Startups : de quoi parle-t-on véritablement?
Nicolas Menet et Benjamin Zimmer - Dunod -

Startups : de quoi parle-t-on véritablement?

Retour sur le livre co-écrit par Nicolas Menet et Benjamin Zimmer et paru il y a 2 mois chez Dunod; un livre qui a le mérite de lever un coin du voile sur le marketing de l'innovation qui sévit actuellement sur le marché ainsi que sur les véritables enjeux de la technologie. A l'heure de l'argent facile assiste-t-on à une nouvelle bulle internet?

Un constat lucide et sans concessions

Partant du constat que sur les 10.000 startups recensées ces dernières années 90% n'ont pas franchi le cap des 5 ans (Chiffres de 2016 de l'INSEE repris par les auteurs p.8) mais que socialement il est de bon ton actuellement de vouloir créer sa startup les auteurs se demandent légitimement pourquoi on arrive à valoriser autant quelque chose qui semble ne pas aboutir et surtout quels seraient les ressorts et méthodes pour que cela fonctionne mieux?

La première partie du livre s'attache à retracer l'émergence du numérique et de cette sempiternelle "transformation digitale" que l'on peut lire au coin de toutes les offres des SSII (pardon ESN...) actuellement; le propos n'est pas inintéressant mais on préfèrera à ce titre et sur ce versant historique lire directement les ouvrages de Michel Serres, Serge Soudoplatoff ou encore Eric Sadin qui s'attachent avec plus de détails et de profondeur sur l'émergence de ce nouveau monde.

Quoi qu'il en soit ce chapitre permet de mettre en exergue que "le monde des startups (...) est intimement lié au monde financier et capitaliste" (p.41) et que là où l'on croit percevoir une émulation nationale vers la nouveauté il ne s'agit pour certains que d'un rapatriement rationnel (au sens de Pareto) des moyens de financement, certains allant même jusqu'à qualifier la France de "paradis fiscal" pour les startups (p.39).

L'illusion de la levée de fonds comme finalité en soi de la création de l'entreprise est elle-même battue en brèche car on n'oublie vite que les motivations intrinsèques des entrepreneurs (euses) sont souvent très éloignées de celles des financiers et que la participation de l'Etat à ce titre n'est aussi, parfois, qu'un saupoudrage politique dont la visée est d'abord la communication : communiquer sur l'investissement dans des secteurs d'avenir quand on est, en réalité, aucunement sûr de la viabilité économique (p.44 et p.111).

Les auteurs dénoncent aussi la "coolitude" comme un nouveau conformisme (p.61) et l'écart incroyable entre l'aspiration à la création sans limites et le cadre normatif du droit du travail en France. Il serait d'ailleurs intéressant de réaliser une étude sur le nombre de Prud'hommes qu'il y a pu y avoir en France dans le secteur des Startups notamment sur l'épineuse question des horaires...

Un exemple à ne pas reproduire

Après avoir dénoncé la Startup comme nouvelle utopie contemporaine, ses mythes quasiment Nietzschéen de la Silicon Valley, l'écosystème économique et financier qui l'entourent (p.127), les pseudo-coachs ou autres systèmes visant à se repaître de l'argent des jeunes startupeurs en les flattant dans leur rêve quasi narcissique de réussite, les auteurs décrivent avec brio toutes les étapes d'un échec à travers la figure de Tom.

Les solutions ambivalentes des auteurs

Là où les auteurs ont réussi, dans un esprit sain et constructif, à dénoncer les travers d'un nouveau système dans lequel on pousse toute une génération, on pourra regretter la dernière partie, certes plus complexe à bâtir, "Où aller maintenant?" .

Partant du constat que "la technologie ne doit être qu'un moyen au service du progrès" (p.28) et que "la relation à la technologie numérique doit inviter à repenser l'éthique et réévaluer les notions de modernité" p.29 les auteurs évoquent la notion de Convivance (p.132) comme nouvelle forme de vouloir-vire ensemble et c'est pertinent dans notre rapport au monde et à l'intelligence collective.

Néanmoins cette partie prospective, qui dans sa bonne intention de vouloir cesser le gâchis d'idées et d'énergie, se perd en jargon de consultant (ex. p.173 ou encore P.201 avec la notion d'externalité positive) ou dans une forme de planification de l'innovation qui ne va pas sans rappeler le bon vieux plan français ou pis, la référence à la Chine p.205 est à cet effet éclairant, à une forme de Fouriérisme de l'innovation technologique.

On assiste ainsi au retour d'un état planificateur (p.183 et p.198) qui certes vise le bien commun et met en place des "process" de sélection vertueux, mais nie la notion d'individualité quoi qu'en disent les auteurs (la remarque p.209 "cette approche ne censure pas l'initiative individuelle" est une dénégation et vient en contradiction avec la notion de candidature standardisée p.188); sans doute les auteurs en ont eu assez de la notion de "disruption" et ont trop pris le contre-pied de cette antienne contemporaine.

En conclusion

Le livre de Nicolas Menet et Benjamin Zimmer est un livre plaisant et intéressant sur un sujet trop rebattu médiatiquement aujourd'hui. Les auteurs abordent de façon bienveillante les méthodes et process pour réussir là où beaucoup vont dépenser de l'énergie et de l'argent, en vain... ou pour le moins permettre à d'autres soit de défiscaliser soit de rentabiliser leurs investissements locatifs.

Si ce livre doit être lu en ce qu'il est salutaire dans la véritable mascarade de l'innovation à laquelle nous assistons je ne partage pas pour autant les solutions d'un nouvel Etat planificateur, on retrouve-là un réflexe trop franco-français avec une démocratie centralisée où les serviteurs de l'Etat seraient les seuls à-même de juger de la viabilité ontologique et technologique des projets qu'on leur soumettrait car jamais le livre n'aborde le sujet de ceux qui valident les projets.

Selon moi les auteurs passent à côté du sujet fondamental de la formation, car s'il y a autant d'échecs c'est parce que les personnes ne sont pas assez formées sur les usages de la création d'entreprise (administratif, commercial, résilience...) et que ce qui fait qu'une idée prendra forme et réussira ce ne sera vraiment pas grâce au nouveau baby-foot installé dans l'incubateur de l'école dans laquelle évolue l'étudiant mais bien selon 3 axes:

  • Le sens de l'opportunité (il n'y a de business que d'opportunités de business)
  • La connaissance de soi (on devrait refaire de la philo et travailler sur les notions de résilience notamment)
  • La capacité à construire un horizon, une vision, du sens (que l'on pense au fondateur de Netflix qui parle de son entreprise comme étant capable de faire dialoguer des cultures singulières)

On pourra toujours compléter avec des cours de code ou d'algorithmie mais étonnamment à ce que l'on peut lire, cela est secondaire...




Olivier Guillouzouic

CEO @Fourseeds & Founder @Meteors

6 ans

J'ajoute mon ami Philippe Liger-Belair sur cet article pour tout le travail qu'il accomplit au sein de Sciences-Po sur la notion d'entreprenariat ainsi que ses travaux sur la défiscalisation

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