Sommes nous le temps
Je me demande pourquoi tant de gens continuent à s’accrocher à une vie aussi austère, monotone et difficile que celle qu’ils ont l’air de vivre. Je m’inclue dans cette définition de parodie de société autour de moi, tout seul dans ma voiture, retraçant encore une fois et pendant plus de 17 ans le même trajet à travers un Mombasa évoluant a une vitesse pratiquement nulle. Les Matatus, bus populaires bondés, les m’kotinis : chariots antédiluviens charriant leur trop-plein de denrées vers les marchés de la ville, tous sont les mêmes, passant de père en fils, et les pauvres, tant de pauvres, les mendiants, les estropies déclinant leur moignons dont certains mal soignés et d’aucun n’apporte la satisfaction d’une opération réussie, les aveugles pauvres d’entre les pauvres, plus malheureux de tous, placés au coin des rues le matin tôt, comme un parcmètre que leurs meneurs relèvent le soir, on les voit avachis, brulant sous le soleil, afficher un sourire attiseur de la sympathie des nanties, une récompense de quelques sous. Ils sont là, tous, au plus bas de l’échelle sociale, à bouger, à marcher, à trotter, à pédaler, a conduire et se faire conduire de leurs taudis à la ville, trimer des heures incalculables pour quelques maigres récompenses pécuniaires qui ne leurs permettra que de survivre un jour de plus, une semaine, une vie.
En recherchant sur ces visages concentrés vers leur destinée quotidienne, une étincelle d’existence, je me mets soudain à penser au Cogito Ergo Sum de Descartes, et me demande si cette prise de conscience qui révolutionna la condition humaine, ne se fait pas un peu trop attendre ici. “Mais qu’est- ce donc que je suis ? une chose qui pense (…). Y a-t-il rien de tout cela qui ne soit aussi véritable qu’il est certain que je suis et que j’existe, quand même je dormirais toujours, et que celui qui m’a donné l’être se servirait de toute son industrie pour m’abuser ? (…) Car il est de soi si évident que c’est moi qui doute, qui entends et qui désire, qu’il n’est pas ici besoin de rien ajouter pour l’expliquer. ” Alors que mon esprit s’envole dans les équations métaphysiques de mon existence et de celle des hommes, je me demande si ce qui nous différencie de l’animale, du roc et du végétale s’échelonne dans le temps. Est-ce que c’est le temps qui définit notre existence, de la plus dure et pénible, a la plus douce et enviable ? Est-ce que l’animal sait le temps ? le roc, la plante, est ce que l’air et l’univers aussi parfait soit-il qu’une intervention divine fut nécessaire a sa conception, sait le temps ? Sommes-nous les seuls choses dans toute la cosmogonie de l’existence qui aient conscience de sa temporalité ?
Mais déjà la voiture de devant avance de quelques mètres et mes sens embrayent la mécanique de mon retour à la réalité, mon regard plus profond déjà escale plus longtemps sur les gouttes de sueur de mes contemporains, parcoure ces peaux déjà fatiguées à la recherche de l’étincelle de la raison d’être, celle qui nous différencie du reste des choses, celle qui nous fait porter ce fardeau maudit de notre appartenance au temps.