Tax us, do not kill us!
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Limitation du droit à déduction de la TVA sur les importations de service : la réforme de trop ?


PLUTÔT DISCRETEMENT, le Sénégal a introduit dans le projet de loi de finance 2021 une modification des règles de déduction de la TVA sur les services fournis par des prestataires non-résidents. Le projet de l’article 383.f du Code Général des impôts (CGI) dénie le droit à déduction à « (…) la TVA ayant grevé (…) les prestations, quelle que soit leur dénomination lorsque le bénéficiaire de la rémunération n’est pas établi au Sénégal à l’exception des prestations comportant un transfert de savoir-faire (…) ».


S’il passe le filet parlementaire[1], ce texte va créer une charge supplémentaire de 18% sur toutes les importations de services à l’exclusion des transferts de savoir-faire (dont il est dit qu’un arrêté viendra définir le contenu).

Où en était-on avant cette réforme et quelles seraient les conséquences du nouveau texte ?


I-              Le régime actuel de la TVA sur les importations de services

JUSQUE-LÀ, lorsqu’une entreprise sénégalaise achète un service à l’étranger, il lui appartient de procéder à ce qui est communément appelé « l’autoliquidation de la TVA ». En termes simples, l’entreprise sénégalaise se substitue à son fournisseur étranger- si ce dernier ne désigne pas un représentant fiscal- et procède elle-même au paiement de la TVA pour le compte de ce fournisseur (d’où l’appellation TVA pour compte de tiers ou autoliquidation de TVA). Cette TVA qui, comme pour tout achat de service, devrait être déductible dans les conditions normales, subit déjà un traitement atypique au Sénégal. En effet, le client sénégalais n’a le droit de la déduire qu’à la condition que le tiers fournisseur étranger ait supporté une retenue à la source au Sénégal sur la même prestation, soit au titre du bénéfice Non Commercial pour les services (BNC), soit autre de l’Impôt sur le Revenu des Créances pour les intérêts (IRC). Ce mécanisme, qui subordonne le droit à déduction d’une taxe indirecte (TVA) au paiement d’un impôt direct (BNC ou IRC), déjà inédit au regard des principes de TVA, ruine par ailleurs tout le bénéfice des conventions fiscales internationales. En effet, les clients sénégalais acheteurs de services auprès de fournisseurs résidents de pays signataires de conventions fiscales avec le Sénégal, perdent le droit de déduire la TVA pour compte de ces fournisseurs en raison de l’exonération de retenue à la source procurée par la convention fiscale concernée. Du coup, ces clients sénégalais avaient paradoxalement plus intérêt à contracter avec des fournisseurs de pays non-signataires de conventions fiscales avec le Sénégal pour garder leur droit à déduction de la TVA pour compte de tiers !


II-            Le nouveau régime de la TVA sur les importations de services


Par un subtil jeu de la carotte et du bâton, le nouveau texte supprime l’exigence de retenue à la source comme prérequis de la déductibilité de la TVA (un pas en avant !) mais érige en exception le droit à déduction de la TVA sur les importations de services, la règle étant maintenant la non-déductibilité (deux pas en arrière !). Outre la remise en cause du sacro-saint principe de la neutralité de la TVA, cette « évolution » législative risque malheureusement d’accentuer l’inflation par un renchérissement des coûts de revient des biens et services :

II-1 : La remise en cause du principe de la neutralité de la TVA

LA NEUTRALITE est le principe fondamental de la TVA qui fait que le consommateur final supporte cette taxe. En effet, par le jeu des déductions successives, la TVA est transmise d’un maillon à l’autre du processus économique jusqu’au consommateur final.


Ce n’est donc pas un élément de coût à la charge des opérateurs économiques tant que ces derniers ne rompent pas la chaîne des déductions. C’est pour préserver cette neutralité que le droit à déduction a toujours été la règle en matière de TVA et les restrictions et exclusions de ce droit, l’exception. D’ailleurs, le législateur sénégalais ne s’y est pas trompé en étendant depuis 2004 le maintien du droit à déduction intégrale de la TVA aux exportations de services[2].

L’article 383 du CGI qui limite le droit à déduction vise spécifiquement certains biens ou services. Aussi, l’introduction par le nouveau texte d’une exclusion en considération de la résidence du fournisseur - pour un service réputé livré et utilisé au Sénégal pour les besoins normaux du client sénégalais et soumis à ce titre à la TVA sénégalaise- remet clairement en cause la neutralité de la TVA.

II-2 : Le renchérissement des coûts

SOYONS CLAIRS : nous aurons encore, malgré tout, recours à l’expertise et aux capitaux étrangers pour des projets au Sénégal. Le but de cette note n’est pas de discuter de la pertinence de cet endettement de nos entreprises ou de l’utilité de l’expertise étrangère. Il s’agit juste d’en souligner les conséquences fiscales.

Au Sénégal, les intérêts des prêts souscrits à l’étranger sont traités comme des services soumis à la TVA pour compte de tiers, au même titre que tout autre achat de service étranger. C’est tout à fait normal puisque ces mêmes intérêts seraient soumis à la Taxe sur les Activités Financières (TAF) s’ils étaient versés à une banque sénégalaise. Seulement, ladite TAF serait déductible- neutralité oblige-, déductibilité que le projet de texte entend exclure pour la TVA sur les intérêts versés à l’étranger (sauf si, hypothèse improbable, l’arrêté annoncé assimile le prêt à un transfert de savoir-faire !).

Par ailleurs, les intérêts sont soumis à une retenue à la source de 16% et les services à une retenue effective de 20%, en principe à la charge du prêteur ou du bénéficiaire du paiement. Mais tout le monde sait qu’en pratique les prêteurs ou les prestataires étrangers négocient leurs revenus nets de tout impôt et laissent le fardeau fiscal à la charge de leurs clients sénégalais. En définitive, les clients sénégalais qui versent des intérêts ou paient des services à l’étranger prennent une charge de 18% au titre de la TVA en plus de la retenue à la source de 16% ou de 20% selon qu’il s’agisse d’un achat de service ou du paiement d’intérêts de prêt. Cela correspond à un renchérissement de son coût de revient de 34 ou 38%. Bien entendu, ces coûts seront directement inclus dans le prix aux consommateurs, accentuant une inflation déjà considérable.

Je ne suis pas sûr qu’une telle situation soit l’intention du législateur !

Tout l’art du bon gouvernement consiste à plumer l’oie de façon à obtenir le maximum de plumes avec le minimum de cris » !

Comme un écho à cette magnifique formule (apparemment de Colbert), résonne ce cri d’agonie du contribuable sénégalais en direction de son législateur: “TAX US, DO NOT KILL US”!

Badara NIANG, Expert Fiscal Agréé, membre de l’Ordre National des Experts du Sénégal (ONES)



[1] Le texte a été en principe voté le 11 décembre 2020

[2] En effet, les exportations de services, au même titre que celles de biens, ne privent pas leurs auteurs du droit à la déduction de la TVA supportée malgré l’exonération de leurs prestations (à l’exception notable des services de télécommunications).


François Boris Gobina Ntoute

Manager - Tax & Legal Advisory Services | Central & West Africa

3 ans

Excellent. C'est toute l'occasion de noter que la pression sur le contribuable par des mesures parfois étranges, pour des pays qui sollicitent systématiquement les capitaux ou l'expertise étrangère, n'est pas l'apanage de certains espaces de l'Afrique francophone

Merci l'expert. Pendant un moment je me suis dit que c'est peut-être un bon moyen de favoriser et booster la commande locale. Je vois que le mal est plus profond. On compte sur vous les spécialistes pour aider nos dirigeants comprendre ces enjeux avant décisions.

Ryan Dennis Allas

Managing Director -Rogers Capital Tax

3 ans

Très bel article mon cher Badara.Au Gabon, la déduction de la TVA pour compte de tiers est exclue lorsque le service est disponible au Gabon. En d'autres mots, ce TVA pour compte de tiers est dans les faits plus un droit de douane sur le importations de service que de la TVA. Il sera très difficile pour les entreprises Senegalaises d'avoir accès aux financements étrangers. Elles seront malheureusement moins compétitives que les entreprises étrangères.

Antoine NIAGO

Juriste-Fiscaliste/ Tax and Legal Advisor

3 ans

Excellent article . Toutefois, je pense que des sachants comme vous devraient prendre la place du « politique »dans les médias ou la télé ... pour susciter le débat Fiscal au Sénégal .... afin que le CGI soit en phase avec l’évolution économique...

Cheick B. MACALOU

Tax & Legal Advisor / Expert Fiscal Stagiaire inscrit à l'ONES

3 ans

Excellent texte !

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