TELETRAVAIL: PANACEE ou PANDORE?

TELETRAVAIL: PANACEE ou PANDORE?

Nécessité faisant loi, les réticences habituelles de beaucoup d’employeurs envers le télétravail se sont envolées et tout le monde a pu constater que dans beaucoup de cas c’était moins compliqué qu’on ne voulait le croire auparavant.

La nécessité de maintenir une partie de l’activité

Évidemment, les managers ont reconnu que le télétravail était souvent, dans le contexte lié au covid-19, la seule façon de maintenir une partie de l’activité. On a donc bousculé les habitudes et trouvé en urgence de multiples moyens pour contourner voire ignorer temporairement les obstacles.

Ces obstacles néanmoins, sans être insurmontables, n’ont pas totalement disparu et on va bien devoir envisager la question de l’après covid-19 et du « nouveau normal » qui se dessine peu à peu. Avec le déconfinement on ne peut plus laisser toutes les difficultés sous le tapis très longtemps.

Des implications parfois complexes du télétravail

Les questions sont multiples : elles vont de la situation fiscale des travailleurs frontaliers à la

participation de l’employeur aux frais liés directement au télétravail en passant par les aspects psychologiques et sociaux du travail isolé et la délicate question de l’évaluation des performances individuelles. Une extension significative du télétravail aura des conséquences encore mal appréciées sur tous ces points, qui ne sont que quelques-uns des exemples à considérer.

Travail frontalier ? Entre la France et la Belgique, par exemple, il y a une tolérance de 30 jours pour le travail hors zone frontalière, au-delà de laquelle la fiscalité de l’Etat où le travail est effectué doit s’appliquer. L’application stricte de ce principe a été suspendue temporairement pendant la crise du covid-19, mais la question se reposera. Les conventions bilatérales avec d’autres Etats, tels que l’Espagne, l’Allemagne, le Luxembourg, la Suisse, l’Italie, devront peut-être aussi faire l’objet d’adaptations.

Télétravail et logistique

La « logistique » du télétravail est un point important : il faut des matériels et logiciels adaptés (écrans, applications de vidéoconférence…), des communications, du chauffage ou du conditionnement d’air ; tout cela a un coût et, lorsque les conditions ne sont pas ou mal remplies, des conséquences sur la productivité. Quand le télétravail est principalement lié à la demande de l’employeur, il est plus que raisonnable qu’il prenne en charge l’essentiel de ces coûts, mais le diable est bien évidemment dans les détails. Et, si la demande de télétravail augmente du fait de l’employé, une forme de négociation peut devoir se mettre en place. De nombreuses entreprises avaient bien sûr déjà abordé la question depuis longtemps, mais on va sans doute changer d’échelle en la matière.

Management, un saut culturel

Force est de constater qu’il y avait certains freins dans beaucoup d’entreprises avant le covid-19, en particulier la perception de « perte de contrôle » par les managers intermédiaires, par manque à la fois d’outils et de culture pour évaluer la performance en l’absence d’une visibilité directe sur le temps passé au travail. La clé est justement ce « temps », qui est la base du statut salarié mais qui, dans beaucoup de cas et justement ceux qui se prêtent au télétravail, n’est qu’une composante parmi bien d’autres, et souvent mineure, de la productivité effective.

Les entreprises qui avaient déjà franchi ce saut culturel n’auront pas eu de difficultés majeures à généraliser le télétravail pendant cette crise hors normes. Les autres ont dû tenter d’acquérir cette maturité dans l’urgence, et n’auront probablement d’autre choix que de consolider cet acquis pour s’adapter à la situation post-covid au fur et à mesure que le « nouveau normal » se précise.

« Nouveau normal »

Il y a une demande assez forte des employés, notamment séduits par un trajet domicile-travail se mesurant en mètres et en secondes. Les employeurs ou managers n’auront plus beaucoup d’arguments pour se monter réticents. Par contre diverses difficultés sont aussi apparues au grand jour, et en premier lieu les impacts sur la vie de famille, loin d’être tous positifs. Les cas de divorces ont augmenté. De nombreux parents ont vécu plutôt négativement l'incompatibilité avec l'occupation des enfants. Et même si dans une perspective « post covid » on n’y revient pas de manière aussi intensive, il est clair que le télétravail perturbe l'organisation domestique et les déplacements (amener les enfants en classe, repas en cas d’absence de cantine).

Le « nouveau normal » peut aussi engendrer des coûts sociaux, voire une baisse de productivité, et nous n’avons pas fini d’en parler.

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Stéphanie HENG, politologue, experte en communication

et Alban de la SOUDIERE, polytechnicien, fonctionnaire international

Les auteurs s’expriment à titre personnel.

Article publié dans Le Tarn Libre Week-end du 14 août 2020.

Une première version de cet article est parue dans l’AGEFI Luxembourg (www.agefi.lu) édition juillet-août 2020.


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