TELETRAVAIL DEPUIS L’ETRANGER : UNE FAUSSE BONNE IDEE ?

TELETRAVAIL DEPUIS L’ETRANGER : UNE FAUSSE BONNE IDEE ?

À l’heure où le télétravail devient incontournable et où les moyens de transport vont à nouveau réduire les distances, la question du cadre de vie peut paraître, pour certains salariés, indépendante de la localisation géographique de leur poste.

Le confinement a accéléré l’utilisation et la maitrise des technologies permettant le travail, les échanges et les réunions à distance, si bien que certains salariés sont tentés d’opter pour un choix radical en s’installant à l’étranger tout en souhaitant conserver leur contrat de travail français.

Si le libre choix de son domicile est un droit pour le salarié, les impacts pour l’employeur d’un départ à l’étranger sont à examiner attentivement dans la mesure où la seule différence entre un télétravail en province et un télétravail à l’étranger n’est pas uniquement la distance.

Un tel choix ne doit pas se prendre à la légère.

-     Pour le candidat au déménagement, les impacts professionnels sont nombreux : positionnement vis-à-vis des collègues, des clients, flexibilité, possibilité ou non de se rendre régulièrement dans l’entreprise…,

-     Pour l’employeur, outre le coût de l’opération, des impératifs juridiques doivent être pris en compte avant la prise de décision opérationnelle.

Le Code du travail n’envisage pas le télétravail sous l’angle international : il ne prévoit pas d’adaptation particulière et toutes les règles applicables en droit du travail et en droit de la sécurité sociale continuent à s’appliquer dans toute leur rigueur.

Des contraintes, parfois inadaptées, liées au télétravail d’un point de vue contractuel….

Si le contrat de travail est déjà en cours au moment du départ à l’étranger, il est peu probable que les parties puissent le modifier pour le soumettre au droit applicable au sein du pays d’accueil.

Les dispositions relatives au télétravail et plus généralement au Code du travail français s’appliqueront donc de manière inchangée.

L’employeur continuera à avoir l’obligation de prendre en charge les frais professionnels de son salarié, dont les frais de déplacement pour se rendre à l’extérieur de l’entreprise à des rendez-vous professionnels, des salons, une formation suivie à la demande de l’employeur… Ces frais seront impactés par le choix du salarié d’éloigner son domicile du lieu d’exercice de l’activité de l’employeur.

De même, la Cour de cassation estime que les déplacements d'un salarié travaillant à domicile qui doit se rendre dans le cadre de son activité au siège de l'entreprise constituent des déplacements professionnels que l'employeur doit prendre en charge (Cass. soc. 14 septembre 2005, n° 03-40180) : Là encore le choix par le salarié de son domicile peut avoir un impact financier direct pour l’employeur qui devra prendre à sa charge les frais de voyage, voire d’hébergement si le salarié ne peut regagner son domicile dans la même journée.

Si le salarié peut utiliser son propre équipement informatique pour l’exécution de son télétravail, l’employeur doit pouvoir en assurer l’adaptation et l’entretien mais aura également le souhait de vérifier la sécurité du réseau informatique que le salarié serait amené à utiliser pour accéder à son réseau ainsi qu’à ses propres fichiers confidentiels. En cas d’insécurité à impact pour l’entreprise, il y aura refus de l’employeur. A ce titre l’éloignement géographique complexifiera la tâche du service informatique.

Il en va de même de l’obligation pour l’employeur de veiller au respect de l'application aux télétravailleurs des dispositions légales et conventionnelles relatives à la santé et la sécurité au travail. A ce titre, l’employeur, les représentants du personnel compétents en matière d'hygiène et de sécurité et les autorités administratives ont en principe accès au lieu du télétravail, sous réserve de l’accord du salarié lorsque l’activité s’exerce à son domicile. Là encore, la distance et a fortiori le passage de frontière pourrait complexifier leur tâche, voire les décourager. La responsabilité de l’employeur est identique à celle concernant tous ses salariés en cas de manquement à l’obligation de sécurité.

Même si depuis le 24 septembre 2017, le nouvel article L.1222-10 du Code du travail n’en impose plus la fixation, il reste vivement recommandé de convenir avec le salarié de plages horaires sur lesquelles ce dernier pourra être joint par tous moyens (téléphone, visioconférence, mail…). Un décalage horaire peut complexifier l’organisation.

Il conviendra également d’être vigilant à ne pas créer d’inégalité de traitement avec ce télétravailleur qui est un salarié à part entière et a à ce titre vocation à bénéficier des mêmes avantages que ses collègues (activités sociales et culturelles du CSE, titres-restaurant [transformés éventuellement en « indemnités de panier »], chèques-vacances…).

Enfin, rappelons que, quelles que soient les dispositions contractuelles, les règles d’ordre public du pays où le salarié exerce réellement son emploi, c’est-à-dire son domicile, devront être respectées (salaire minimum qui s’élève par exemple à 2.142 euros au Luxembourg, durée du travail, …).

…. Qui se cumulent avec les contraintes liées à l’expatriation du point de vue de la protection sociale et des impôts.

Les règles afférentes à la sécurité sociale sont d’application territoriale, c’est-à-dire que le salarié relève du régime de sécurité sociale du pays où il travaille.

Aucune exception n’est prévue pour le télétravailleur et ni le Code de la Sécurité Sociale ni les textes internationaux ne prévoient de dérogation liée au caractère « virtuel » du télétravail.

Or, ce point a un impact crucial dans la mesure où le télétravailleur de l’étranger sera vraisemblablement amené à être examiné par un médecin étranger, acheter ses médicaments ou suivre des soins à l’étranger, se faire prescrire un arrêt de travail par un médecin étranger… Il faut donc qu’il soit couvert localement.

A partir du moment où le salarié exerce son activité professionnelle sur le sol étranger, y compris s’il est français et est en télétravail pour une entreprise française, il relève automatiquement du régime de sécurité sociale du pays à partir duquel il travaille et cesse de relever du régime français.

Il ne peut continuer à relever du régime français que s’il est dans une situation de détachement, l’employeur ayant demandé, à titre exceptionnel, le maintien de son rattachement au régime français.

Or, le principe du détachement, qui est une dérogation au principe de territorialité de la sécurité sociale, est apprécié strictement par les caisses des pays concernés.

Il implique une mission à l’étranger d’une durée limitée (24 mois au sein de l’UE par exemple pour un détachement « ordinaire » sans demande spécifique auprès du CLEISS). Comment dès lors justifier du caractère déterminé de la mission lorsque l’avenant de télétravail est conclu pour une durée indéterminée et que le salarié a déménagé pour une durée indéfinie ?

Si le détachement n’est pas ou plus possible, il reviendra à l’employeur d’immatriculer son salarié au régime de sécurité sociale de son lieu d’exercice. Outre la barrière de la langue, la spécificité des différents régimes existants, ainsi que les modalités pratiques de règlement des cotisations imposeront le recours à un cabinet de paie local et l’adaptation à d’autres règles parfois plus coûteuses.

Ces difficultés se retrouveront en ce qui concerne les garanties frais de santé et prévoyance applicables. L’employeur devra s’assurer que ces régimes couvrent les salariés et éventuellement solliciter une modification du contrat d’assurance si tel n’était pas le cas. Cette précaution paraît impérative, ne serait-ce qu’en raison de la diversité des situations selon les assurances, les obligations de l’employeur et les pays choisis (Europe-Etranger). A défaut d’assurer la couverture de son salarié, l’employeur s’expose à devoir se substituer lui-même à l’assureur et à prendre en charge les frais exposés par le collaborateur, sans préjudice d’éventuels dommages et intérêts…

Si des solutions existent en fonction des souhaits des parties (détachement sui generis, inscription à la caisse des français de l’étranger,…) elles doivent être sérieusement examinées et discutées avec le collaborateur avant toute prise de décision.

Enfin, le départ à l’étranger pourra avoir un impact sur la situation fiscale du collaborateur dont l’employeur devra tenir compte a fortiori depuis l’application du prélèvement à la source.

Si les modalités pratiques de l’exercice d’une activité professionnelle de l’étranger ne semblent a priori pas poser de difficultés insurmontables, force est donc de constater que le droit n’évolue pas aussi vite que la technique et n’a pas encore acquis la souplesse que peuvent procurer les outils numériques.

Même s’il est désireux de contenter un salarié autonome, le choix d’accepter d’accompagner le projet du collaborateur ne doit donc pas être pris à la légère par l’employeur. Celui-ci doit donc sérieusement examiner les conditions afférentes à toute demande de départ à l’étranger et bien garder en mémoire que s’il ne peut pas s’opposer à la liberté de son salarié de choisir son domicile, il peut en revanche refuser le télétravail sous réserve de disposer de justifications objectives. Nul doute que la complexité de la situation ci-dessus décrite pourrait en constituer une.

Justine Godey

Identifiez-vous pour afficher ou ajouter un commentaire

Autres pages consultées

Explorer les sujets