Smart Speakers : une voix pour se faire obéir
Ces dernières semaines, je me suis abondamment amusé avec ce qui s’appelle des Smart Speakers ou Enceintes Intelligentes. Je constate que nous sommes en train de franchir un cap décisif dans la façon d’interagir avec la technologie. Après le clavier, la souris, le doigt, la voix est enfin prête pour devenir le moyen d’interaction dominant.
Nous sommes donc au seuil d’une nouvelle ère technologique. Mais vous vous en doutez, l’enjeu n’est pas que là. C’est la course des écosystèmes qui bat son plein : comme à chaque changement de technologie, une course des grandes puissances du web est engagée pour la prise de contrôle des sources de revenus du web. Google Home, Amzaon Echo, Facebook Portal ou Apple HomePod. C’est la course des GAFA, à celui qui s’installera dans votre maison et sera votre porte d’entrée à tous les autres services de l’internet et à tous les périphériques de la maison et de ce fait, le plus prêt possible des sources de revenu des futurs business de l'internet.
Comme Google Home est celui que je connais le mieux, je vais dérouler quelques étapes qui ont permis d’aboutir à ce périphérique qui trônera bientôt dans vos salons, comme il trône déjà dans le mien !
Google fait l’incruste
Ce que nous voyons aujourd’hui est le résultat d’une action qui a commencé il y a fort longtemps. Les grandes entreprises ont chacune sa vision de ce que sera l’internet à la maison et elles ont chacune déroulé leur vision respective.
Quand Google lançait en 2013 la Chromecast, cette clé HDMI qui transforme une TV non-connectée en média de diffusion internet, je ne comprenais pas l’intérêt que portait le géant du web à un accessoire aussi… banal. Mais ayant été parmi les premiers utilisateurs de ce précieux joujou, j’ai pu observer la méthode Google. Comme à l’accoutumée, Google a fait la différence : en créant un nouveau protocole combinant DLNA et UPnP, il a créé une interface absolument lisse, sans aucun accro, où chaque périphérique branché est détecté et identifié par le réseau. Contrairement à la totalité des produits similaires du marché, la Chromecast pourrait être installée et utilisée par un enfant de 6 ans. Google a également créé une API pour les développeurs d’applications mobiles et une boutique d’applications compatibles qui permettent de tirer pleinement profit de ce modeste investissement. Résultat : je regardais mes films Netflix dans n’importe quelle pièce de la maison, mes enfants transfèrent leurs dessins animés d’une pièce à l’autre au gré de leurs déplacements, on écoute la radio ou la musique sur l’enceinte de son choix,…
Même ayant son propre service de streaming musical Play Music, Google voulait absolument avoir le leader du secteur, Spotify. Il a réussi à le faire adhérer à son programme avec la deuxième génération de Chromecast en 2015. J’ai une très forte admiration pour cette façon qu’a Google de construire un écosystème absolument fluide en créant de puissants partenariats gagnant-gagnant avec d’autres leaders du marché (OK, je sais que tout le monde n’est pas d’accord avec moi, mais je trouve merveilleux d’amarrer la croissance de son entreprise à celle d’un géant comme Google).
En 2012, Google avait l’application Now qui embarquait de l’intelligence artificielle et de la reconnaissance du langage naturel. En 2016, elle évolue et s’appelle désormais Google Assistant. Elle est capable de tenir une conversation bi-directionnelle, de répondre à des questions standards (météo, news, conversion de monnaie, recherche de points d’intérêt dans les environs, se souvenir d’une information, consulter l’agenda, prendre un rendez-vous, chercher des recettes,…) Elle est surtout capable d’extraire des informations du net, par exemple de répondre aux questions comme :
- « quel est le nom de l’entraineur de l’équipe nationale de football algérienne ? »
- « quel est le plus grand pays d’Afrique ? »
- « quels sont les 100 premières décimales de π ? ».
- Et même « raconte-moi une blague » !!
Mais même quand il ne comprend pas ce qu’on lui dit, Assistant a la prétention d’apprendre de ses erreurs et d’améliorer sa compréhension au fil du temps ! Bonjour IA.
Quand Google rachetait en 2014 la société Nest, on comprenait intuitivement qu’il se lançait dans la domotique. Mais on ne voyait pas comment cette nouvelle activité allait s’intégrer avec les autres activités du géant de la recherche.
Fin 2016, Google sort enfin Home. Dans ce nouveau joujou technologique, aussi inutile en apparence que l’était le smartphone avant de devenir absolument indispensable dans nos vies, Google a empaqueté la crème de sa technologie : c’est la première grande application grand publique de l’Intelligence Artificielle.
En plus de ce qu'elle faisait avant, la version d’Assistant embarquée dans Home est capable d’interagir avec tout un tas de périphériques Google ou partenaires : des TV (SmartTV ou bien à travers Chromecast et les applications Netflix, YouTube,..), écouter de la musique à travers les applications comme Spotify, Deezer ou Play Music, écouter la radio en utilisant l’application partenaire TuneIn. Vous direz par exemple « Dis Google, je veux voir La Casa de Papel dans la Chambre » pour continuer à voir votre série favorite ou « OK Google, je veux écouter La Bamba de Los Lobos dans Salon ». De plus, elle est capable de commander les périphériques externes comme le thermostat, la caméra de surveillance ou le détecteur de fumé Nest, mais aussi des marques partenaires comme les ampoules électriques Philips Hue, prises et interrupteurs connectés, système d’arrosage, aspirateur et même un cuiseur sous vide. En clair, Home aspire à devenir le hub d’accès à l’ensemble de vos services dans la maison. Le nouveau portail du web et le tableau de bord de commande de l’ensemble des périphériques de la maison.
Au final, nous entendons parler de domotique depuis extrêmement longtemps, mais elle ne pourra réellement se mettre en place qu’à travers un écosystème incluant une multitude de périphériques communiquant entre eux de façon complètement intégrée.
Une nouvelle ère technologique
Chacun des produits concurrents, Amazon Echo, Facebook Portal et Apple HomePod, a misé sur ses points forts, comme le e-commerce et la facilité d’achat pour Amazon Echo qui semble prendre le leadership du marché, ou alors l’aspect communication et partage pour Facebook. La guerre n’en est qu’à ses débuts.
Ça sent vraiment la fin de l’âge d’or du smartphone et de la tablette. Mais ce que je veux montrer ici, c’est que lors d’un changement de paradigme, ce qui compte le plus c’est d’avoir une vision et la déployer sur de très longues années. C’est rarement l’apanage de startups puisqu’il s’agit de projets à coup de dizaines de milliards de dollars. Rappelons par exemple que le rachat de Nest a couté à lui seul $3.2 milliards. Ce qui compte également, c’est la capacité à trouver des alliés et rassembler des partenaires autours de soi. Pour info, Intel vient d’abandonner son projet de lunettes de réalité augmentée Vaunt après avoir été incapable de trouver des partenaires autour du projet.
Comme souvent, je conclus en revenant aux startups : le rôle des startups ici, comme Nest ou Oculus, est d’anticiper un besoin pour mériter de s’asseoir à la table des grands. C’est ce à quoi devrait penser la majorité des jeunes startupeurs d'aujourd’hui.
(Cet article a été publié initialement dans N'TIC Magazine n° 135)