Vie sentimentale, carrière professionnelle et intérêt patrimonial
Il m’est arrivé une fois d’être l’objet d’une étonnante proposition.
J’avais pour bailleur de mon logement l'épouse d'un industriel qui venait de perdre son mari. Elle m’invita un jour à venir chez elle pour mieux faire connaissance. Jusque-là, je lui réglais mon loyer par La Poste. Comme c’était dans une ville de province où je ne connaissais pas grand-monde, je répondis favorablement à cette invitation.
Ma bailleresse habitait une maison individuelle attenante à sa petite usine. Elle m’accueillit à l’étage d’où l’on entrait dans son logement tout en ayant une vue surplombante sur l’atelier de production. Elle me présenta à sa fille, jeune et belle, et au fiancé de cette dernière, vêtu d'un bleu de travail, leur contremaître.
Alors que je regardais ce qui se passait dans l’atelier, j’entendis ma bailleresse chuchoter à sa fille : « Il est pas mal ce garçon, non ? », en me désignant de la tête. La fille me scruta et rétorqua : « Mais ! il ne connaît rien à ce métier… »
Ainsi, ma logeuse m'avait fait venir pour susciter chez sa fille un intérêt pour un autre homme comme fiancé que leur contremaître ! Pourquoi avait-elle fait cela ?
Dans la circonstance, le fiancé me parut en bonne santé. Bien que jeune, il avait perdu pas mal de cheveux et semblait un peu emprunté, déférent vis-à-vis de ces deux femmes. Il s’éclipsa rapidement, un travail l’attendait. Sa fiancée en fit de même. Il m'était difficile de rester dans ce contexte, je pris congé.
Je ne regrettais rien de cette hypothèse de lien qu’avait esquissée cette logeuse, je la pris comme un hommage pratiquement muet à ma personne, sans lendemain. J'aurais été plus mal à l'aise si sa fille s'était mise à me séduire...
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Je me dis que ces jeunes gens filaient peut-être un mauvais coton s’ils se mariaient dans ce contexte. La fille n’avait apparement comme motivation de mariage avec ce garçon que le souci de conserver le patrimoine professionnel de ses parents dans la succession de son père, ce qui ne présageait pas des meilleures relations ultérieures dans le couple qu’elle allait former. C'était peut-être pour cela que sa mère avait tenté ce coup relationnel...
Quant au garçon, je l'imaginais tellement sous le charme d’avoir une si belle promise et de se voir sans doute confier une part dans la direction de cette entreprise (dont il resterait probablement le subordonné), que toute prudence à l’encontre de la motivation intéressée de sa fiancée et de la nature des sentiments de celle-ci à son égard pouvait ne l’effleurer que fugacement. Il n'avait peut-être pas non plus été informé par ces femmes qu'il devrait sans doute passer du régime des 35h de travail par semaine à celui des chefs d'entreprise que les héritières lui feraient porter, sans qu'il devienne pour autant propriétaire de l'entreprise.
Suite à un accident de la vie, on peut ainsi passer du patriarcat au matriarcat, notre droit et nos moeurs le permettent, et ça ne date pas d'hier. Dans une telle situation, il est possible de moduler les intérêts par une négociation, pour parvenir à un contrat de mariage, un contrat de travail, voire des statuts de société adaptés aux désirs de chacun... pour autant qu'on ne soit pas sous l'emprise de ses émotions. Or, l'amour rend aveugle, dit-on. L'intérêt n'en fait-il pas parfois autant ?
© Paul F. VALET, 2024