Ukraine : les mirages d’une paix rapide avec le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche
Isabelle Lasserre
Le Figaro
11/11/2024
ANALYSE -
En 2018, Donald Trump s’était félicité de sa « rencontre fantastique » avec le leader nord-coréen Kim Jong-un, à Singapour. Leur poignée de main « historique », filmée par les caméras du monde entier, devait sceller le rapprochement entre les États-Unis et le dernier état stalinien de la planète, et aboutir à la dénucléarisation de la Corée du Nord. Elle s’est rapidement soldée par un fiasco, pour finir dans les poubelles de l’histoire. La promesse du président réélu de forcer la paix entre l’Ukraine et la Russie « en 24 heures », subira-t-elle le même sort ?
Les relations et donc les possibilités d’entente, entre Vladimir Poutine et Donald Trump sont plus sérieuses et plus solides que celles qui avaient brièvement réuni le dictateur nord-coréen et le président « disrupteur » américain. Dans son dernier livre, War, le journaliste américain Bob Woodward raconte que Trump s’est entretenu sept fois au téléphone avec Poutine depuis son départ de la Maison-Blanche. Le président réélu l’a plusieurs fois affirmé : il entretient de « très bonnes relations » avec le dirigeant du Kremlin. L’un de ses conseillers, Bryan Lanza, l’a redit à la BBC, l’objectif de Washington est d’obtenir « la paix et l’arrêt des massacres » en Ukraine. « La Crimée, a-t-il affirmé, n’existe plus. » Washington veut maintenir le cap sur l’Asie-Pacifique, et léguer aux Européens le dossier ukrainien, qui ne fait plus partie de ses priorités.
Les temps sont favorables à Vladimir Poutine. Sur le terrain, les forces ukrainiennes continuent à perdre du terrain dans le Donbass. Le dernier sommet des Brics, à Kazan, fut un succès diplomatique pour le président russe, qui a montré qu’il n’était pas isolé. À l’aide de fraudes massives et d’opérations de désinformation, le Kremlin a réussi à infléchir le destin européen de la petite Géorgie.
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« Tous les faisceaux semblent indiquer que le sort de l’Ukraine sera vite scellé par ce trumpisme débridé. Cependant, la réalité peut aussi s’avérer plus complexe et corriger ce scénario », analyse Tatiana Kastouéva-Jean, la directrice du centre Russie-Eurasie de l’Ifri, dans une tribune au Monde. Contrairement à 2016, quand l’élection de Trump avait été saluée par des toasts au champagne à la Douma de Moscou, Vladimir Poutine a mis longtemps à féliciter le nouveau président américain. Car les obstacles à la réalisation d’une paix rapide, même si elle se fait au détriment de l’Ukraine, sont nombreux. On les voit déjà s’élever à Moscou et à Washington.
Et d’abord, la première question. En position de force sur le terrain, le Kremlin a-t-il le même désir de paix que Donald Trump ? Les conditions émises par la Russie à l’ouverture de négociations ont pour l’instant laissé peu de place à la moindre concession. Vladimir Poutine n’a pas changé ses objectifs. Il veut soumettre l’Ukraine, la forcer à la capitulation, lui imposer un statut de neutralité qui l’empêche de rejoindre l’Otan et l’UE et obliger son président à se retirer. Des conditions difficiles à accepter par une Administration américaine, même bénéficiant de la majorité au Sénat et à la Chambre des représentants.
Depuis la guerre, la confrontation entre les États-Unis et la Russie s’est installée de manière durable. Donald Trump pourra-t-il forcer une paix avec un président qui mène la confrontation avec l’Occident, a pour but de déconstruire l’ordre international en utilisant le chaos et s’est associé avec des pays hostiles aux États-Unis, comme l’Iran, la Corée du Nord ou la Chine ? C’est d’ailleurs l’argument brandi à Budapest, au sommet de la CPE, par le secrétaire général de l’Otan, Mark Rutte, quand il a désigné la Corée du Nord, qui a envoyé des troupes en renfort de la guerre russe, comme « une menace pour l’avenir, pour le continent américain, pour l’Europe continentale ». Côté russe, si Vladimir Poutine se rapproche des États-Unis, il risque de perdre son précieux statut de leader des anti-occidentaux. Sur le dossier ukrainien, Poutine et Trump ont des intérêts divergents. Le premier voudra sans doute une entière victoire, et le second pourra difficilement accepter une solution qui donne l’image d’une défaite des intérêts américains ou qui mine la confiance internationale dans l’Amérique.
« L’histoire nous a appris que l’Ukraine a toujours été mieux traitée par les Administrations républicaines » expliquait en outre, juste avant les élections, Alyona Getmanchuk, la directrice du New Europe Center de Kiev. C’est Donald Trump qui avait livré, au cours de son premier mandat, les missiles Javelin refusés à l’Ukraine par Barack Obama. Sous sa présidence, les États-Unis n’avaient pas levé les sanctions contre la Russie. Mais c’est le démocrate Bill Clinton qui avait œuvré à la dénucléarisation de l’Ukraine en 1994. Et c’est Jake Sullivan, le conseiller à la sécurité nationale de Joe Biden, qui a freiné l’aide à l’Ukraine depuis février 2022. Cette analyse de la politique ukrainienne américaine a inspiré une remarque amère de l’ancien champion du monde d’échec Garry Kasparov, opposant à Poutine : « Poignarder l’Ukraine dans la poitrine est peut-être préférable, à certains égards, au fait que Joe Biden la poignarde dans le dos ».
Malgré les promesses trumpiennes de « régler l’affaire ukrainienne rapidement », personne ne peut exclure que l’initiative de paix du nouveau président connaisse le même sort que sa tentative de rapprochement avec la Corée du Nord, ou que le « reset », le redémarrage des relations, lancé en son temps par Barack Obama, qui s’était fracassé contre les murs du Kremlin. « L’imprévisibilité de Donald Trump, en l’absence de tout garde-fou, peut mener à une escalade dans les relations avec la Russie plutôt qu’à l’apaisement engendré par le sacrifice de l’Ukraine », prévient Tatiana Kastouéva-Jean.
En 2017, un an après avoir été élu sur sa promesse de ne plus ouvrir de nouveaux fronts, Donald Trump avait surpris ses alliés en lançant des frappes contre le régime syrien de Bachar el-Assad, après une attaque à l’arme chimique. « Donald Trump va tenter de passer un deal avec Vladimir Poutine. Mais si ça ne marche pas, il pourrait nous surprendre, changer de pied et prendre la direction inverse. C’est un leurre de considérer Donald Trump comme un isolationniste. Il peut dégainer la puissance militaire », commentait récemment Alexandra de Hoop Scheffer, la directrice du German Marshall Fund.
Alors que les Ukrainiens montrent toujours autant de résilience et de détermination dans leur combat existentiel pour leur liberté, la balle est désormais dans le camp des Européens. Face aux mauvaises nouvelles qui se préparent pour l’Ukraine aux États-Unis, sauront-ils s’adapter aux nouvelles réalités géopolitiques et trouver la volonté et le courage d’inverser la courbe négative qui menace d’emporter l’Ukraine ?
Mission de l'orientation du scolaire vers le supérieur (Parcoursup), Ministère enseignement supérieur, recherche et innovation. Cordées de la réussite.
1 moisMerci Isabelle pour cette analyse éclairante !
Directeur financier groupe | Directeur général | Dirigeant de transition | Enseignant à La Sorbonne Business School
1 moisExcellente analyse !