Suite : La lingère du Bec
De l’office au salon, tout le monde comptait sur le jardinier Raymond et son fils Tit-René (son patronyme à l’office) qui le suivait comme son ombre et qui mesurait une tête de plus que lui. Tit’René n’avait pas vraiment de qualification. On ne connaissait plus leur nom de famille. Raymond avait pour tâche, outre celles du quotidien, de remplir les bidons d’eau. Il les déposait dans une pièce nommée pompeusement la citerne. Cela lui prenait une bonne heure de son temps, parcimonieusement utilisé. C’était ainsi chaque jour de la semaine. Bien que Raymond semblât malingre, il était fort comme un bucheron même si ses tourments et sa solitude avaient affaissé ses épaules. Jamais d’écart, jamais de virée au café, aucune femme n’était entrée dans sa morne vie. Il tentait de transmettre les rudiments de son art à Tit-René, mais, lui, bien sûr n’en avait que faire. Tit-René était un diablotin, ayant grandi sans la tendresse de sa mère partie trop tôt vers l’au-delà. Son père, brave et dévoué, n’avait toutefois pas su combler ce terrible et trop grand besoin d’affection. Il était ainsi devenu un boulet pour son père. Pour s’en sortir, Tit-René avait trouvé une solution à son problème. Il ne l’avait pas découverte tout seul, non, c’était le fils Jean, de la ferme de la marre au Clerc, qui relatait l’histoire sans fin, et un soir de grande boisson, il lança l’idée. Tit’René s’en empara, pour la faire totalement sienne, il cogitait de longs moments. Un casse ! Il suivait en cachette grâce à Jean, l’un de ces gars qui savaient écrire et lire, les exploits d’un brigand de grand chemin.
Raymond, exténué, tentait de lui parler sur tous les tons, de lui expliquer ce qu’était la vie et de lui faire réaliser combien il était difficile de trouver une bonne place, mais il n’y avait rien à faire. Au château, le personnel était assez bien traité, la paye y était honnête et s’il perdait ce travail, c’en était fini de lui. Il deviendrait vagabond !
Ce père soucieux d’élever correctement son enfant désespérait devant l’inertie de ce fils trop chéri. Celui-ci n’aimait pas l’armée et n’avait aucun penchant pour la calotte. Rien ne lui convenait ! Mauvais en calcul, pouvait-il se lancer dans le commerce et surtout lequel ? Jardinier installé à son compte ? Autant ne pas y songer.
Son gars était fainéant et Raymond devait se l’avouer, il n’était pas très intelligent. Il devait gagner sa pitance comme le disait la voix populaire. Si seulement sa pauvre maman était encore de ce monde. Raymond était accablé ! Il acceptait très mal les ordres donnés et se croyait malin en accomplissant les choses à son idée. Naturellement, cela faisait toujours de la peine. Raymond en avait déduit que son fils n’avait pas de cervelle et que, par conséquent, il n’était pas responsable. Il souffrait de ce qu’il appelait une tare, et, dans un sens, surprotégeait son fils. Par contre, Tit’René courait les demoiselles, sans succès d’ailleurs, buvait chez « Le Seigneur » et faisait des blagues aux conséquences désastreuses. Pour ça, oui, il était fort ! Il donnait des rendez-vous aux gars du village près du bucher pour fumer et boire du cidre, ils parlaient des filles du bourg et il questionnait ses fameux amis sur la façon de les approcher. Une fois, il avait eu l’idée d’en inviter une, mais hélas, cela ne pouvait pas se faire ici au château, alors, il avait lâché son projet et les autres s’étaient moqué de lui, ils l’avaient traité de pétocheu...
Les châtelains étaient bien bons de le garder.