SPVM et STM, encore en tête de la juridisation contre l’itinérance en 2020
Félix A Molina
À Montréal, plus de 115 000 constats d’infractions ont été émis sur une période de 25 ans à des personnes en situation d’itinérance. Un rapport publié en janvier 2021 contient des données alarmantes couvant les années 2012-2019 qui appellent à la mise en place de mesures correctives par la ville.
La dernière publication de l’Observatoire des profilages (ODP) sur la judiciarisation de l’itinérance à Montréal révèle que l’écart entre le discours et les faits est encore très grand. Le rapport apparait sur plusieurs sites web dont celui du Réseau d’aide aux personnes seules et itinérantes de Montréal (RAPSIM).
Les données de l’ODP mettent en lumière des constats appelant impérativement la mise en œuvre de correctifs dictés par les sciences sociales, les sciences politiques et les droits humains.
L’itinérance est la cible d’interventions récurrentes par la Société de transport de Montréal (STM), qui partage ce comportement avec le Service de Police de la Ville de Montréal (SPVM), une réalité pointée du doigt par les organismes défendant les droits des personnes en situation d’itinérance.
L’étude a recensé 50 727 constats d’infraction émis entre 2012 et 2019 visant des personnes ayant déclaré l’adresse d’un organisme en itinérance. Ces constats se fondent sur le Règlement municipal P-1 concernant la paix et l’ordre sur le domaine public et les règlements R-036 et R-105 de la STM.
Infractions en %
Le SPVM est responsable de 65,4 % de ces constats (33 173), tandis que 34,6 % sont le fait des agents de la STM (17 554). Il s’agit d’un cri d’alarme et l’étude publiée en janvier dernier ne manque pas de souligner que la situation est encore plus grave : « Les données ne représentent que la pointe de l’iceberg de la judiciarisation de l’itinérance ».
L’étude porte sur la période allant de janvier 2012 à juin 2019, soit bien avant le début de la pandémie, qui a imposé un long enfermement (parfois répressif en vertu de la Loi sur la santé publique) à plus de 1500 personnes qui faisaient leur vie dans les rues, les stations de métro, les restaurants et les parcs.
La base de données principale pour ce rapport est la Cour municipale de Montréal qui produit des statistiques depuis 2005 sur le sujet. Il s’agit de la quatrième analyse de ces données, qui sont également fournies par des organisations communautaires confrontées quotidiennement à ce phénomène.
L’analyse produite ne vise pas uniquement la judiciarisation de personnes en situation d’itinérance, elle aborde également les enjeux liés aux profilages sociaux, politiques et raciaux : « Les constats de l’étude sont multiples, mais ils renvoient tous à une aggravation de la situation en regard du profilage social exercé par les policiers du SPVM, et ce, malgré différents discours et politiques visant la fin des pratiques de profilage ».
Alcool et ébriété
La recherche permet de constater comment « l’usage d’alcool ou de drogues dans l’espace public et l’ébriété publique constituent encore la très vaste majorité des comportements reprochés aux personnes en situation d’itinérance ».
L’étude comparative dans le temps révèle que Ville-Marie (7,4 %), Mont-Royal (5,9 %) et Mercier-Hochelaga (5,6 %) sont les quartiers où se sont produits plus de 68 % du nombre total d’infractions. Les motifs invoqués par les services de transport et de police étant la consommation d’alcool ou d’autres drogues ainsi que l’ébriété publique (82,8 % des cas).
Les hommes reçoivent le plus grand nombre de constats (80 %), une constante année après année. Fait saillant, la proportion de constats d’infraction émis aux personnes autochtones en vertu du Règlement P-1 en lien avec l’usage d’alcool et l’état d’ébriété est particulièrement élevée, soit de 93 %.
Dette de 17 millions
Un fait frappant : l’imposition de constats aux personnes en situation d’itinérance coûte cher à la ville. Les montants déboursés en salaires de fonctionnaires et frais judiciaires ne produisent finalement qu’une énorme dette impayée et impayable par les personnes ciblées. De 2012 à 2019, ces constats représentent une dette cumulative de plus de 17 millions de dollars. En d’autres termes, nous sommes confrontés à des pratiques de profilages sociaux qui sont « coûteuses, contreproductives et inefficaces », révèle le rapport de l’ODP.
Au-delà des coûts monétaires, la Commission d’enquête sur les relations entre les Autochtones et certains services publics : écoute, réconciliation, progrès (CERP - Commission Viens) constate que ce nombre disproportionné de constats d’infraction est un indice important de profilage social.
Malgré les récurrents appels à arrêter cette pratique, les Services policiers de la ville de Montréal continuent de privilégier la judiciarisation, plutôt que de recourir aux services adaptés mis en place notamment à la demande du SPVM. Une situation de crise a éclaté à cause de ce comportement pendant la pandémie, en 2020. Plus de 60 organismes communautaires et institutions de recherche, dont l’École de travail social de l’UdeM, ont dénoncés l’exacerbation de ces pratiques répressives.
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Maintenant que l’été est arrivé, c’est le bon temps pour quêter une pièce à la station de métro, retrouver le gang dans un parc pour prendre un coup, étaler un carton sur l’herbe et faire une longue sieste estivale. Ça sonne familier ? Il s’agit, bien sûr, d’un cliché qui a la vie dure dans l’esprit collectif en ce qui concerne l’itinérance. En fait, il s’agit de situations de vie issues de diverses ruptures personnelles, économiques, sociales, culturelles et systémiques.
Comparaison sur 25 ans
Pour des fins comparatives, le rapport reprenant également des données sur une période 25 ans (1994-2019). Pendant cette période, 115 000 constats d’infractions ont été émis à des personnes en situation d’itinérance à Montréal, dont 48 755 en vertu des règlements municipaux et 65 862 en vertu des règlements de la STM.
Le rapport établit que huit fois plus de constats ont été émis en 2018 (dernière année pour laquelle les données sont complètes) qu’en 1994, passant de 1 054 en 1994 à 8 493 en 2018.
Encore une fois, l’analyse indique que les règlements de la STM sont de plus en plus utilisés pour judiciariser la population ciblée qui utilise le transport en commun. En 1994, les constats d’infraction émis en vertu des règlements de la STM représentaient 46,3 % des constats émis. En 2018, ils en représentent 65,3 %.
Pour la période de 2012 à 2019, les policiers du SPVM ont remis 65,4 % du total des constats d’infraction aux personnes en situation d’itinérance. En 1994, cette proportion était nettement inférieure.
Pistes d’action
L’ODP propose de dépénaliser la consommation d’alcool dans les espaces publics comme c’est le cas dans la plupart des pays européens : « il s’agit de privilégier les interventions misant sur l’offre d’espaces sécuritaires lors de l’utilisation d’alcool et de drogues, que ce soit par des sites de consommation supervisée, de l’hébergement et du logement qui peuvent réellement répondre aux besoins des personnes en situation d’itinérance ».
De plus, l’Observatoire suggère une amnistie générale pour l’ensemble des constats d’infraction imposés et une cueillette de données sur la condition sociale des personnes mises à l’amende. Les services de police et de transport omettent couramment de préciser ces détails sur les constats émis.
Le rapport souligne également l’importance de miser sur la surveillance communautaire, de renforcer les équipes de proximité d’intervenants sociaux afin de privilégier de solutions sociales alternatives à l’usage de la force ainsi que de mettre en place des mécanismes de plaintes indépendants du SPVM pour rapporter les pratiques de profilage.
Des données analysées dans cette étude, un constat s’impose. Les interventions des services publics de transport et policiers vont constamment à contre-courant de la Politique nationale de lutte à l’itinérance, du Plan d’action interministériel en itinérance 2015-2020, des différents plans de lutte contre le profilage social et racial du SPVM, mais également de l’avis de la Commission des droits de la personne et de la jeunesse (CDPDJ) sur le profilage social. Il faut remédier à tout prix à cette inadéquation inacceptable entre la pratique et le discours officiel.
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Informations pour infographies
L’homme le plus judiciarisé a reçu durant la période étudiée 178 constats d’infraction, principalement dans le métro pour non-paiement du titre de transport et usage d’alcool, tandis que la femme la plus judiciarisée a reçu 72 constats d’infraction presque exclusivement pour usage d’alcool et état d’ébriété publique.
Judiciarisation oppressive
Pénaliser ou judiciariser un phénomène social privilégie la répression policière, se concrétisant par des pratiques oppressantes, telles que l’émission massive de constats d’infractions.
Les personnes en situation d’itinérance sont en effet des victimes fréquentes de profilage social, à un point tel qu’elles sont visées par environ 40 % des constats d’infraction émis en vertu des règlements municipaux et de la STM pour la période du 1er janvier 2012 au 30 juin 2019, pour un total de 50 727 constats.