Une entreprise peut-elle acheter ma vie ?
Je viens de lire ce matin un article partagé par Ad Value Consulting qui s'appelle "Tu pars à 18 heures, tu as pris ton après-midi ?". J'avoue avoir eu la boule au ventre à la lecture du titre de l'article tant cela m'a rappelé l'une de mes premières expériences professionnelles.
Il s'agissait d'un centre de travaux dans une entreprise de BTP et je me souviens très bien avoir été choqué lorsque cette phrase a été prononcée à mon encontre par une secrétaire du centre.
Déjà à l'époque, j'ai trouvé à la fois inquiétant de voir comment une norme de groupe peut s'instaurer pour agir en contrainte sur les salariés et absurde que cette norme s'applique non pas sur la qualité du travail fourni, voire même sur la quantité, mais sur la quantité de temps d'asservissement du salarié.
Le résultat a été pour moi rapide : je n'ai pas fait plus de 6 mois.
On pourrait dire que cela reste un bon système et que c'est ma sensibilité à ce type de sujet qui a orienté ma décision. Mais je me souviens surtout avoir, comme je l'ai toujours fait, notamment chez les pompiers qui furent ma première école, interrogé les "anciens". Problème d'alcool, dépression, divorce... le revers de l'engagement professionnel dans cette entreprise ne m'a pas séduit.
En évoquant cette expérience, d'il y a plus de 10 ans, je ressens une espèce de surprise et de joie. J'y vois déjà l'ADN de ce que je suis aujourd'hui et mon intérêt pour l'entreprise libérée aurait peut être pu être deviné si à l'époque j'avais croisé la route d'un Jacques Attali ou d'un Joël de Rosnay.
Je me demande par ailleurs à quel point ma réaction n'est pas générationnelle ?Je pense que nous avons tous pu constater les limites du modèle actuel et que ce constat a modelé l'esprit nouveau des générations X, Y, ...
Parmi ces constats, je me souviens très bien le pot de départ d'un "ancien" qui a fait 40 ans de carrière dans une grande entreprise et qui lui a tout donné, notamment beaucoup de son temps au détriment de sa famille et de ses enfants. C'est certainement la personne la plus investie professionnellement que j'ai connue. Son pot de départ à la retraite avait été organisé en même temps qu'un autre partant. Après 40 ans, son collègue a reçu un appareil ménager en cadeau et lui... ? rien. Je ne sais pas ce qui m'a le plus attristé : qu'il ne reçoive rien ou bien qu'ils s'attendent à recevoir quelque chose ?
Alors, pourquoi offrir son temps si celui-ci n'est pas productif et ne laisse aucun héritage ? Si c'est mon temps de vie que l'entreprise achète, elle n'en a pas les moyens ! Combien vaut mon temps passé avec mes enfants, avec ma famille, mon temps passé à travailler sur des projets qui me tiennent à coeur, mon temps passé à prendre soin de moi, de mes amis, mon temps passé à me perfectionner ? Beaucoup trop cher et aucune entreprise ne devrait pouvoir le payer !
Pour conclure sur une note très positive, j'ai fait hier soir, une étude terrain au sein d'une entreprise libérée à Paris. Le directeur de l'entreprise n'a jamais entendu parler de l'entreprise libérée mais il l'incarne totalement. J'ai eu le plaisir de parler à une représentante de la toute nouvelle génération dans le monde du travail, Sarah, 19 ans. (qui m'a d'ailleurs parlé de "chroniques" sur Facebook et d'une app de lecture dédiée à ses auteurs d'un nouveau genre, signe que je suis déjà largué par tout ça...)
Je n'ai pas vu chez elle une recherche de reconnaissance quelconque au travers de son présentéisme. J'ai ressenti sa joie de pouvoir venir au travail, dans un environnement où elle peut rester elle-même, avoir la liberté de prendre des initiatives et être en harmonie avec ses collègues et ses clients. J'ai vu sa surprise et sa fierté quand elle s'est rendue compte à quel point elle faisait du bien aux clients de son entreprise. Je lui souhaite de toujours pouvoir travailler dans ce type de société qui lui permettra, dans plus de 40 ans, de ne pas attendre qu'on fasse le bilan de sa carrière avec un appareil ménager... elle aura construit elle-même son héritage.