Souveraineté numérique : cette quête existentielle
Le numérique est devenu omniprésent dans notre quotidien. Secteur à la fois prometteur et source d’inquiétudes, la crise sanitaire a accéléré l'enjeu de la transformation numérique, exacerbant cette dualité. En France, une étude réalisée récemment par le cabinet Markess by Exaegis a révélé que les géants américains Microsoft, Amazon et Google détiennent 71 % des parts du marché du secteur du Cloud (chiffres 2021). La domination économique de ces entreprises se traduit également dans le secteur public. Alors quid de la souveraineté numérique européenne ? La France et l’Europe sont-elles condamnées à vivre sous la domination des big tech américaines et chinoises ?
Faire émerger des acteurs du numérique, c’est assurer la sécurité des citoyens, c’est respecter les principes de l’Union Européenne et c’est aussi favoriser la pérennité économique de nos entreprises. C'est le pendant de la question de l'indépendance nationale en France au tournant du siècle, fil d'ariane politique du Général de Gaulle. La souveraineté numérique est une quête existentielle, non pas pour exister numériquement par nous-mêmes, mais tout simplement pour continuer d'exister en tant qu'Europe, en tant que Nation, et surtout, en tant qu'individus libres.
Quand nous nous laissons aller à la facilité technologique, au coeur même des grandes entreprises ou de l'Etat, nous reculons dans notre être collectif. Ainsi, pour répondre aux exigences françaises en matière de protection des données, le 30 juin dernier, le groupe français Thalès et le géant américain Google ont annoncé le lancement d’un projet commun, S3ns, accord rebaptisé “cloud de confiance”. Ce partenariat américano-européen, qui s’inscrit dans la lignée de celui annoncé par Microsoft-Orange-Capgemini quelques semaines plus tôt, favorise la dominance américaine sur nos données. L'opinion publique n'est pas dupe : selon l’enquête Acteurs publics/EY pour l’Observatoire des politiques publiques réalisée par l’Ifop, seule une personne interrogée sur deux estime que la France détient les armes nécessaires pour assurer sa souveraineté numérique (chiffres 2022).
Une mobilisation nécessaire des pouvoirs publics
Heureusement, consciente des enjeux de la souveraineté numérique sur de nombreux secteurs tels que la sécurité de nos concitoyens, l’attractivité économique, l’environnement ou encore la santé, la France s’est saisie de ce sujet lors de la présidence du Conseil de l’Union européenne. Ces six mois se sont ainsi conclus par l’adoption du paquet Digital Markets Act (DMA) et le Digital Services Act (DSA) : ces textes visent à responsabiliser les plateformes numériques, instaurent un nouveau modèle de régulation ciblant les "gatekeepers", mettent en place un nouvel accord sur la cybersécurité européenne et ont vu l’aboutissement d’une déclaration commune sur la double transition numérique et environnementale.
Des progrès conséquents au niveau européen donc. En France, la résistance s’organise. Alors que la filière du numérique avait formulé la volonté de voir se créer un ministère du numérique plutôt que d’un simple secrétariat d’État, cette nouvelle prérogative affiliée au ministère de l’Économie et des Finances souligne l’ambition française. La nomination de Jean-Noël Barrot au poste de Ministre délégué chargé de la transition numérique et des télécommunications vient compléter cette bonne nouvelle.
Les actions à mener ne doivent cependant pas se limiter à la mise en place de réglementations, parfois insuffisantes face à la puissance économique des géants américains. C’est en ce sens que la fondation Digital New Deal, à la demande du Secrétariat général pour l’investissement (SGPI), structure placée sous l'autorité du Premier ministre, a publié son rapport “IA de confiance”. Ce rapport, co-rédigé par Arno Pons et Julien Chiaroni souligne la nécessité pour la France et l’Europe de prendre la main sur nos destins numériques et la protection des données des citoyens.
Cessons de tendre aux Gafam le bâton pour nous faire battre et armons-nous vraiment. Saisissons l’épée et le bouclier. Le bouclier d’abord, parce que nos données doivent être protégées. A commencer par les plus sensibles : celles de l’Etat, de nos administrations, de nos entreprises également. Elles doivent pouvoir être stockées en lieu sûr, hors de portée des serveurs étrangers, dans un cloud public 100% français et européen. C’est le seul moyen de faire échec au Cloud Act, cette loi extraterritoriale des Etats-Unis qui permet à la justice américaine d’exiger nos données à tout instant, même lorsqu’elles sont hébergées sur le sol européen.
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Mais nous devons aussi protéger nos données individuelles. Tous les jours, les internautes fournissent gratuitement aux géants du numérique des données que ces derniers monnaient à prix d’or, et sur lesquelles nous n’avons aucun contrôle. Autrement dit, le scandale est double : économique et démocratique. L’internaute doit pouvoir refuser ou accepter de transmettre ses données personnelles. S’il l’accepte, il doit être rémunéré par les plateformes concernées. La France doit être le premier pays à mettre en place la patrimonialité des données, comme le propose le think tank Génération Libre.
Par ailleurs, si la puissance publique doit protéger la liberté et la propriété des internautes, il lui revient également de garantir la qualité des intelligences artificielles qu’ils utilisent. Nous le savons tous, pour en faire régulièrement l’expérience sur les plateformes : trop souvent, ces IA ne travaillent pas d’abord dans l’intérêt de leurs utilisateurs mais pour optimiser les profits et « fidéliser » le client. Certes, il est difficile de contrôler un code source, trop complexe et de surcroît évolutif. Cependant, il est tout à fait faisable de vérifier que les intelligences artificielles délivrent un conseil, des recommandations et des produits conformes à leur promesse commerciale. Pourquoi ne pas créer une agence de contrôle de l’IA, afin de mesurer la qualité et la transparence des algorithmes, et qui aurait vocation à devenir européenne ?
Faire confiance aux acteurs français et européens
Le secteur privé et la société civile ne sont pas en reste dans cette quête de souveraineté, comme en témoigne la mobilisation d’acteurs de la French Tech. En octobre dernier, huit entreprises françaises Atolia, Jalios, Jamespot, Netframe, Talkspirit, Twake, Whaller et Wimi, se regroupaient dans un collectif pour affirmer la capacité de création d’un "cloud de confiance" se passant d'acteurs américains. Dans cette même lignée, il y a quelques semaines, une trentaine d'acteurs français du cloud dont OVH, 3D Outscale (Dassault Systèmes), Docaposte (filiale de La Poste) ou Data Legal Drive ont tiré la sonnette d’alarme en adressant une lettre ouverte sur la nécessité d’un cloud souverain européen face à la domination américaine. C'est encourageant, mais certainement pas suffisant.
Un défi collectif
L’adoption du Digital Services Act, qualifié d’historique, dont la manœuvre fut assurée par le Commissaire européen Thierry Breton, témoigne de la volonté de l’Europe. Notre souveraineté est à portée de main. C’est bien l’alliance entre l’Etat et la société civile qui nous permettra de reconquérir la souveraineté numérique perdue, notamment sur cette nouvelle ligne de front que constitue le web3, d’une part, le Metaverse et les interfaces virtuelles d’autres part. Nous pouvons mener et gagner cette bataille, rien n’est écrit d’avance.
Chez JIN, agence de conseil en stratégies d’influence dont je suis le cofondateur et le dirigeant, nous nous sommes donnés pour mission d’accompagner des acteurs du secteur comme Hackers Sans Frontières (association humanitaire internationale qui fournit une aide d'urgence aux institutions non gouvernementales en cas de crises et de catastrophes liées à des cyberattaques) à travers la création d’un programme pro bono Tech4Good. Nous prendons notre part, comme beaucoup d'autre, dans la recherche de l'indépendance numérique.
Partner - Communication corporate et politique - Hopscotch Décideurs
2 ansJeannie Cointre Hackers Without Borders
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2 ansLucas Buthion ;)