Un débat national pour en sortir par le haut ?
Le grand débat national, lancé par le Président de la République, est l’une des avancées majeures du mouvement social qui a embrasé le pays ces dernières semaines. Sans vouloir parler au nom de tous, mais d’après ce que je comprends et ressens, ce qu’attendent aussi nos concitoyens c’est qu’on écoute leurs questionnements et leurs inquiétudes. A l’heure où, par la grâce de la technologie, une partie du monde est à portée de notre smartphone, émerge enfin l’idée que la vie quotidienne ne se gère pas -et a fortiori ne se contrôle pas- du bout du pouce.
Dans sa volonté d’avancer vite dans un programme de réformes nécessaires, le Gouvernement a oublié que nous, les citoyens, avions besoin de comprendre les changements proposés, et les efforts imposés. Et que -et je renvoie là aux travaux de Dominique Wolton, qui en parle mieux que moi- « informer n’est pas communiquer ». « Au bout des réseaux et des systèmes d’information se révèle la complexité des hommes et des cultures », résume-t-il à la fin de son ouvrage Indiscipliné (Odile Jacob, 2012). « La question de la communication, c’est-à-dire de la cohabitation avec l’autre, est au cœur des défis nouveaux. […] L’information et la communication qui furent pendant trois siècles des valeurs d’émancipation peuvent, au contraire, dans un monde ouvert, devenir un facteur de guerre, faute de pouvoir supporter la présence de l’autre si différent de soi. » On le voit tous les jours sur les réseaux sociaux.
Or communiquer, c’est-à-dire, une fois encore, échanger avec l’autre, est d’une complexité abyssale. Nous butons tous, quotidiennement, sur cette complexité : dans le couple, dans la famille avec les amis, au travail, dans le métro… Tout le temps, partout. C’est dans la nature humaine, chacun arrivant avec ses biais de compréhension, qui polluent l’espace. Si communiquer à deux est parfois complexe, imaginons un instant la difficulté qu’il y a à communiquer avec 67 millions de personnes qui ne sont pas d’accord entre elles… C’est aussi une des missions du Gouvernement et du Chef de l’Etat, et certainement pas la plus facile.
Ni décret, ni loi ne permettent de gérer cette altérité dans la communication. Le débat, les débats, apportent un début de solution. Mais il doit s’agir de débats, c’est-à-dire de moments de discussions, dans la vraie vie, avec de vraies personnes, en chair et en os, et pas des avatars numériques. On peut certainement débattre partiellement via des plateformes digitales dédiées, mais il y manque toujours cet élément qui donne tout le sel et toute la solennité du débat public : la présence physique de l’autre.
Ceux d‘entre nous qui ont organisé et/ou animé fréquemment ce type de débats publics le savent : tout peut se passer lors de tels moments, mais le pire n’est jamais sûr. Il peut y avoir d’extrêmes tensions, des invectives ou des menaces ; des questions qui en cachent d’autres, non formulées celles-là ; des questions sans réponses (dans un débat, il n’y a pas toujours quelqu’un qui a la réponse…) ; il y en a qui diront « bleu » là où d’autres diront « vert », à partir pourtant des mêmes éléments ou des mêmes constats… Peu importe, en vérité. L’important n’est pas de sortir d’un débat avec toutes les bonnes solutions (y en a-t-il seulement ?). L’important est que chacun soit écouté, entendu, et que chacun écoute et entende l’autre. Et reprenne conscience de l’autre, de son existence, de ses idées et de ses envies partiellement ou totalement différentes des nôtres.
Le débat, c’est la reconnaissance de l’autre et de sa légitimité à exprimer son opinion. C’est l’essence de la démocratie. Et c’est ce dont manquent tant de personnes dans le monde. Réjouissons-nous alors de cette proposition du Chef de l’Etat. Du débat peut naître un socle pour dessiner un horizon commun, partagé, dans lequel chacun pourra se reconnaître.