Transparence des salaires : aux frontières du réel
Le salaire fait jaser. Surtout lorsque certains employés suspectent qu’ils sont moins payés que d’autres à un poste similaire. De nombreuses sociétés à l’étranger font le pari de la transparence totale. Bonne ou mauvaise idée, analyse d'un sujet rarement discuté au Luxembourg.
Quand les employés décident de leur salaire
Dans une entreprise traditionnelle, quand les dirigeants disent que ça va mal, les collaborateurs peuvent en douter. L’avantage de la transparence, c’est que tout le monde connaît la situation exacte de sa société et peut y adapter ses demandes.
Certaines entreprises françaises jouent la carte de la transparence à fond en permettant à leurs collaborateurs de décider de leur salaire pour l’année suivante. Dans les faits, ces employeurs publient les salaires et les employés les fixent ensemble. Chacun peut ainsi évaluer sa contribution à l’entreprise et l’adéquation de sa rémunération avec celle-ci. C’est le moment opportun pour mieux comprendre les demandes et échanger librement. En éliminant les crispations autour de l’argent, les demandes sont faites en conscience des paramètres, des chiffres et de la santé de l’entreprise. Les bénéfices ? Aucune fake news ou rumeur ne circule dans l’équipe. Vous évitez également les grands écarts de salaire entre des personnes ayant les mêmes tâches et responsabilités. Un monde de bisounours ? Au contraire, c’est prendre les gens pour des adultes et leur faire confiance. Cette méthode s’inscrit dans une démarche globale d’entreprise libérée, avec un objectif principal : faire de la société un outil d’utilité collective.
Salaire médian et moyen… la vérité est ailleurs
Au Luxembourg, la question des salaires est l’un des plus grands tabous en entreprise. Impossible de savoir réellement combien gagne son collègue de bureau tant le salaire est placé sous le sceau de la confidentialité par l’employeur. Ne soyons pas naïfs, les salariés parlent entre eux et se révèlent leurs augmentations et bonus. Les entreprises les plus pionnières et audacieuses communiquent les salaires médians et moyens à leurs employés. Un premier pas vers la transparence, direz-vous! Sauf que la méthode fait débat. Pour cause, elle ne permet pas de mesurer les écarts réels entre les bas et hauts salaires, et la progression de ceux-ci. Fortement influencé par les valeurs extrêmes, le salaire moyen à lui seul ne nous apprend pas grand-chose sur les écarts de revenus. Le salarié qui prend connaissance du salaire moyen dans son entreprise ne peut donc pas se situer par rapport à ce chiffre.
Le salaire médian, quant à lui, divise les employés en deux, avec 50% des salaires au-dessus de ce chiffre et 50% des salaires au-dessous. À l’échelle grand-ducale, ce salaire médian se situe à 47.624 EUR annuels. Or quand on compare salaire médian et salaire moyen, qui avoisine les 60.000 EUR, la différence révèle d’importantes inégalités. Ainsi, le salaire moyen très supérieur au salaire médian incite à jeter un œil du côté des très hauts salaires. Sans grande surprise, le secteur financier est très largement au-dessus de cette moyenne.
La transparence des salaires pour gommer les inégalités
La start-up anglaise Buffer, plate-forme de gestion de réseaux sociaux, rend totalement publics les salaires de l’ensemble de ses employés. À la faveur d’un Google Docs accessible à tous, on y apprend ainsi que Joel, le PDG et cofondateur de l’entreprise, gagne 276.250 dollars. Quant à Alfred, le content marketer, il est rémunéré à plus de 81.000 dollars. Julianna, l’ingénieure software, gagne, elle, près de 75.000 dollars. Dans ce même fichier, l’entreprise dévoile ses calculs en prenant en considération le domaine d’activité, l’expérience, la situation de famille, le coût de la vie du lieu de résidence, etc. Cette démarche a d’ailleurs permis à la société d’aplanir les inégalités salariales entre hommes et femmes.
L’étude empirique « Do firms respond to gender pay gap transparency? », publiée dans la Harvard Business Review, prouve que la transparence permet de réduire les écarts de salaires entre les hommes et les femmes. Cette analyse repose sur l’évolution des salaires au Danemark, avant et après l’entrée en vigueur d’une loi de 2006 qui réclame la publication des salaires, par genre, pour les entreprises de plus de 35 employés.
La transparence des salaires, utopie ou réalité ? Toutes les entreprises luxembourgeoises ne sont pas prêtes à vivre cette expérience sociale. Avant sa mise en place, il est nécessaire de mettre les salaires à niveau en prenant en compte les compétences et les performances de chacun.
L’expérience fonctionne dans de nombreux pays. En Suède, tout est public: sur une simple demande en ligne, vous pouvez facilement avoir accès au salaire de votre collègue, à ses déclarations de patrimoine, avoirs, ou positions occupées dans diverses sociétés. En Grande-Bretagne, les entreprises de plus de 250 personnes ont l’obligation de publier leurs statistiques salariales.
Et vous, pensez-vous que la transparence des salaires est bénéfique à l’entreprise ?
Pour prolonger notre réflexion, voici ma webographie:
• Les salaires des employés de Buffer: Buffer salaries 2019 [Google Docs]
• Étude Harvard Business Do firms respond to gender pay gap transparency? [PDF]
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5 ansLa transparence des salaires peut être saine, certaines entreprises libérées la pratiquent mais c'est au bout d'une évolution très longue et ce n'est pas un but à atteindre. Cette évolution commence par une volonté de regarder ensemble dans la même direction... plus positif et constructif que de se rassurer ou se frustrer inutilement en regardant des fiches de paie!