Un choc...
C’est un SMS de mon ami le photographe Eric Morère, qui tombe sur mon portable lundi 21 août, alors que je suis en train d’écrire le prochain livre: « T’es en photo dans le Libé d’aujourd’hui ». Etonnement. « A quel sujet » ? Il me l’envoie. Libération consacrait la Une et une quinzaine de pages de son édition du 21 août à la sortie du film « 120 battements par minute », de Robin Capillo. Le cliché s’étale au centre d’une double, en pages 10 et 11. Il date de 1993. Cleews Vellay, président d’Act Up à l’époque, est au premier plan et pointe du doigt avec colère un cadre de l’Agence française de lutte contre le sida lors d’une action « coup de poing » un « zapping » selon la terminologie d’Act Up, consistant à investir les locaux d’une institution visée par un scandale, des revendications. En arrière plan à gauche, jeune journaliste à la coupe de cheveux improbable, je suis présent, légèrement flou, visiblement penché sur un carnet de notes. Je ‘pige’ alors depuis deux ans pour le bureau français de l‘agence américaine Associated Press. Sur la photo, à droite, en retrait de Cleews Vellay, et vétu d’une veste rouge il y a Robin Campillo, à l’époque militant d’Act Up, aujourd’hui auteur du magnifique film 120 BPM. Et ça fait bizarre. Tout simplement parce que tous les journalistes, et ce fut mon cas, qui commençaient leur carrière au début des années 90 à Paris, et suivaient les mouvements "punchy", avec une prédilection pour tous les sujets liés à l'injustice sociale, à l'exclusion, à la maladie, à la mort surtout quand elle fauchait les plus jeunes, ont connu Act Up et ses militants.
Au début des années 90, avec particulièrement deux amis photographes, dont Eric Morère, nous avons suivi ce mouvement longtemps. On y a croisé des gens formidables, parfois chiants et énervants, parfois outranciers, humains quoi, qui avaient su faire de la menace qui pesait sur eux le moteur d'une mobilisation inédite, avec rage. Parce que la vie, leur vie, était en jeu. Que l'urgence vitale était quotidienne. ActUp a fait bouger les choses avec ses actions qui ont parfois suscitées des polémiques et des protestations indignées. Il y a tout dans ce film. Rien que la bande annonce m'a fait l'effet d'un coup de poing à l'estomac et m'a transporté une trentaine d'années en arrière. Et avant même d'avoir lu quoi que ce soit sur le film, en voyant le personnage incarné par Nahuel Perez Biscayart, je me suis dit "punaise, c'est Cleews Vellay". Cette rencontre avec les militants d'Act Up a en plus été percutée par une autre, personnelle, une histoire d'amour que j'ai vécue avec une jeune femme, Valéria, qui s'occupait de son frère Maurice, malade du Sida, et soutenait sa famille, en premier lieu ses parents totalement désarmés face à cette maladie. Cleews Vellay est mort un peu plus d'un an après la photo de Libé, le 18 octobre 1994 à l'âge de 30 ans. Maurice a disparu également la même année. Ce film, qui sort ce mercredi, est à voir absolument.