Une école accessible à tous ?
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Une école accessible à tous ?

De la nécessité de coopérer au profit de la participation sociale des enfants en situation de handicap à l'école.

Selon une enquête quantitative réalisée en 2018 et intitulée Repères et références statistiques[1], 390 800 élèves en situation de handicap sont scolarisés au 1er septembre 2017 : 80% en milieu ordinaire (classe traditionnelle ou spécialisée) et 20% en établissements médico-sociaux ou hospitaliers[2]. Ainsi, une décennie après la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, l’héritage ségrégatif entre éducation classique et éducation adaptée perdure encore parfois, malgré la volonté du législateur.

L’accès à l’école des enfants en situation de handicap est un sujet débattu très fréquemment par les politiques, les associations gestionnaires, les directeurs d’établissements, les professionnels du médico-social, les enseignants et les parents. Les concertations au niveau national et local se succèdent autour de ce thème. Il y a beaucoup de communication, d’effets d’annonces, mais la mise en mouvement est lente. « Aller à l’école » reste aujourd’hui encore une utopie pour la grande majorité des enfants en situation de handicap qui sont accompagnés par un établissement médico-social. Cependant, même s’il s’agit ici peut-être d’un but à atteindre, il ne doit surtout pas s’agir d’une finalité. En effet, « Résumer le droit à l’éducation à l’accès physique aux formes ordinaires de scolarités revient à faire de l’accès une fin en soi au détriment des apprentissages, de la réussite scolaire et des dimensions relatives à l’acceptation de la différence »[3]. En d’autres termes, « être à l’école » ne doit donc pas être une fin en soi, mais bien un moyen…

Force est de constater à l’heure des discours sur l’école inclusive que la simple intégration scolaire semble déjà complexe à mettre en œuvre quand il y a un accompagnement par un établissement médico-social. Les effectifs de ces établissements restent stables, passant de 76 951 en 2006 à 78 358 en 2017 (le chiffre sur l’année 2018 n’a pas encore été communiqué). Il semble donc que se pose la question de la transformation de l’offre d’accompagnement des établissements et des services médico-sociaux ainsi que celle des établissements scolaires pour concrétiser le projet d’une école pleinement inclusive. La démarche « pour une école accessible à tous » qui a été lancée par le gouvernement sur la région Normandie, relance cette interrogation. Comment permettre que « 80% des enfants [accueillis en établissement spécialisé] bénéficient d’une modalité de scolarisation en milieu ordinaire d’ici 2022, cible nationale »[4]. Ils sont 23% aujourd’hui… Autant dire que la marche est grande.

Plusieurs IME et ITEP s’engagent progressivement dans le déploiement d’unités d’enseignements externalisées pour garantir une scolarisation au sein des écoles de proximité et non plus dans les murs de l’institution. Cette modalité de scolarisation présente des potentiels évidents. En effet, l’intégration physique dans l’école peut favoriser le vivre ensemble et permettre une participation sociale qui participera au développement du pouvoir d’agir des enfants en situation de handicap dans la suite de leurs parcours. Ainsi, faire vivre les possibilités de participation sociale dans l’école à chaque élève en situation de handicap, c’est un premier pas pour passer de la logique d’intégration (inhérente à chaque classe spécialisée) à celle de l’inclusion.  C’est garantir à chaque enfant une place dans l'école et c'est lui permettre de prendre cette place.

Pour ce faire, il s’agit déjà de garantir le partage des temps de récréation et des temps de repas, deux moments qui sont repérés comme déterminants dans le vécu des enfants en tant qu’élèves. Il s’agit aussi et selon le projet de chacun, de mettre en œuvre des temps de scolarisation individuels et collectifs avec d’autres classes, d’être associés aux projets de l’école et aux différentes sorties scolaires. C’est en fait, permettre à l’enfant d’être élève de plein droit et au même titre que chacun dans l’école sans faire l’impasse sur les besoins éducatifs particuliers qui nécessitent un accompagnement individualisé (mais pas nécessairement individuel).  

C’est une démarche qui implique l’adhésion et l’association de chaque acteur (parents, élèves, enseignants, professionnels médico-sociaux) au sein de l’école. L’une des conditions essentielles à cette association semble être le partage d’une vision compatible des missions de l’école et de l’éducation. Au sein des établissements qui ont franchi le pas, force est de constater que les acteurs concernés semblent bien souvent partager l’envie de faire vivre les valeurs « de solidarité, d’entraide, de coopération, de respect mutuel et de responsabilité »[5]. Pour autant, il est aussi repérable que ces mêmes acteurs perçoivent distinctement les finalités de l’accès à l’école pour les enfants en situation de handicap. Le point de vue de chacun diverge ou se rejoint, en fonction notamment de ses perceptions sur le handicap, de son appartenance professionnelle, de son vécu personnel, de ses aspirations, mais aussi de son appréciation des potentialités des personnes en situation de handicap, du rôle de l’institution scolaire vis-à-vis de l’accueil de la singularité et enfin des moyens mobilisables pour progresser dans cette volonté d’inclusion.

Ainsi donc, des difficultés de coopération entre les établissements scolaires et les établissements médico-sociaux sont repérées dans la mise en œuvre des unités d’enseignements externalisées. Ces difficultés s’expliquent au travers d’éléments contextuels pénalisants auxquels s’ajoutent des relations institutionnelles souvent complexes ainsi qu’une difficile répartition des rôles entre les acteurs. Il n’existe pas de mode d’emploi et chacun innove à sa façon. Il en résulte que la définition des finalités éducatives de l’inclusion scolaire et la mise en œuvre des modalités pédagogiques suscitent des tensions et complexifient les relations entre établissements. Le risque pour ces différents acteurs institutionnels est de se limiter à proposer une transformation de l’offre d’accompagnement des établissements médico-sociaux qui viserait l’assimilation des enfants en situation de handicap dans l’école ou leur ségrégation. La méfiance énoncée par Charles Gardou est ici tout à fait à propos et doit être gardée à l’esprit. Il ne doit pas s’agir de demander aux enfants en situation de handicap de s’adapter coûte que coûte. Il ne doit pas s’agir non plus de leur refuser les mêmes droits que les autres élèves au titre de leurs besoins spécifiques.

Ainsi, il semble que la transformation des dynamiques de coopération entre les établissements médico-sociaux et les établissements scolaires peut participer au développement d’une école inclusive, dans la mesure où la participation sociale de chaque élève est soutenue et favorisée au sein de l’école. Se pose cependant la question de savoir comment conduire ces transformations? Et pour répondre à cette question, il semble pertinent de s’y pencher ensemble dans une volonté de croisement des habitus professionnels.

Pascal Le Bourdonnec, Le 25 septembre 2019.

[1] Kabla-Langois Isabelle et al., Repères et références statistiques, Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance, 2018.

[2] Ceci en France Métropolitaine et en DOM, Mayotte compris, tous âges et handicap confondus.

[3] Pelgrims, Greta et Perez, Jean-Michel (dir). (2018). Réinventer l’école ? Politiques, conceptions et pratiques dites inclusives. Nimes : Champ Social (1ère édition 2016).

[4] Secrétariat d’État auprès du premier ministre chargé des personnes handicapées (2019). Extrait de la présentation du lancement de la démarche « Pour une école accessible à tous » en Normandie. Publié le 01.03.19. [Visible en ligne sur le site : www.handicap.gouv.fr]

[5] En lien avec la mission d’éducation qui est confiée à l’école au regard du titre II du code de l’éducation qui définit les objectifs et missions du service public de l’enseignement ainsi : instruire, éduquer, former.



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