Un riverain a-t-il le droit de demander au juge judiciaire qu'un parc éolien soit enlevé ? La Cour de cassation apporte des précisions.
Dans un arrêt du 25 janvier 2017, la Cour de cassation vient limiter les cas dans lesquels le juge judiciaire est compétent pour ordonner le démontage des parcs éoliens, soulignant le rôle central de l’appréciation portée par les préfets.
Les projets éoliens font aujourd’hui face à de nombreux recours, notamment de la part de riverains, ce qui constitue un frein réel au développement de cette filière en France. Outre les recours contre les autorisations préalables, d’autres types de recours restent possibles, notamment devant le juge judiciaire et y compris après la mise en service des parcs. L’un des fondements possibles pour ces recours est la théorie du « trouble anormal du voisinage », qui permet aux riverains subissant un désagrément excessif d’obtenir en justice des dommages et intérêts mais aussi des mesures allant jusqu’à l’enlèvement d’éoliennes (voir, par exemple, TGI Montpellier, 4 février 2010, n° 06/05229).
Par ailleurs, depuis la loi dite « Grenelle 2 » du 12 juillet 2010, les éoliennes sont soumises à la législation sur les installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE), sous l’autorité des préfets. En plus des formalités administratives préalables (autorisation pour les éoliennes de plus de 50 mètres), les exploitants doivent à ce titre respecter une série de prescriptions (distance des habitations, obligation de démantèlement, etc.). En outre, les préfets disposent de larges pouvoirs visant à protéger les intérêts mentionnés par le code de l’environnement (dangers ou inconvénients notamment pour la commodité du voisinage, pour la santé, la sécurité, ou la salubrité publiques).
Le juge judiciaire pouvait-il encore remettre en cause des projets déjà autorisés par l’administration ? La Cour de cassation vient à cet égard d’apporter d’importantes précisions. Dans cette affaire, les propriétaires d’un château situé à proximité d’un parc éolien (et mis en service en 2007) demandaient des dommages-intérêts et l’enlèvement de ce parc, sur le fondement des troubles anormaux du voisinage (diverses nuisances, notamment esthétiques et sanitaires, étaient invoquées). Infirmant le jugement du tribunal de grande instance qui avait imposé l’enlèvement de l’ensemble du parc, la Cour d’appel avait jugé en juillet 2015 que la juridiction judiciaire n’était pas compétente pour connaître de telles demandes. La première chambre civile de la Cour de cassation a validé ce raisonnement le 25 janvier 2017 en jugeant que :
- les tribunaux judiciaires ont compétence pour se prononcer tant sur les dommages-intérêts à allouer aux tiers lésés que sur les mesures propres à faire cesser le préjudice que cette installation pourrait causer dans l'avenir, mais à condition toutefois que ces mesures ne contrarient pas les prescriptions édictées par l'administration en vertu des pouvoirs de police spéciale (c’est-à-dire, en vertu des pouvoirs issus de la police des ICPE) qu'elle détient ; mais aussi que
- le principe de la séparation des autorités administratives et judiciaires s'oppose à ce que le juge judiciaire substitue sa propre appréciation à celle que l'autorité administrative a portée sur les dangers ou inconvénients que peuvent présenter ces installations pour les intérêts protégés par la police des installations classées.
Qu’est-ce que cela implique ? La Cour de cassation conclut que « c'est donc à bon droit que la cour d'appel a retenu que la demande tendant à obtenir l'enlèvement des éoliennes litigieuses, au motif que leur implantation et leur fonctionnement seraient à l'origine d'un préjudice visuel et esthétique et de nuisances sonores, impliquait une immixtion du juge judiciaire dans l'exercice de cette police administrative spéciale ». En clair : le juge judiciaire saisi d’une demande d’enlèvement d’éoliennes ne saurait, de lui-même, y faire droit sans porter atteinte à l’appréciation de l’administration (en l’occurrence les DREAL placées sous l’autorité des préfets), et doit donc rejeter une telle demande.
Au total, cet arrêt pourrait réorienter vers le préfet et, in fine, le juge administratif, un certain nombre d’actions en démontage ou enlèvement de parcs éoliens portées jusqu’à présent devant le juge judiciaire sur le fondement de la théorie des troubles anormaux du voisinage. S’il devrait ainsi limiter la multiplication des types de recours contre les projets, il n’est pas évident que l’arrêt se traduise par moins d’actions contentieuses contre les parcs.
Plusieurs questions restent par ailleurs ouvertes : on peut en particulier s’interroger sur des demandes d’enlèvement d’éoliennes devant le juge judiciaire qui seraient fondées sur des dangers ou inconvénients non couverts par la police des ICPE ; sur le régime des demandes d’indemnisation qui semblent, elles, rester admises devant le juge judiciaire ; et enfin, sur les modalités et les délais applicables à une action portée devant l’administration et ayant pour objectif d’obtenir l’enlèvement des éoliennes.
Arthur Sauzay / Paul Vandecrux
Photo: ©Cary Greisch
Avocat
7 ansVraiment intéressant!
Hommes et Sciences
7 ansUtile
Partner at Kramer Levin (Financial and Banking law, digital, blockchain and crypto), prof Ecole de Droit de Sciences Po (Paris)
7 ansBonjour Paul, je suppose que vous avez envoyé l'arrêt et votre commentaire à l'association de la Demeure Historique, qui regroupe les propriétaires de bâtiments classés ? Si tel n'est pas le cas, je peux vous mettre en relation avec eux.
Avocat - Counsel chez A&O Shearman
7 ansIntéressant, merci Paul Vandecrux