Silence

Silence

‘’Silence speaks when words can’t’’.

En arrêt devant l’inscription taguée sur ce mur, rue de la Roquette à Paris, il restait frappé. Frappé par la forme. L’art anglais de la formule ! Frappé aussi sur le fond. La force et les vertus du silence l’avaient toujours fasciné. Il l’était encore plus ici. En plein midi, en plein cœur de la capitale. Où le bruit était roi. Circulation, musiques, mélange de discussions multilingues, de cris, d’appels…..Par la comparaison qu’il pouvait faire avec le silence qui régnait, au même endroit, à 4 heure le matin, dans cette même rue, totalement endormie. Un silence qui rendait à la ville, sa profondeur, sa beauté, sa puissance.

Il était d’accord. Le silence est d’or.


Jonathan avait pleinement conscience qu’en ces temps d’omni présence des média, sous toutes les formes, visuelle, parlée, écrite, d’invasion des moyens et des supports de communication, smartphones, tablettes, télés, ordinateurs, d’assauts cumulatifs, répétés des réseaux sociaux, de l’avalanche d’offres de spectacles de toutes sortes, films, théâtres, concerts, de l’irruption permanente d’évènements, culturels, sociaux, politiques, le silence devenait une denrée rare. Pour ne pas dire rarissime. Il avait pu lire qu’une étude conduite en 2000 avait fait apparaître que le temps de concentration moyen des individus, était passé de 12 à 8 secondes. Une seconde de moins que les poissons rouges, avait conclu, probablement en clin d’œil, l’auteur de l’étude.

Il devenait de plus en plus persuadé que l’ignorance du silence empêchait maintenant les personnes de se structurer. L’habitude, le gout même, du bruit, annihile le potentiel de réflexion, érode lentement la faculté de réfléchir, limite les occasions de se positionner, de devenir soi. Il se demanda qui de Marivaux, Talleyrand ou Sacha Guitry en avait profité  pour régler son compte avec la gent féminine, en déclamant que ‘’le silence est le plus beau bijou de la femme, mais elle le porte rarement’’. Il se dit que le phénomène d’urbanisation accélérée devait fortement contribuer à priver les citadins du calme de la campagne. Et revécut en mémoire ces impressionnantes ‘’minute de silence’’ qui figeaient parfois un stade de sport tout entier et faisaient comme par miracle surgir la vague d’une réflexion commune dans un océan de clameurs et d’émotion.  


Le silence, en politique, peut devenir une arme.

L’excès de Dopamine, lui avait-on dit, la molécule qui transmet les informations entre les cellules du cerveau, créait une addiction aux échanges, à la suractivité, générant ainsi la perte de concentration, d’attention. La bonne gestion de production de Dopamine devait alors faire partie de l’arsenal physiologique et intellectuel du nouveau président de la République française. Certainement inspiré par l’exemple du contraire qu’avait offert son prédécesseur, il s’évertue à cultiver le silence médiatique. Au grand dam des journalistes. Peu habitués à cette stratégie de la parole rare. Parole réservée aux domaines régaliens. Qui plus est, dans un secteur où le silence est considéré comme suicidaire. Où discourir apparaît comme le b.a.- ba de la reconnaissance. Où le ‘’je n’ai rien à ajouter à ce qui vient d’être dit’’ est immédiatement suivi du ‘’Si ce n’est que….’’ Et suit un déclaratif qui généralement reprend sous une autre forme tout ce qui, justement, vient d’être dit.

Le silence dans une communauté ne consiste plus à une écoute intérieure, mais à une écoute des autres. La cacophonie des débats où l’affrontement des idées et des convictions disparaît sous la guerre de la prise et la conservation de la parole, illustre de façon caricaturale l’absence habituelle  de pratique de l’écoute.


L’incapacité à rechercher, respecter, pratiquer le silence est, fort probablement, le fruit d’une époque. Grands rassemblements humains, accélération du temps, généralisation des modes, multiplication des échanges, convergeaient aux yeux de Jonathan. Contribuant à ce qui lui apparaissait comme un facteur clé de richesse individuelle et de réussite de vie commune.

Répondant une nouvelle fois aux anglais, François Mitterrand, avait usé d’une forme plus littéraire, ‘’la liberté n’est peut-être, en fin de compte, pour chacun, que la simple possession du silence’’.

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