Thème N°39: La « chkara » et la monnaie électronique
PARTIE 2/2: les moyens de paiement en Algérie
Journal: Regards sur l'économie algérienne
Rubrique: Analyser
Auteur: Farouk NEMOUCHI
Au moment où l’industrie des moyens de paiement connait un essor remarquable et annonce de grands bouleversements dans le futur, l’Algérie peine à s’inscrire dans cette nouvelle dynamique.
Les investissements importants réalisés au début des années 2000 dans le domaine de la monétique n’ont pas modifié les habitudes des algériens des lors qu’ils restent attachés à l’argent liquide comme le montre ce graphique.
- La part de la monnaie sous forme de billets en circulation dans la masse monétaire est passée de 24% fin 2000 à 29,6% fin 2018.
C’est une évolution à contre-courant de la tendance qui prévaut dans la plupart des pays et dénote de l’échec des politiques adoptées en faveur de la promotion de la monnaie scripturale et cela en dépit de mesures contraignantes qui n’ont pas produit les résultats escomptés.
- Parmi ces mesures il convient de citer une première loi qui a imposé le chèque pour les transactions dont la valeur est supérieure à 50 000 DA ensuite une deuxième loi qui fixe ce seuil à 500 000 DA.
Ces deux tentatives ayant lamentablement échoué avant même leur entrée en application, le ministère des finances revient à la charge avec un décret qui rend obligatoire l’utilisation du chèque pour les montants supérieurs à un million de dinars à partir de juillet 2015.
Note explicative :
Il faut préciser pour les non-initiés que la monnaie utilisée sous forme de billets appelée monnaie fiduciaire dans les transactions de tous les jours n’est qu’une des composantes de la masse monétaire. Il existe deux autres composantes qui occupent une place relativement importante : la monnaie scripturale et la quasi-monnaie.
- La monnaie scripturale est constituée par les dépôts à vue dans les banques, au trésor et les comptes courants postaux (CCP).
- La quasi monnaie est constituée par les comptes à terme (dépôts à terme, bons de caisse) dans les banques commerciales.
A la fin 2018, la masse monétaire en Algérie atteint 16636,7 milliards de DA avec:
- Billets en circulation : 4926,8 milliards de DA
- Monnaie sous forme de dépôts : 6477,3 milliards de DA
- Quasi –monnaie : 5232,6 milliards de DA
En 2015, le gouvernement prend une mesure de bancarisation des capitaux qui se trouve dans la sphère informelle en proposant à leurs détenteurs un programme de conformité fiscale volontaire. Les sommes déposées, dans ce cadre, auprès des banques par toute personne, quelle que soit sa situation, font l’objet d’une taxation forfaitaire libératoire au taux de 7%.
Quelles sont les dangers du recours abusif de l’argent liquide dans une économie ?
- Lorsque la clientèle privilégie les billets comme moyen de paiement et pratique la thésaurisation, il en résulte une sortie d’argent du circuit bancaire. Les retraits effectués par les déposants sont contraignants pour les banques qui enregistrent des fuites monétaires et lorsqu’elles sont confrontées à un besoin de liquidité elles s’adressent à la banque d’Algérie par le biais du refinancement. Or cette technique a l’inconvénient d’augmenter la quantité de monnaie en circulation et devient une source d’inflation.
- L’utilisation de la monnaie fiduciaire comme moyen de paiement ne favorise pas la traçabilité et la transparence des transactions commerciales. Elle garantit l’anonymat alors que le chèque renseigne sur la traçabilité d’où l’hostilité manifestée à son égard. Cette pratique devenue courante n’est ni le fait des salariés, des retraités et tous les titulaires de faibles revenus qui peinent à boucler le mois et dont la capacité d’épargne est nulle, ni d’individus isolés, de vendeurs à la sauvette ou de marchands ambulants.
Les accusations portées contre des lampistes ont pour seul but de disculper les vrais responsables de cette situation et occulter les distorsions structurelles de l’économie nationale engendrées par les actions de puissants lobbys avec le soutien des différents appareils de l’Etat et des aventuriers étrangers qui se font passer pour des hommes d’affaires.
- C’est une nébuleuse aux ramifications complexes qui accumule des richesses en dehors de tout cadre réglementaire, portent un grave préjudice au trésor public et imposent des pratiques monétaires aux antipodes de l’évolution constatée dans les autres régions du monde.
- L’évasion fiscale, la fuite des capitaux, la surfacturation des importations, la sous-estimation du résultat imposable sont autant d’artifices utilisés et qui ont connu un grand essor au cours des 20 dernières années.
Il ne faut alors pas s’étonner que le système de la « chkara » prospère et que le système bancaire demeure impuissant à promouvoir l’usage du chèque et des moyens de paiement électroniques. La grande innovation apportée par ces lobbys réside dans la méthode de comptage des billets par pesage ou par la mesure de la longueur de grosses liasses à l’aide d’un pied à coulisse.
Une autre raison et non des moindres à l’origine des paiements en argent liquide est la faiblesse de l’inclusion financière. Introduite dans les années 90, la notion d'inclusion financière désigne la population adulte détentrice de comptes auprès des institutions financières formelles : banques, autres institutions financières et institution postale (Algérie poste). La population incluse financièrement a accès aux services financiers offerts par le secteur financier formel tels que les instruments modernes de payement, le crédit et les produits d’épargne. L’information la plus complète disponible sur l’inclusion financière dans le monde est produite par la banque mondiale avec le soutien financier de la fondation Bill & Melinda Gates (voir le rapport : the little data book on financial inclusion, 2018).
D’après les résultats d’une enquête menée par cette institution internationale portant sur 140 pays, en Algérie le nombre d’adultes titulaires de comptes auprès des institutions financières formelles en pourcentage de la population adulte (plus de 15 ans) est de 43% en 2017 en baisse de 7 points par rapport à 2014. Pour les femmes cet indicateur atteint 29%. Le refus d’ouvrir un compte pour des raisons religieuses concerne 5% de la population et seul 2% utilisent Internet pour le paiement des factures.
Cette étude indique que plus de la moitié de la population algérienne est exclue du système financier et si l’on retient le critère de la bancarisation qui fait référence aux adultes titulaires de comptes bancaires, le taux d’exclusion financière est encore plus élevé.
- Cette situation justifie la note adressée par la banque d’Algérie aux banques et établissements financiers pour un développement de l’inclusion financière à travers une bancarisation soutenue des acteurs économiques et des ménages,
- L’institution postale (Algérie poste) peut y contribuer en exploitant les 23 millions de comptes courants postaux et s’inspirer de l’expérience des pays africains qui se sont appuyés sur la téléphonie mobile pour offrir des services financiers diversifiés aux salariés, artisans, petits commerçants et agriculteurs.
- Le développement d’un système financier inclusif n’est pas seulement une question d’infrastructure technologique ou d’une réforme bancaire stricto sensu car les pratiques monétaires dominantes dans un pays ne sont pas neutres; elles sont déterminées par son organisation politique, économique, sociale et culturelle.
Le passage de la « chkara » à la monnaie électronique requiert le démantèlement des bases matérielles des puissants groupes à l’origine de la déstructuration économique.
Seule cette perspective est susceptible de conduire progressivement à l'extinction de toutes les activités informelles et assurer la modernisation des moyens de paiement. La réalisation de cet objectif implique le dépassement de la thèse selon laquelle le système bancaire constitue le principal obstacle à la croissance économique.
Il faut changer de paradigme par la remise en cause du lien de causalité et admettre l’hypothèse que c’est la faiblesse de l’économie de production qui est la cause du sous-développement de l’intermédiation financière.
Maitrise d'ouvrage
5 ansMerci pour le partage
Phd in Computer Science | Skilled in Learning Facilitation, Event Coordination & Stakeholder Management
5 ansLe droit au savoir, le droit de savoir! avec Nemouchi farouk