Tracer son chemin

Tracer son chemin

Merci à toutes les personnes qui, suite à notre lettre de la semaine passée, nous ont partagé des ressources, outils, commentaires, idées ou lectures. Et merci aux centaines de nouveaux abonnés qui nous ont rejoints depuis. Bienvenue à vous ! Bonne lecture !

Une semaine après avoir dressé un projet alternatif à celui porté par Elon Musk, voici une grille de 12 repères qui, nous l’espérons, pourront aider les utilisateurs de X à tracer leur chemin. Précisons d’abord que, parmi eux, figure toujours celui de simplement continuer d’utiliser X en adaptant ou non son expérience (par exemple en procédant à quelques désabonnements ou blocages). À côté de quoi, d’autres considéreront qu’il vaut mieux :

  1. Rester pour résister. C’est la position choisie notamment par celles et ceux qui souhaitent lutter sur place et ne pas laisser les propos erronés et toxiques se propager en toute impunité sur un réseau encore utilisé à ce jour par la plupart du personnel politique et des journalistes.
  2. Rester pour mieux partir. C’est la démarche impulsée par David Chavalarias et le collectif HelloQuitX. Sur le site, vous retrouverez le manifeste, un tract à afficher et l’exposé de la démarche, étape par étape. En l’état, il s’agit de faire circuler l’appel à un départ le 20 janvier, jour de l’investiture de Donald Trump. La période qui nous sépare de cette date sera mise à profit pour, entre autres choses, se mobiliser mais aussi préparer son départ en téléchargeant ses données (voir ci-après).
  3. Maintenir un compte et renvoyer vers un ailleurs. C’est une option recommandée par le site Deletetwitter.com pour qui il peut être intéressant de maintenir un compte dormant. Ce qui permet de ne pas se faire approprier son nom par exemple et de garder accès à l’historique de votre compte. Cette option est aussi l’occasion d’indiquer où vous trouver désormais et de faire passer un message.
  4. Tirer le rideau. Parce que l’on peut vouloir mettre la clef sous la porte et partir sans demander son reste, tout simplement. La désactivation de votre compte est possible avec un effet immédiat et une suppression 30 jours après la désactivation.

Que ce soit pour prendre la tangente ou pas, vous voudrez peut-être :

  1. Récupérer le plus grand nombre de données. C’est ce que permettent certains outils, un peu techniques, comme Tweetback qui nous a été recommandé sur Mastodon. Merci pour ça ! L’avantage est de pouvoir publier ses posts sous forme de site internet pour constituer une archive publique.
  2. Aller au plus simple et télécharger l’archive de Twitter. Pour y procéder, c’est par ici. Twitter vous donnera accès, en 24h généralement, aux données « de votre compte, de son historique, de son activité, et des données relatives aux applications et appareils, aux centres d'intérêt et aux publicités. »
  3. Trouver ou retrouver des personnes là où vous irez. De nombreux outils existent en ce sens pour les différents réseaux alternatifs et particulièrement pour aller sur Bluesky. Mais chercher à transposer ce que l’on souhaite quitter là où l’on souhaite aller n’a pas nécessairement toujours un grand intérêt. Une solution intéressante sur Mastodon, même hors contexte de migration, est le Followgraph qui permet de trouver les personnes suivies par celles que vous suivez. Ce qui offre à voir l’une des fonctionnalités que l’on pourrait apprécier sur les réseaux dominants, s’ils étaient suffisamment ouverts pour cela.
  4. Partir sans bagage à la découverte de nouveaux horizons. Il est là encore possible de vouloir couper les ponts pour mille et une raisons, ne rien emporter de cette vie d’avant, avec le goût, voire l’excitation, de la découverte d’autre chose et la confiance de s’y retrouver quoi qu’il en soit.

Enfin, voici quelques éléments pour alimenter les réflexions en cours de route, avant de la prendre, ou en restant là où vous êtes :

  1. La portabilité, l’interopérabilité, l’ouverture des réseaux sociaux sont des sujets de régulation pour l’essentiel entre les mains de la Commission européenne. C’est à elle de faire en sorte que nos expériences soient libres. C’est une question de régulation économique dont l’impact démocratique est considérable. Sans quoi, pour beaucoup de professionnels quitter un réseau peut n’être qu’un vœu pieu et il faut dans ce cas un certain courage pour le faire dans les conditions offertes aujourd’hui. Raison pour laquelle les cases portabilité et interopérabilité sont incontournables.
  2. La toxicité d’un réseau social donné est indissociable des principes guidant l’environnement médiatique et politique dans son ensemble. Protéger les réseaux sociaux, et plus généralement l’environnement médiatique, des effets délétères de l’économie de l’attention est un incontournable sur lequel le Conseil a commencé à travaillé il y a plus de 3 ans maintenant (lire le dossier). Mais cela exige de modifier le modèle économique des médias de masse (dont font partie les réseaux sociaux dominants centralisés et asymétriques), que ce soit pour envisager leur passage au payant avec des modalités d’accessibilité garanties ou le passage à une logique, potentiellement complémentaire, de contribution collective à l’effort de développement et de fonctionnement. Au surplus, l’extraction de nos démocraties des vicissitudes de l’économie de l’attention n’entraînera pas ipso facto une propension naturelle des médias à nourrir la démocratie. La dégradation de la démocratie tient à une économie générale et à un refus du politique de sortir d’une logique de polarisation. Ce en quoi nous retrouvons une autre proposition de David Chavalarias faite dans Toxic Data d’adopter des modes de scrutin moins polarisants.
  3. L’avenir peut être aux protocoles ouverts. Les réseaux sociaux dominants sont devenus des citadelles centralisées où tout est contrôlé par l’entreprise qui en est la propriétaire. Ce modèle n’est aucunement une fatalité ou dans la nature des choses. C’est le fruit d’une logique de plateformisation du web qui a ses avantages, c’est certain, mais aussi de très gros inconvénients, dont la centralisation de la décision concernant nos relations sociales et nos vies démocratiques entre les mains d’entreprises dont la vocation n’est pas, par nature, la protection de notre bien-être. Il est tout à fait possible à l’inverse de penser les réseaux sociaux non pas comme des plateformes mais comme des protocoles. C’est le principe défendu il y a cinq ans par Mike Masnick dans son article Protocols, not platforms. N’oublions pas que les protocoles libres sont, comme le rappelle Henri Verdier , la voie constitutive d’Internet, la première des voies. C’est la voie des flux RSS, du pair-à-pair, du mail, du Wi-Fi, d’ActivityPub, bref la fondation de nos activités en ligne. Avant de subir des phénomènes d’appropriation capitalistique, Internet est avant toute chose un monde de protocoles libres. Et les expériences sociales de demain seront peut-être fondées elles aussi (et de nouveau) sur des protocoles libres auxquels sont associés une gouvernance ouverte.
  4. Comme y invite Olivier Ertzscheid en référence à Marc Jahjah : « Faites-nous donc l’honneur de nous raconter cette histoire. » Outre cet appel, que l’on ne saurait jamais trop relayer, dans son billet X et son exode. Comment quitter une forêt lorsque l’on est un arbre, Olivier Ertzscheid interroge le fait d’être utilisateur d’un réseau dans lequel nous ne sommes pas encore « impliqués », les ressorts des « exodes numériques » qui « ne nous engagent pas à quitter un territoire pour en rejoindre un autre » et ne diminuent pas la puissance des réseaux que l’on cesse alors d’utiliser, la nécessité de penser « l’écologie de l’esprit », et cette question donc : « comment quitter une forêt lorsque l’on est un arbre ? » C’est alors que l’auteur nous invite à penser la « topologie », pour considérer notamment que « Nous nous trompons si nous considérons que Twitter hier ou X aujourd’hui sont autant d’espaces forclos, c’est à dire d’espace dont nous pouvons être maintenus à l’extérieur parce qu’ils auraient été désignés comme devant être quittés, et l’auraient été parfois. » Quant au départ « Partir et garder nos discussions, partir et garder nos followers, partir et garder notre capital social [qui n’est pas le nôtre au surplus] ce n’est pas partir, c’est vivre mal l’expérience d’un déplacement raté. » Et cet appel donc au partage de ces mouvements, quels qu’ils soient.

🔎 La veille du Conseil

Des algorithmes ? Ou ça des algorithmes ? Cette semaine, les chercheuses Camille Girard-Chanudet , Estelle Hary et Soizic Pénicaud annonçaient la fondation de l’Observatoire des algorithmes publics (ODAP), qui vise, par son premier projet, à réaliser « un inventaire des algorithmes utilisés par les administrations françaises. » Après une analyse de 72 algorithmes, l’observatoire indique que « Moins de la moitié des algorithmes recensés soumis à l’obligation de transparence posée par le code des relations entre le public et les administrations (CRPA) respectent cette obligation. Seuls 4% des algorithmes répertoriés dans l’inventaire ont fait l’objet d’une évaluation interne diffusée publiquement. Il est également presque impossible de savoir combien ces systèmes ont coûté (3 projets seulement sur 72 ont diffusé un budget), sur quelles données ils ont été entrainés, ou pourquoi un algorithme a été choisi plutôt qu’un autre. » Des résultats qui appellent à tout le moins à une discussion collective et à une mise en débat. Rappelons d’ailleurs que la transparence était le premier des principes recommandés par la Cour des comptes sur les 7 principes qu’elle listait pour une IA de confiance dans son rapport sur les 35 programmes d'IA déployés au ministère de l'Economie et des Finances et de l'Industrie. Enfin, insistant là aussi sur le besoin premier de transparence, entre autres éléments fondamentaux, la dernière édition de Dans les Algorithmes partage une analyse approfondie de l’ouvrage du syndicat Solidaires Finances Publiques L'intelligence artificielle aux impôts (Syllepse, 2024). Gardons en tête cette citation : « L’apparente complexité de ces outils ne saurait les faire échapper au débat démocratique. »

Intégrer de l’IA dans les services publics, à quelles conditions ? Le 23 octobre dernier, le Comité économique et social européen a rendu un avis exploratoire à la demande de la Commission européenne intitulé « L’IA pour les services publics, l’organisation du travail et des sociétés plus égalitaires et inclusives. » Parmi les grandes recommandations du Comité, se trouve une injonction à la prudence lors de la création et l’entraînement des algorithmes afin d’éviter les discriminations ou biais susceptibles d’être néfastes pour les travailleurs. Un second axe insiste sur l’importance de porter une attention particulière à la protection des données sensibles. Enfin, l’avis du Comité invite à développer une culture de la transparence autour de ces outils, ainsi qu’à mettre en place des formations adéquates. « Vis-à-vis de l’implantation de l’intelligence artificielle, il est indispensable de créer un climat de confiance si l’on veut promouvoir en la matière un système qui soit sûr et respectueux des droits fondamentaux » peut-on lire écrit dans l’avis. En effet, tout au long du rapport, la notion de « dialogue social » est invoquée pour appeler à échanger démocratiquement autour de ces outils, un constat qui n’est pas sans faire écho à l’ouvrage Travailler à l’heure du numérique. Corps et machines, à la feuille de route transitions numériques au travail du Conseil national de la refondation numérique ainsi qu’à l’ambition portée par Café IA

IA et éducation au Sénat ! La délégation sénatoriale à la prospective a déterminé un programme de travail intitulé « L’IA et l’avenir du service public » en 2024. Dans ce cadre 5 axes de travail ont été déterminés dont « IA, impôts, prestations sociales et lutte contre la fraude », « IA et éducation » ou encore « IA et systèmes de santé », chacun de ces axes donnant progressivement naissance à une publication officielle. Ce mois-ci, c’est le groupe de travail « IA et éducation » qui a publié un rapport riche d’enseignement puisque ce dernier relève à la fois les nombreuses applications de l’IA à l’école, et les potentialités ouvertes pour assister les enseignants, tutorer les élèves, ou assister à la gestion des systèmes éducatifs tout en mettant l’accent sur l’absence d’un véritable climat de confiance permettant une intégration responsable de l’IA dans les écosystèmes éducatifs. Afin de construire cette confiance, les sénateurs appellent notamment à mieux accompagner les personnels éducatifs et à faire émerger une culture citoyenne de l’IA chez les élèves et les professionnels de l’éducation. 

Chez Canopé, des ressources pour tout le monde, accessibles en un clic ! Réseau Canopé à pris l’initiative de centraliser toutes les ressources et formations à l’IA créées en son sein. Nous ne pouvons que vous recommander de vous y plonger. Ce catalogue régulièrement mis à jour permet à la fois de ne rien rater des ressources produites par l’opérateur public, mais aussi d’en faciliter l’accès à toutes et tous ! A ce jour, on y trouve un ensemble de formations à destination des enseignants pour « démythifier » les intelligences artificielles, via des supports visuels, vidéos, écrits ou encore audios. Un catalogue d’outils utilisant l’IA pour accompagner les personnels éducatifs est également proposé, directement tiré de l’initiative Une IA par jour de Bertrand Formet qui teste et partage tous les jours depuis un an des outils comportant des systèmes d’IA génératives. Ce travail rigoureux de sélection, d’exploration et de recensement réalisé est une véritable richesse, rendant accessible à tous un large catalogue d’outils d’IA, maintenant classifiés en fonction des usages.


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🏃 En bref... Le reste de l’actualité du Conseil en 1 minute chrono !

Les replay de la 7e édition de Numérique en Commun[s] sont en ligne ! Vous n’étiez pas à Chambéry ou vous souhaitez revisionner nos interventions ? Le grand format « La viralité des réseaux menace t'elle nos libertés numériques ? » ainsi que le Café-théâtre IA : « comment se mêler de ce qui nous impacte ? » sont désormais disponibles en vidéo.

Les cafés animations continuent ! Jeudi dernier, nous recevions Thierry Simon, Michaela Vollbrecht et Thierry Paris, un grand merci pour la richesse des échanges générés par vos retours d’expérience ! Rendez-vous jeudi prochain à 13h30 avec Nicolas Chagny , président de la Internet Society (ISOC) France et de NS Pulse et anthony claverie , directeur adjoint Innovation organisationnelle à CCAS d'Antibes Juan-les-Pins , qui ont déjà organisé plusieurs cafés IA. Pour vous inscrire, c’est par ici.

La semaine dernière, Franceinfo, Next Inpact, Bon Pote et Hubert Guillaud sont revenus sur lettre de la semaine passée et notre appel à plus de portabilité et d’interopérabilité ✦ La secrétaire d'État à l'intelligence artificielle et au numérique Clara Chappaz dressait sa feuille de route (Les Échos, L’Express et sur LinkedIn). L’occasion d’affirmer son soutien à la promotion d’un numérique inclusif, responsable et durable et à la démarche Café IA ! ✦ L'IA, vraie fausse alliée du climat ? Dans Les Échos, Gilles Babinet défend l’idée que « si les Américains et les Chinois sont obligés de payer leurs externalités en Europe, ils vont finir par s'adapter. Apple ne va pas concevoir des iPhone spécifiques pour les Européens. » ✦ « Partout où il y a un écran, redoublons de lien social et affectif. » Dans le dernier numéro du Figaro Magazine dédié aux enfants et aux écrans, Jean Cattan invite à repenser les modèles économiques des réseaux sociaux hégémoniques fondés sur la captation de l’attention, à penser la place que nous pouvons occuper dans l’espace public et à placer la vigilance des parents sur la qualité des interactions des enfants, en ligne et au-delà. ✦ « L’IA générative va contribuer à modeler nos relations sociales et notre relation au savoir. » Le café pédagogique est revenu sur la table ronde « Éduquer à l’intelligence artificielle - Comment préparer les enseignants, les élèves et les étudiants à la généralisation de l’IA ? » qui s’est tenue au salon Educatech Expo . Aux côtés de Margarida Romero , Axel Jean , Jean-François LUCAS et Dorie Bruyas , Jean Cattan y a rappelé le besoin de cultiver la richesse qui réside en chaque élève. ✦ Dans le cadre de l’événement NEC ESS, qui se déroule du 25 au 30 novembre à Paris, Lille et Bruxelles, retrouvez Jean Cattan mardi soir à Paris pour une table ronde et Louis Magnes vendredi à Lille pour un Café IA spécial ESS.

👋 Avant de partir

✋ Pour la 100e de Cénum, nous vous partagions la semaine dernière un formulaire pour façonner la prochaine version de notre lettre d'information ! Rubriques, fréquence, longueur, Café IA… toutes vos suggestions sont les bienvenues et nous aident à construire une lettre qui répond à vos attentes. Si vous souhaitez contribuer, n'hésitez pas à prendre quelques minutes pour répondre à notre questionnaire, c’est anonyme et rapide.

Vous avez apprécié la lettre d’information de cette semaine ? Partagez-la à un ami ou un collègue. Ils peuvent s’inscrire ici.

Comme d’habitude, n’hésitez pas à nous faire vos retours. Vous avez des questions, des remarques ou des suggestions ou vous souhaitez que nous abordions un sujet en particulier ? Nous sommes à votre écoute ! N’hésitez pas à nous écrire à info@cnnumerique.fr

Cette lettre d’information a été préparée par Jean Cattan, illustrée par Magali Jacquemet et réalisée avec le soutien de Louis Magnes, Zora Decoust et Gabriel Ertlé.

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