Tiens, c’est marrant, on peut attendre des heures un bus qui n’arrive pas.

Tiens, c’est marrant, on peut attendre des heures un bus qui n’arrive pas.

Comment expliquer cette obstination dans l’absurde ? C’est bel et bien notre entêtement à vouloir prendre le bus qui nous empêche de partir. En effet, à partir du moment où nous prenons une décision, il nous est difficile d’y déroger[1]. Ce lien entre nos décisions et nos actes agit comme un engagement que nous prenons envers nous-même. Le respect de cet engagement est si obsessionnel que même les faits ne pourront pas le remettre en question. Aussi, le bus peut mettre une heure à arriver, peu d’entre-nous continueront à pied ou appelleront un taxi. Les chercheurs en psychologie sociale parlent alors d’effet de gel[2] : « Tout se passe, effectivement, comme si la décision gelait le système des choix possibles en focalisant l’individu sur le comportement le plus directement relié à sa décision.[3]».

Autrement dit, il est délicat de faire marche arrière après s’être engagé dans une action. Et même si sa réalisation s’avère plus contraignante que prévue, on aura tendance à persévérer. Vous acceptez, par exemple, d’aider ami à déménager « deux ou trois bricoles » et une fois sur place vous vous apercevez qu’il y a dans le lot un canapé et deux armoires. Que faites-vous? Vous le laisser en plan? Bien sûr que non. Vous restez l’aider et ce, quand bien même habiterait-il au 6ème étage sans ascenseur.

Pour vous convaincre, votre ami a, sans le savoir, manipulé votre prédisposition à l’effet de gel. Afin de vous inciter à prendre une décision définitive en sa faveur, il a minimisé voire dissimulé les véritables inconvénients de son déménagement. Ce procédé, baptisé « low-ball »[4], est l’une des nombreuses techniques d’amorçage comportemental consistant à provoquer une action A chez un individu pour obtenir de lui l’exécution d’une action B.

L’une des plus célèbres est la technique du « pied-dans-la-porte » : faire précéder une requête par une autre, bien plus petite, favorise son acceptation[5]. Des chercheurs ont ainsi démontré que l’on multiplie par quatre ses chances d’obtenir un peu d’argent d’un passant dans la rue, en lui demandant préalablement l’heure qu’il est[6].

En somme, la psychologie sociale nous en apprend beaucoup sur la nature profonde des hommes en société : même les personnes les plus innocentes peuvent être, en réalité, de redoutables manipulateurs.

[1] JOULE R.V., BEAUVOIS J.L (2002) « Petit traité de manipulation à l’usage des honnêtes gens », PUG.

[2] LEWIN K. (1967). « Group decision and social change », dans T. Newcomb, E. Hartley, Reading in social psychology.

[3] Ibid.

[4] Cialdini, R. B., Cacioppo, J. T., Bassett, R., & Miller, J. A. (1978). Low-ball procedure for producing compliance: Commitment then cost. Journal of Personality and Social Psychology.

[5] FREEMAN J.L., FRASER C.C. (1966). « Compliance without Pressure: The Foot-in-the-Door Technique», Journal of Personality and Social Psychology.

[6] JOULE R.V., BEAUVOIS J.L (1998) « La soumission librement consentie », PUF.

Laurence Wagner

Administratrice de La Fabrique Spinoza. Pilote de la démarche RSO de La Fabrique Spinoza.

8 ans

Un classique toujours d'actualité 😏

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