Si je n’ai, ne serait-ce qu’un peu d’elle…

Première fois que je n’ai pas envie d’y aller. Que j’appréhende. Que je ne suis pas heureuse de retrouver cette maison face à la verte colline de Beaumes-de-Venise, dans le Vaucluse.

Parce qu’elle n’y est plus. Depuis plusieurs jours, deux semaines, peut-être trois déjà, je ne sais plus. Je dois me concentrer pour me rappeler quand.

Je n’ai pas très envie de faire ce pas en arrière, voir toutes ses affaires, comme si rien ne s’était passé. Comme si rien n’avait bougé. Comme si tout était comme j’ai toujours connu. Et tout est là.  Ses lunettes posées sur la table. La couverture de bébé blanc cassé qu’elle était en train de tricoter. Ses pots de fleurs. Son programme télé. Les serviettes dans la salle de bains, parfaitement disposées, de trois tailles différentes. Son lit, comme si elle venait juste de se lever.

Et son fauteuil préféré. C’est là qu’elle a choisi de s’endormir, devant la météo. Tout a incroyablement du sens. Ça s’est passé comme elle le souhaitait, là où elle le souhaitait. Elle a continué de vouloir tout maîtriser jusqu’au bout. Décider. Toute seule. Ne pas utiliser ce déambulateur (c’est pour les vieux). Quitte à créer un parcours de chaises et de meubles pour se déplacer dans sa maison. Si péniblement. Un pas, un geste… demandant une force surhumaine. Elle ne voulait pas qu’on l’aide. Sûrement pas !

Et devant la météo. La météo c’est finalement ce qui aura orienté nos vies. Mon grand-père, fou de Brassens, guitariste et organiste, était météorologue de métier. Il a entrainé ma mère et ma grand-mère dans sa mutation dans le Sud, loin de leur Paris adoré. C’était il y a 47 ans. Le grand amour de ma grand-mère (et de ma mère). Disparu brutalement dans un accident de voiture lorsque je n’avais que quelques mois.

Elle est donc aller le retrouver. Enfin. Elle appelait de ses vœux ce moment depuis quelques temps déjà. La tornade blanche, comme on aimait l’appeler avec ma mère, à 94 ans, en avait assez fait. Rideaux, papiers peints, dessus de lits, nappes brodées, layette, chaussons, pulls, brassières… sans oublier ses gaufres, crêpes, confitures, conserves de tomates, gâteaux au chocolat, au citron, îles flottantes, mousse au chocolat… Tant d’amour. Dans cette petite maison magique au pied de la colline.

La cérémonie a été douce et belle. Cela m’a presque réconciliée avec le « religieux ». Je n’ai pas réussi à écrire pour ce jour-là. Ma mère, elle, a trouvé les mots justes, sincères et aimants. Nous l’avons ensuite accompagnée retrouver mon grand-père au cimetière marin de Sète. La poésie du lieu, le ciel, la mer, le soleil… à l’abris du vent. Tout lui ressemblait.

Elle aimait la vie. Les gens. Elle était généreuse. Bienveillante. Indépendante. Forte. Incroyablement forte.

Elle a pris des risques pendant la guerre pour aider la résistance.

Elle détestait les jours de grand mistral qui cassait ses fleurs, faisait claquer les portes… même si le ciel rouge au-dessus de la colline le soir venu est féérique.

Elle se réjouissait de voir les amandiers et les cerisiers en fleurs, elle ne manquait jamais de nous le faire remarquer.

Elle était blessée que certaines personnes ne donnent plus de nouvelles.

Elle riait. Beaucoup.

Je la trouvais souvent assise dehors, à jardiner ou profiter de la douceur de l’air dès qu’elle le pouvait.

Elle travaillait à son compte en tant que décoratrice. Travailleur indépendant avant l’heure.

Si je n’ai, ce serait-ce qu’un peu d’elle… ce serait déjà merveilleux.