Société numérique : ouvrons le débat
À toute fin utile, la campagne électorale qui a commencé le 28 août dernier, touche à sa fin. Lundi 3 octobre nous serons appelés à faire un choix sur l’équipe à qui nous remettrons les clés de nos quatre prochaines années en termes de gestion, et probablement sur une plus longue période en termes de grandes orientations et grands projets structurants.
Les mots qui vont suivre sont une simple adaptation personnelle de la lettre ouverte « Société numérique : ouvrons le débat » que Martine Rioux, Yves Williams et moi-même avons co-écrite, et qui a été reprise dans plusieurs médias, appuyée par plusieurs centaines de citoyens et citoyennes du Québec.
Sans surprise aucune, mais avec une profonde déception et une pointe d’énervement, il faut que je sois honnête, durant toute cette campagne, ni les partis politiques, ni les commentateurs et analystes n’ont abordé la question de l’impact de la transformation numérique du Québec. Non seulement, cette question ne semblait pas faire partie des priorités des candidats, à l’exception de deux, et je me dois de les nommer puisqu’ils ont pris la peine de « tweeter » l’importance des enjeux numérique suite à la parution de la lettre ouverte, je parle de Steven Lachance de Québec Solidaire et Marion Asselin de la CAQ, mais elle a même été évacuée des priorités électorales par les médias, à qui je donne une note de zéro pointé, puisque quand il s’agit de parler des impacts que les géants du numérique peuvent avoir sur nos sociétés, ils répondent présents, mais quand il s’agit de poser les vraies questions aux chefs de partis, ils ne sont plus là.
Pourtant, l’impact de cette transformation est omniprésent. Toutes les dimensions de l’activité gouvernementale, sociale et économique sont présentement affectées et le seront au cours des prochaines années, tout comme elles l’ont déjà été au cours des 20 dernières.
Si l’économie, la santé, l’environnement, la culture, l’éducation, sont (à raison) parmi les principaux thèmes de la campagne de tous les partis, ils ont aussi pour dénominateur commun d’être des domaines où l'utilisation des technologies numériques est toujours de plus en plus importante. Même les règles de la vie démocratique sont bousculées par l’essor de nouveaux canaux de communication proposés par des technologies aussi innovantes qu'opaques dans leur fonctionnement.
En 2021, 97 % des Québécois possédaient au moins un appareil numérique et 93 % des foyers étaient branchés à Internet. L’apprentissage en ligne s’est démocratisé, le télétravail s’est généralisé, les produits culturels sont de plus en plus consommés au moyen de plateformes de diffusion, les objets connectés nous suivent à la trace pour surveiller nos moindres déplacements (et au passage, faire le chou gras du capitalisme de surveillance d’entreprises privées, grâce au surplus comportemental que nous leur offrons sur un plateau d’argent), notre état de santé, nos contacts, nos achats (souvent en n’incluant qu’un consentement approximatif), tout ça, en pleine conscience des politiques et des médias, tout ça sans cadre réglementaire parfaitement adapté.
Et pourtant, bien utilisées, les technologies numériques sont des leviers inouïs pour répondre aux enjeux de société de notre temps. Elles permettent d’accéder à des savoirs jusque-là inaccessibles, de contribuer à la productivité de nos entreprises, de pallier le rétrécissement du bassin de main-d'œuvre, d’accroître les découvertes médicales et leur partage, de faciliter les communications entre les administrations publiques et les citoyens; elles pourraient même devenir un atout important dans la lutte aux changements climatiques. Malheureusement, à l’inverse, elles provoquent aussi des effets pervers indéniables : choc des cultures, fuite de renseignements personnels, nouvelles fractures sociales, polarisation des débats, cyberintimidation, cyberattaque, redéfinition des frontières de nos vies privées, etc.
Il est donc inquiétant de constater aujourd’hui la nonchalance des partis à développer une ligne politique cohérente sur le numérique. Les technologies numériques ne sont pas neutres et leur utilisation peut entraîner des divergences de vues au sein même de notre société.
Les gouvernements ne peuvent plus minimiser les questions numériques comme s'il ne s'agissait que d'infrastructures, de méthodes informatiques, de câbles et de programmes d'accompagnement. Le numérique refaçonne le rapport entre les entreprises et la population, entre l’administration publique et les citoyens, et entre chacun d’entre nous. Le numérique a un effet structurant sur notre façon de penser, de vivre, d'échanger, de consommer, d'aimer, et de faire évoluer notre démocratie. La transformation numérique de notre société est liée aux pouvoirs politiques et doit être conduite comme telle.
Recommandé par LinkedIn
Les partis politiques ne peuvent plus se défiler. Les enjeux sociaux sont grands, les impacts possibles immenses.
Jusqu’à maintenant, aucun gouvernement n’a assumé le leadership auquel nous nous attendions. Ni pour soutenir la transformation numérique de la société, encore moins pour chercher à la comprendre. Au fil des ans, les gouvernements sont apparus mal préparés et en mode improvisation lorsque certains enjeux faisaient tout à coup la manchette.
Aujourd’hui, est-ce qu’un seul des partis est en mesure d’avoir une vision pour s’assurer :
Aujourd’hui, est-ce qu’un seul des partis est en mesure d’envisager la création d’un organisme indépendant, transversal à l’appareil gouvernemental et adéquatement financé, chargé de conseiller le gouvernement et le public sur les enjeux du numérique?
Aujourd’hui, est-ce qu’un seul des partis peut défendre les principes d’une souveraineté numérique, tant dans les moyens technologiques, dans la formation que dans la préservation de nos informations privées (au-delà de la loi 25)?
Si j’en ajoute une petite couche, sachez qu’au début de 2023, le 31 mars pour être précis, les quelques plans d’actions mis en place par le gouvernement en matière de numérique arrivent à échéance. On parle du plan d’action numérique en éducation, du plan culturel numérique et de la stratégie de transformation numérique gouvernementale. Il faudra repenser les stratégies, mesures et calendriers d’activités rapidement au lendemain des élections. Rien n’a encore été divulgué quant à leur continuité. Ce sera un exercice complexe et délicat; tout autant que le fut la révision de la loi sur la protection des renseignements personnels. Chacun des plans est intimement relié aux autres et ne saurait plus être traité indépendamment, comme ce fût le cas jusqu’à aujourd’hui. Les questions du numérique sont si transversales et leurs impacts si structurants qu’elles imposent d’avoir une vision d’ensemble forte.
Martine, Yves et moi, avons donc décidé, en vain comme d’habitude, de faire appel aux leaders des partis politiques, afin qu’ils et elle profitent des semaines de campagne pour amorcer la discussion sur la société numérique que nous souhaitons collectivement nous donner. Aucun n’aura eu le courage d’ouvrir le débat. Je pense qu’il est désormais de notre devoir de faire vivre cette lettre ouverte le plus longtemps possible, qu’elle ne tombe pas dans l’oubli et soit tablettée. Rendez-vous à l’adresse https://numerique-ouvronsledebat.ca et donnez votre appui.
Vice-président chez Talsom | Chroniqueur invité (TV, podcast et presse écrite) | Auteur (parution en 2025)
2 ansCC : Martine Rioux et Yves Williams, co-auteurs de cette lettre ouverte. Merci pour cette belle collaboration 🙏