Technologie et Progrès : À quel prix ?
Ce matin, alors que je faisais mes courses dans un magasin parisien, je me suis retrouvé face à une scène familière mais troublante. Devant les caisses automatiques, une employée s’activait sans relâche pour résoudre des problèmes techniques, sautant d’une machine à l’autre pour aider des clients frustrés. Cette scène m’a interpellé : où est réellement le progrès ? Quels gains obtenons-nous lorsque la technologie, censée simplifier la vie, semble multiplier les frictions et les désagréments ?
La promesse des caisses automatiques, comme celle de nombreuses innovations technologiques, est simple : plus de rapidité, moins de coûts, et une expérience plus fluide pour le consommateur. Mais dans cette réalité quotidienne, l’histoire semble différente. Les erreurs techniques, les malentendus sur l’utilisation des machines, les prix qui ne sont pas les bons et la nécessité constante d’une intervention humaine questionnent la pertinence de cette transition. Alors, où est l’avancée ?
La course vers l’efficacité : un progrès mesuré
L’argument économique derrière l’automatisation est évident. Supprimer des postes de caissiers, réduire les coûts de main-d’œuvre et offrir au consommateur une alternative “plus rapide”.
Cependant, cette efficacité apparente a ses limites.
Chaque panne, chaque dysfonctionnement de ces machines requiert une intervention humaine. L’employé chargé d’aider aux caisses automatiques travaille souvent plus intensément que s’il tenait une caisse traditionnelle. Le client, quant à lui, est parfois confronté à un processus moins intuitif qu’une simple interaction humaine.
Tom Peters, dans son ouvrage L’Innovation : Un Cercle Vertueux, souligne que l’innovation ne consiste pas seulement à automatiser, à digitaliser, mais à créer de la valeur réelle pour l’utilisateur.
Lorsque l’innovation devient un fardeau pour le consommateur ou l’employé, elle échoue à remplir sa promesse. La technologie n’est pas une fin en soi, elle est un moyen de parvenir à un objectif : améliorer notre quotidien. Et parfois, cet objectif est négligé au profit d’une simple quête de réduction des coûts ou d’optimisation des marges.
Le paradoxe de la technologie : un progrès ou un recul ?
Nous vivons à une époque où la technologie est omniprésente, des caisses automatiques aux LLM (Large Language Models), des plateformes de commerce en ligne aux systèmes de gestion d’entreprise. Chaque jour, de nouvelles innovations sont introduites avec la promesse de faciliter notre vie. Pourtant, le paradoxe est que beaucoup de ces innovations nécessitent plus de maintenance, plus de surveillance, et engendrent parfois plus de complexité que de simplicité.
Dans le cas des caisses automatiques, le progrès attendu – la réduction des coûts et l’amélioration de l’efficacité – semble créer des frictions nouvelles.
Il en va de même dans d’autres secteurs : dans certaines entreprises, l’introduction de technologies censées optimiser les processus peut entraîner des dysfonctionnements qui nécessitent encore plus d’interventions humaines.
Ainsi, l’efficacité promise se heurte à des réalités pratiques, rappelant que la technologie doit être un outil pour l’humain, et non l’inverse.
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Le progrès doit-il être une quête de rentabilité ?
Une autre réflexion s’impose : le progrès doit-il être uniquement mesuré à l’aune de la rentabilité ?
Réduire les coûts est certes un objectif légitime pour les entreprises, mais quand cela se fait au détriment de l’expérience humaine, est-ce vraiment un progrès ?
Tom Peters met en garde contre une approche trop centrée sur les gains économiques. Selon lui, l’innovation ne doit jamais perdre de vue l’humain.
Tout comme l’histoire de Victor Frankenstein, où l’obsession pour la création scientifique a occulté les considérations éthiques et humaines, notre course à l’automatisation et à la technologie peut aussi nous mener sur une voie dangereuse si elle néglige les besoins fondamentaux des utilisateurs et des travailleurs.
Réinventer le progrès : remettre l’humain au centre
Le véritable progrès, selon Peters et d’autres penseurs, est celui qui intègre la technologie dans un cercle vertueux : il doit améliorer l’efficacité tout en respectant et valorisant l’humain.
Au lieu de supprimer les interactions humaines, pourquoi ne pas les enrichir avec la technologie ? Pourquoi ne pas envisager un modèle hybride où la technologie allège le travail humain sans le remplacer totalement ?
Cette réflexion nous rappelle que la technologie n’est pas un absolu. Elle doit être constamment réévaluée et ajustée pour servir l’humain, et non le contraire.
Si les caisses automatiques facilitent les courses pour certains, tant mieux. Mais si elles ne font qu’augmenter le stress et le travail des employés, ou la frustration des clients, alors peut-être qu’il est temps de revoir notre définition du progrès.
En fin de compte ...
... la vraie innovation, celle qui marque l’histoire, est celle qui améliore nos vies de manière tangible. Elle ne se mesure pas seulement en termes de chiffres, mais en termes de qualité de vie, de bien-être et d’expérience humaine.
A lire ou a relire absolument pour ce livre qui malgré ses 20+ ans est toujours aussi juste : https://www.amazon.fr/Linnovation-cercle-vertueux-Tom-Peters/dp/2842110366
Direction Commerciale / Générale | Gestion de centres de profit | Accompagnement des dirigeants
2 moisEmmanuel C., à la base les caisses automatiques étaient pensées pour faciliter le passage des clients avec quelques articles et non des paniers entiers avec des produits complexes. L'exemple de Decathlon France est hyper bien pensé. Produits avec étiquettes NFC, panier qui désécurise l'antivol et affiche directement de prix en scannant tous les produits, et la passage en caisse est hyper rapide. Mais quand on va dans un supermarché, c'est désormais 10 automates pour 1 caisse (et encore). J'écoutais Thierry Cotillard dire encore il n'y a pas longtemps, on ne doit pas casser la relation client - Hôte/Hôtesse de caisse qui permet de fidéliser le client en s'occupant de lui (et en l'écoutant à son rythme). J'ai vécu dernièrement la frustration d'attendre plus de 20 minutes pour scanner 3 articles dans un supermarché montpelliérain avec zéro caisses "humaines" ouvertes (incroyable mais vrai), les gens sont devenus virulents et s'en sont pris (verbalement heureusement) au personnel qui essayait tant bien que mal de gérer les bugs et les "appelez un responsable". Fait-il penser le modèle automatique en terme de flux, d'horaires, de nombre d'articles ? Non, à mon avis, il faut penser le modèle en se basant sur l'expérience client.
Président du Club de Paris des Directeurs de l’Innovation. Membre de l’Académie des Technologies Expert international en conception et mise en œuvre de l’innovation.
2 moisMerci Emmanuel, Je m'étais fait la même réflexion lors d'un voyage au Japon. Des petit restaurants étrennais des automates pour la prise de commande, ce qui agaçaient visiblement beaucoup les clients japonais qui avaient bien du mal à les utiliser et rendaient l'exercice totalement impossible pour les quelques touristes, qui étaient toutefois gentiment réorientés par le personnel (constatant leur désarroi) vers un restaurant concurrent plus traditionnel qui n'était pas encore équipé et avait conservé les fameux sampuru (reproduction des plats ) qu'il suffit de montrer pour commander dans les restaurants asiatiques . Je m'interroge encore sur l'intérêt de ces machines que les serveuses autant que les clients avaient l'air de ressentir comme une fatalité de l'évolution du monde. Ont-elles disparu pour revenir à l'harmonie antérieure ? je ne sais pas, mais je crains qu'elles aient plutôt été remplacées par une version "advanced" avec une option "touristes" comportant quelques images et une interface multilingue. Tout a fait d'accord, que toute innovation qui n'améliore pas la vie des gens n'a strictement aucun intérêt et contribue au rejet croissant de la technologie.
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2 moisEmmanuel C., une réflexion très pertinente sur l'équilibre entre technologie et humanité, merci de partager cela.