Groupe en lien avec le négoce, l’importation et la transformation du bois. En 2015, Wolseley vend au management de l’entreprise une partie des activités du Groupe. C’est la naissance d’ISB, alors dirigé par #PierreGautron. Depuis son départ en 2019, je dirige l’entreprise, sous la présidence de Marc Meunier , qui compte aujourd’hui environ 400 salariés répartis en deux grands métiers : le savoirfaire Sinbpla pour l’importation et l’expertise de la marque Silverwood pour le rabotage du bois. Nous disposons de cinq sites de production dans l’Hexagone (Honfleur, Moult, Saint-Malo, Nantes et Rochefort), de quatre ports et d’autant de plateformes logistiques adossées à nos installations portuaires.
Qu’en est-il de vos activités sur le marché français et à l’export ?
Groupe ISB est très connecté aux différents marchés mondiaux à l’achat grâce à une présence dans une quarantaine de pays via quatre grandes familles de produits : les résineux sous forme de sciages ; les panneaux, surtout massifs et contreplaqués ; les bois de structure (LVL, poutres en I, lamellécollé…) ; et les bois rabotés, qui sont fabriqués en France. Groupe ISB sert trois grandes typologies de clients en France : des négociants, des industriels et des surfaces de bricolage. Et à l’export, nous sommes en fort développement sur la péninsule ibérique. "Nous nous concentrons également sur le développement de nos sites d’Honfleur et de Rochefort afin d’avoir des pôles intégrés comprenant le port, la production et la plateforme, pour améliorer notre efficience logistique et notre bilan carbone ."
Sur quoi porteront vos futurs investissements ?
Nous avons réalisé des investissements importants au sein du Groupe au cours des deux dernières années, grâce notamment au plan de relance Territoires d’industrie. Il nous a permis notamment de nous doter de nouvelles infrastructures pour augmenter notre capacité de production tout en optimisant nos consommations d’énergie et en valorisant davantage nos produits connexes. Nous nous concentrons également sur le développement de nos sites d’Honfleur et de Rochefort afin d’avoir des pôles intégrés comprenant le port, la production et la plateforme, pour améliorer notre efficience logistique et notre bilan carbone. En 2022, nous avons aussi équipé l’usine d’Honfleur d’une machine à commande numérique pour l’usinage de panneaux structurels en LVL de marque Kerto® [Le groupe Metsä Wood et le groupe ISB ont signé un accord de commercialisation des produits de la marque Kerto® sur le marché français et dans la péninsule ibérique NDLR]. Cette machine permet de réaliser tous types de débits dans les panneaux LVL et le CLT. Elle offre aux entreprises de construction et aux maîtres d’ouvrage un service supplémentaire pour des projets spécifiques, ou pour l’usinage de petits volumes.
Les perspectives marché sont-elles encourageantes au niveau européen ?
Oui les perspectives sont bonnes, le bois est un matériau d’avenir parce qu’il a des qualités indéniables par rapport à d’autres matériaux. Toutefois, la conjoncture actuelle est morose. Nous avons fait face à différentes crises dont celle du Covid qui a d’abord engendré des pénuries puis la hausse des cours de nombreux matériaux, dont le bois, sur les marchés européens et américains. Cette inflation historique fait aujourd’hui place à une déflation tout aussi subite, avec un retour des prix du bois proches de ceux d’avant crise. En dépit d’une compétitivité retrouvée, la demande en bois reste relativement faible. En effet, la construction à l’échelle européenne traverse une période plus difficile, tous les indicateurs sont moins favorables aux porteurs de projets comme les taux d’intérêt, le prix du foncier, le coût global de la construction et la rentabilité des projets. La filière du bois à l’échelle européenne, quant à elle, résiste bien en adaptant ses capacités de production en fonction de la demande.
Et qu’en est-il dans l’Hexagone ?
Certes le marché international est ralenti, mais on sent toujours un engouement autour du matériau bois, et en particulier en France où il est plébiscité. À ce sujet, l’entrée en vigueur de la RE2020 est une bonne chose, même si l’emploi du bois reste encore théorique pour de nombreux professionnels. Il faut donc les rassurer et leur donner les moyens de passer à l’action. Les professionnels de la construction en général, et notamment les majors, cherchent aujourd’hui à mettre plus de bois, mais ils ont besoin de solutions viables sur le plan économique et technique.
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Quel a été l’impact de la guerre en Ukraine sur vos approvisionnements et sur l’évolution du cours des bois du Nord suite à l’embargo instauré début 2022 ?
Jusqu’à présent, il n’y a pas eu globalement d’impact. Pourquoi ? Le volume a été plus ou moins compensé par un équilibre entre la baisse de l’offre et la baisse de la demande. En revanche, pour certains approvisionnements spécifiques comme le mélèze de Sibérie, les panneaux à base de bouleau ou certaines longueurs de bois du Nord, il y a des solutions de substitution mais pas équivalentes. Les approvisionnements russes, ukrainiens et biélorusses pesaient 10 millions de m3 en Europe. La production a baissé dans ces pays et ils ont retrouvé des marchés alternatifs comme la Chine, le Moyen-Orient ou l’Afrique du Nord. De fait, un nouvel équilibre mondial est en train de se créer. On en connaîtra véritablement l’impact sur les cours du bois à terme, une fois que l’activité sur les différents marchés retrouvera son cours normal.
Début 2022, les études Mornas sur les marchés du bardage et de la terrasse prévoyaient des chiffres très optimistes, bien loin de la situation actuelle avec, par exemple, 23 millions de m2 de terrasses posées en 2023, alors que l’année devrait se solder autour de 10 millions de m2. Comment expliquez-vous ce décalage ?
Ce décalage est surtout dû à un mauvais timing. Ces études ont été réalisées pendant la sortie du Covid, lorsque le marché était euphorique. Elles ont donc retranscrit les informations à ce moment très enthousiaste. Pour la terrasse, l’étude est sortie au moment d’un pic de production, d’où les prévisions très optimistes pour les mois suivants. Aucun acteur de la filière n’avait vu venir la guerre en Ukraine. La baisse soudaine de la consommation a été un coup dur pour les producteurs et les distributeurs.
Que pensez-vous de la prochaine entrée en vigueur du RDUE en remplacement de l’actuel RBUE ?
Ce nouveau règlement élargit la question de la protection de la ressource. Ce qui est une bonne chose. Il vient intégrer la première cause de déforestation qui est la conversion de terres forestières en terres agricoles. Il y a toujours eu une compétition historique entre les deux. En France, aujourd’hui, on retrouve ce même dilemme. Il est essentiel alors de trouver un dialogue au niveau français et européen entre préservation et utilisation de la ressource. Nous avons besoin d’utiliser du bois pour décarboner la construction avec une ressource forestière dynamique en croissance, et pas en cycle fermé. Il faut trouver la bonne équation pour apaiser le dialogue.
Toujours en matière de commerce international, vous avez été poursuivi par Greenpeace en 2019 pour une plainte concernant le non-respect de la procédure de DR au Brésil. Souhaitez-vous clarifier les choses à ce sujet ?
Depuis plusieurs années, les ONG font pression pour renforcer la réglementation européenne sur le commerce du bois, ce qui est légitime et sans doute nécessaire. À ce sujet, le RDUE va dans le bon sens. Mais attention à ne pas confondre renforcement de la réglementation et volonté de faire du buzz ! Nous ne sommes pas soupçonnés d’importation illégale de bois, ce chef d’accusation a été abandonné par le tribunal. Nous sommes accusés de non-respect de la procédure de diligence raisonnée. Or, nous nous conformons strictement à la réglementation européenne et nos audits annuels l’ont démontré. On ira donc au bout de ce procès, et l’on se tient à la disposition de la justice.
Pouvez-vous m’en dire plus sur la manière dont vous envisagez l’avenir du groupe ISB ?
Le Groupe ISB a fêté ses 60 ans et sera encore là dans 60 ans ! Nous sommes un groupe solide, un acteur important sur le marché, en tant que fabricant français et importateur de bois de qualité. L’importation est aujourd’hui nécessaire car chaque essence correspond à un type d’usage. Elle a donc sa place aujourd’hui et encore demain ! Entre 2019 et 2023, nous nous sommes attelés à consolider notre modèle économique en interne. Désormais, nous travaillons de front sur différents marchés, avec un accent fort qui sera mis sur la prescription dans les années à venir. Notre objectif est de continuer à booster notre croissance avec des solutions adaptées à l’ensemble des acteurs.
Quels seront selon vous les marchés porteurs et les produits de demain ?
Nous sommes très optimistes sur l’avenir de notre matériau, porté par un plan RSE ambitieux à l’horizon 20262027. Nous innovons sur des solutions frugales pour consommer mieux et moins de matière bois, à l’image des solutions biosourcées ou des produits de structure comme le LVL ou la poutre en i qui permettent d’économiser de la matière à performance équivalente. Nous pensons que la rénovation sera un marché très porteur. Cela nécessitera des solutions adaptées, nous devrons passer d’une logique de produits à une logique de solutions. Nous avons une grande largeur de produits et nous devrons être en capacité d’offrir la solution la plus performante, d‘un point de vue qualitatif, technique et économique.
Souhaitez-vous adresser un dernier mot à nos lecteurs ?
Aujourd’hui, le bois français et le bois d’importation sont complémentaires : ils se complètent par leur disponibilité, leurs caractéristiques, leurs usages naturels. Les opposer n’est pas raisonnable car nous avons besoin d’allier les qualités des deux, pour faire progresser réellement la f ilière et l’offre en France. Il faut, plus que jamais, travailler ensemble pour que le bois gagne à la fin… Pour que demain soit bois et bas carbone.. Propos recueillis par Adèle Cazier