Storytelling : l'efficacité d'un nouveau bla bla bla

Storytelling : l'efficacité d'un nouveau bla bla bla

Depuis que le monde est monde, l'art de conter les histoires évolue et se transforme. Les écrivains, les publicitaires, les cinéastes et autres faiseurs d'histoires y sont certes pour quelque chose, cependant les lecteurs ou les spectateurs, s'ils ne précèdent pas le mouvement, demeurent en attente de formes différentes - à défaut d'être inédites - et prêts pour de nouvelles aventures. On peut aussi imaginer que leur perspicacité doit toujours être tenue en haleine. Comment les entrainer plus loin, sur des territoires à défricher.

Actuellement, le cinéma mène la danse

Des films sortis récemment, Back Home (Joachim Trier) et Ce sentiment de l'été (Mikhaël Hers), nous lancent sur de nouvelles pistes.  Les films publicitaires prennent souvent de la graine de ces réalisations magistrales qui marquent une étape dans l’art de narrer et qui restent dans l'œil et la tête de ceux qui les ont visionnées, qu’ils soient créatifs ou tout simplement spectateurs. De fait, les dits spectateurs, décodent de mieux en mieux la conduite de l’histoire qui les mène en bateau pendant deux heures environ et, s'il faut les épater, et il le faut, il y a intérêt à retrousser les manches ! Back Home et Ce sentiment de l'été y parviennent avec maestria, mine de rien.

Back Home

Les cartes à jouer : 3 personnages - un père et ses 2 fils - sont à la peine depuis la mort de la mère, reporter photographe de guerre, tuée dans un banal accident de voiture près de chez eux. Des tensions innervent en courts circuits les relations des 3 survivants, tensions dont le père est l’épicentre. Crise d’adolescence exacerbée avec la perte de la mère pour le plus jeune fils. L’aîné qui vient tout juste d’être père, retarde le plus possible le moment d’endosser ce nouveau costume. Une expo de photos de la mère, organisée par un collègue avec qui elle faisait équipe, doit avoir lieu,… Voilà le dispositif, il vous reste à fabriquer 1h50 de film.

L’art et la manière Back Home

La narration se déroule avec fluidité et l’on glisse naturellement dans les séquences mentales qui circulent dans la tête des personnages. Nous entrons sans nous en apercevoir (grand art) dans la complexité des projections mentales de chacun (souvenirs, songes, hypothèses, angoisses…), ce qui va tresser un récit foisonnant, passionnant par les éclairages à facettes (prismes de photo ?) sur cette femme unique et différente pour chacun. Tour de magie : on entrera même dans le mental de la morte… Le coup de théâtre suggéré de manière de moins en moins subliminale - ou devenons-nous de plus en plus perspicace… - tombera comme une bombe à retardement pour libérer et permettre de reconstruire une nouvelle famille à trois. Une prouesse toute de finesse pour pénétrer au-delà des apparences, là où bat vraiment le cœur d’une histoire. Très loin du didactisme pesant de Alain Resnais dans La vie est un roman où le parallèle courait tout au long du film entre les situations que rencontraient les personnages et les expériences sur la sociabilité des rats de laboratoire.

Ce sentiment de l'été

Le pitch est encore plus liminaire. C'est l'été à Berlin, Sasha, une jeune Française meurt subitement, son compagnon Lawrence, américain, accueille sa famille et rencontre sa belle-sœur. Pas de transfert amoureux. Ces deux êtres sont liés par le deuil que chacun fait de son côté, avec une certaine énergie chez la belle-sœur et un chaos total chez Lawrence. Ils ont Sasha en partage. Comme dans Back Home, tous deux la connaissent mieux que quiconque mais sous des angles changeants. Ils vont se retrouver les deux étés qui suivent la mort de Sasha, à Paris d'abord où vit la belle-sœur et puis à New York, ville de Lawrence.

L'art et la manière Ce sentiment de l'été

La lumière de l'été, selon l'heure, détoure ou caresse les deux personnages. Ils  glissent sur les apparences et font, avec grâce, ce qu'il faut pour avoir l'air de vivre comme les autres autour d'eux. Cette complicité les lie fortement. Le tour de force de Mikhaël Hers est de nous y mêler. Le jeu subtil et incarné des deux acteurs (Anders Danielsen Lie et Judith Chemla) y incite avec persuasion et douceur. On les aime, on vit avec eux et on les suit qu'ils soient prostrés ou qu'ils se baladent à la découverte - hors des sentiers battus - dans leurs villes respectives. Comment passe-t-on de l'autre côté d'une grande douleur ? Des images, des souvenirs, de la musique, des lumières, des paroles  en quête de réalité, du chagrin et de la tendresse nue sans aucun sentimentalisme.1h45 de beauté et de belle humanité.

Quand la fiction dépasse la réalité

Il pourrait être de bon ton de croire que les histoires sont des histoires à déguster ou à vomir selon les goûts et les couleurs. Il faut se faire à l'idée qu'elles ne sont jamais innocentes, même là où le terrain de la réalité fait qu'on a bien les deux pieds dans la glaise. Ainsi, dans les années 2000, un espion soviétique passé à l'Ouest, a révélé au Washington Post que le KGB avait créé une division de 2000 hommes affectés au filtrage des livres et des films d'espionnage parus en Occident afin d'y puiser de fructueuses idées...

 

 

 

 

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