Suite Perrosienne...
L’écriture c’est le désordonné figuratif de la caresse - l’autre chant du signe et de la convocation ; la réponse de Perros au désordonné essentiel de la nature en contre-plongée de l’abîme Pascalien : « le désordre des hommes est dans l’ordre des choses. » Quelque chose qui dépend de l’amour dont nous sommes étrangers : un corps plongé dans l’insolite. Le témoin malgré lui. Quelque chose qui dépend d’une fraternité dont nous sommes les restes, parfois intrus, plus souvent égarés. Nous tous, les vivants, rien que fantômes, ombre sans poids. On ne va pas à la solitude écrira Perros. Ce sont les autres qui nous y placent. Mais j’ai bien de la peine à m’en convaincre.
Il ne sera pas dit qu’IL ne fera rien pour tendre la main. Cet IL incognito c’est le nom de Perros qu’il prend et attache à la Bretagne, au Finistère, à l’écriture. Un face à Dieu – l’autre grand IL – ou rien. Perros c’est le nom saisi dans la prière par celui qui s’adresse aux pierres – et à qui d’autre ? - pour trouver un début de réponse, savoir pourquoi il est si difficile de tenir debout.
Nous avons le droit de prier. Oui. Mais avouez que si quelqu’un nous voit mijoter avec tout l’esprit que certains d’entre nous y mettent, avouez que s’Il existe, Il y va un peu fort. Qu’est-ce qu’Il attend ? Quand je me sens révolté c’est par cela, uniquement (…) ce manque extravagant, ce Dieu qui nous laisse en pleine merde, alors, Il est enchaîné, lui aussi ? Il voudrait bien, Il ne peut pas.
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Comment sortir de là ? C’est l’autre question à laquelle chacun tente d’apporter sa réponse, de poser sa pierre humaine à l’édifice. Puisqu’il nous faut poursuivre, bon gré, mal gré, notre chemin rêvons que nous rêvons que nous rêvons suivant le chaos des choses dont nous sommes un mouvement. Je ne pense pas qu’il faille vivre très longtemps pour s’apercevoir qu’il n’y a d’issue à notre condition que poétique. Il n’y en a pas d’autres. Car si la condition sociale était notre code, la vie ne serait qu’une imposture, un attentat à la pudeur, une machine à explosion. Aucun avenir de ce côté-là. Un non-lieu et un bleu de travail pour tous. Le vivre-ensemble c’est un peu notre kenavo ou notre paimpolaise : un reste du monde de Théodore qui s’accroche encore aux falaises de Paimpol, inventées de toute pièce pour donner à la rime, cette aise qui lui manque.
Ecrire. Lire ; c’est inventer une famille, une compagnie dans le réduit de soi. Choisir un nom, un paysage, un clocher comme celui de Combray, l’emporter avec soi. Partir et revenir avec. « Il faudrait mettre son centre de gravité hors de soi » écrivait Jean Grenier à Perros, lui suggérant d’extraire dans la matière de l’œuvre à venir, ce qu’il convenait d’abandonner sous le nom de Poulot. Nous écrivons pour être aimé (…) Nous avons besoin d’être ressuscités, et qui nous aime est condamné d’avance.
Copyright édition L'enfance des Arbres - Christophe Thiébault : Georges Perros - la vie à pied d'œuvre. Novembre 2022