trop parfait pour ton chef
Un ami me raconte qu'un proche s'est vu refuser une note écrite sur un sujet assez technique au motif que "il faut que les gens à qui tu destines cette note puissent briller. Si c'est trop parfait, tu ne leur permets pas".
Ce qui me frappe dans cette histoire :
- la rencontre entre deux perspectives : celle orientée sur la tâche, assignée et réalisée au meilleur de ses capacités, et celle de la stratégie d'influence, orientée sur les acteurs en place, avec une science ni admirable ni élégante, mais tout aussi réelle
- la drôle de compétence développée par le ou la chef-fe (en l'occurence) qui donne ce conseil. Qu'avez-vous appris ces dernières années ? Certains ont appris à gérer une salle de classe quand d'autres ont appris à gérer la psychologie des chef-fes. La vie est courte, mais bon ok chacun son truc
- l'exercice qui consiste à dégrader une note. Est-ce une compétence également ? Existe t'il plusieurs styles de dégradation ? Repasse t'on alors devant l'oeil scrutateur du ou de la chef-fe ? La tentation doit être grande de rendre sa note carrément pourrie
- se dire que le ou la chef-fe en question a une opinion sacrément pourrie des destinataires de la note. Je me demande si ce n'est pas ça que je trouve le plus déprimant dans cette histoire. Une fois où nous hésitions à faire faire de la méditation en pleine conscience à des salariés d'un grand groupe très "corporate", Pénélope Baudouin Arkilovitch me dit "on peut aussi leur faire confiance". j'avais adoré cette remarque qui me mettait face à mes a priori. Le ou la chef-fe dont nous parlons ce matin est vraiment passé-e de l'autre côté de la force. Comment accorder sa confiance à quelqu'un qui affirme ainsi sans filtre sa supériorité, vous demande d'en être complice. C'est un peu grandiloquent pour un mardi matin, mais plus j'y pense plus ça me paraît désastreux
- la symétrie des attentions en prend un coup. Elle était déjà pas bien en forme
- Thelonious Monk, lui aussi mais dans un autre style, encourageait ses amis musiciens à ne pas être si parfait, à chercher les failles et à les exploiter, convaincu qu'ainsi plus de beauté les attendait et que le public, follement exigeant, en serait stimulé
- Si vous, vous êtes d'une humeur de rêve, il y'a quand même quelque chose d'étonnant dans cette affaire, quelque chose qui pousse à se détacher de son ouvrage, à se dénarcissiser. Avec pas mal d'imagination c'est presque un geste zen
Ce que nous pourrions imaginer :
- devenir complètement cynique et radicaliser les formations "manager son manager", en faire de véritables instruments de manipulation
- Ou bien, chercher de meilleurs partenaires de travail
- Séparer le geste de produire un document bien foutu et le geste de faire en sorte qu'il soit utilisé par les bonnes personnes à bon escient. En terme de méthode, on pourrait presque le modéliser, et retrouver les joies et l'art du prototype (objet intermédiaire de conception), sauf qu'ici le prototype était déjà parfait. Ceci dit ce n'est pas si simple, une designer me disait qu'elle avait besoin que ses productions soient belles pour continuer de s'y investir. Faire un travail parfait correspond peut-être au minimum requis par le proche de mon ami pour avancer, ce qui pose, et puis j'arrête, la question du stade à partir duquel nous estimons avoir fait le boulot, quel que soit l'évaluation qui en sera faite. Pour moi, ce stade est celui qui permet à mes partenaires de travail de rebondir et d'avancer collectivement. C'est une force et une fragilité, je ne sais presque plus travailler seul. Je n'y crois plus.
Regtech CSRD CS3D
2 ansAprès le correcteur d'orthographe, nous aurons peut être bientôt le médiocriteur. CTRL+M, et ton texte s'altère. 12 fois CTRL+M et ça ressemble à un article du Parisien!
Social scientist | Innovation & change
2 ansPour voir le verre à moitié plein, il reste la notion de réception de l’œuvre… On peut postuler qu’une note scrupuleusement précise et rigoureusement claire ne saurait seule garantir sa réception (que faire d’une note parfaite dans un monde imparfait ?), et qu’à l’expertise de l’auteur de la note peut venir s’adjoindre une maîtrise des enjeux de réception - un art du contexte. Il y a des écrivains et des éditeurs, des peintres et des galeristes…
Eh oui, cela dépend à qui est destinée cette missive … On voit que là c’est du bottom up de soumission d’expertise. D’où la nécessité pour celui qui n’y connaît rien (sur le fond) càd le chef, de briller … Mais si, à l’inverse, c’était le chef qui devait expliquer son état, sa stratégie ou encore ses enjeux. Alors, il faudrait aussi qu’il ne soit pas parfait car le parfait n’est appropriable que par celui qui le crée… En conclusion, que tu sois chef, sous-chef ou au bas de l’échelle (hiérarchique) ne fais pas du parfait, c’est bien plus efficace pour l’autre !
Lab Innovation Managériale
2 ansJ'adore la conclusion tellement juste et partagée : "C'est une force et une fragilité, je ne sais presque plus travailler seul. Je n'y crois plus." Un beau pavé dans la mare du manager...
Accompagner, Former, Concevoir
2 ansMonk disant à ses musicien de ne pas être parfait…. Peut ne pas « chercher » à être parfait. Et donc : que chercher? Ou placer son intention? Peut être chercher à être vrai, connecté au présent, à la salle et à sa dynamique, au mouvement des autres musiciens, à son propre état émotionnel interne… et donc quitter la notion ou l’ambition de la perfection/imperfection pour aller vers la relation… Fabrice Mézières ✨ Francois BESSON, MBA … qu’en pensez vous?