Uber et le chauffeur salarié : retour sur l'arrêt du 4 mars 2020
Un bref retour sur l’arrêt rendu par la Cour de cassation le 4 mars, venant clarifier la nature juridique de la relation de travail entre le chauffeur de VTC et la plateforme Uber.
Le cœur de la bataille concerne l’indépendance du chauffeur par rapport à la plateforme. Dans une relation de travail classique, le salarié et son employeur s’engagent par contrat sur 3 éléments essentiels : un travail effectif, une rémunération de cette prestation de travail et un lien de subordination du salarié envers son employeur. Ce lien de subordination est lui-même caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité de l'employeur qui a le pouvoir de lui donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné.
A l’inverse, le travail indépendant se caractérise par l’absence de lien de subordination juridique. Ainsi, le critère déterminant pour distinguer un salarié d’un travailleur indépendant est l’existence ou l’absence d’un lien de subordination entre le travailleur et le donneur d’ouvrage comme le rappelle la Cour de cassation. En son absence, il ne peut y avoir de contrat de travail et le travailleur ne peut se prévaloir de la protection accordée par le Code du travail.
Vous l’avez compris, ce lien de subordination cristallise les tensions quant à savoir s’il existe ou non dans la relation de travail entre le chauffeur et Uber. Déjà en novembre 2018, la Cour de cassation requalifiait en contrat de travail la relation entre un livreur à vélo et la plateforme de livraison de repas Take Eat Easy en considérant que l’utilisation de la géolocalisation pour suivre les livreurs et le recours à un système de sanction étaient des critères suffisants pour attester un lien de subordination.
Il y a 2 jours, la Cour de cassation a jugé que le chauffeur « qui a recours à l’application Uber ne se constitue pas sa propre clientèle, ne fixe pas librement ses tarifs et ne détermine pas les conditions d’exécution de sa prestation de transport ». Pour ainsi dire, pèsent sur le chauffeur des contraintes qui sont davantage celles d’un subordonné que celles d’un indépendant. D’autant plus que le chauffeur se voit imposer un itinéraire, une destination inconnue, « révélant ainsi qu’il ne peut choisir librement la course qui lui convient ». Enfin, la possibilité pour Uber de déconnecter le chauffeur à partir de trois refus de course s’apparente à une sanction, telle qu’induite par l’existence d’un lien de subordination.
Il est clair que le conducteur « participe à un service organisé de transport dont la société Uber définit unilatéralement les conditions d’exercice ». Uber ne peut dès lors s’apparenter à un donneur d’ouvrage, ou comme un simple service de mise en relation, mais à un employeur embauchant des salariés à qui la société confie des directives, contrôle l’efficacité du travail et peut sanctionner ses chauffeurs, notamment en les déconnectant, ce qui caractérise le lien de subordination et donc d’une relation de travail entre un salarié et un employeur.
La question qui est désormais ouverte est de savoir ce qu’il va advenir d’Uber qui n’était déjà pas rentable malgré l’usage de ce système bien plus économique que le socle prévu par le Code du travail pour les salariés. Qu’en sera-t-il également de toutes les autres plateformes et startups qui usent et abusent des auto-entrepreneurs en leur confiant des tâches, en contrôlant leur travail et en les sanctionnant en cas de manquement ?
Le débat est encore loin d’être tranché, même si l’arrêt de la plus haute juridiction française rebat les cartes et plaide pour une meilleure protection des travailleurs en reconnaissant leur statut de salarié et non plus d’indépendant.
Sustainability Adviser @BITCI - Business in The Community Ireland
4 ansMerci Amaury pour ces éclaircissements, très bien formulés