Une histoire de confiance
Je suis une amoureuse du cinéma, de la fiction, de la puissance créatrice, du travail d’orfèvre que tout cela représente. Et je ne suis pas de ceux qui regardent les critiques avant d’aller voir un film. Alors, un film sur le lobbying, avec un tel casting, était bien évidemment sur ma liste.
Je suis donc allée à l’avant-première parisienne, le 8 mars, de Goliath. Une salle comble, le plaisir de retourner dans une salle de cinéma sans masque, l’équipe du film, heureuse et émue de présenter son travail sur un sujet éminemment sensible et très cinématographique : l’affrontement entre deux modèles de société. L’un urbain, gris, bruyant, cynique, bourgeois. L’autre, même si désespéré, reste authentique, familial, chaleureux, simple. Avec des effets visuels et sonores d’ailleurs très bien travaillés : au son du vent est opposé le bruit des voitures ; à la lumière naturelle des rayons de soleil sont opposées ces couleurs grises des grandes tours de La Défense.
Esthétiquement, c’est un très beau film. Sur le fond en revanche, beaucoup de choses m’ont gênée, qui ont été mises en avant dans le travail de promotion des équipes du film – et principalement le discours porté sur le rôle et le modus operandi des lobbyistes.
En résumé : les lobbyistes tireraient les ficelles de marionnettes qui seraient à la botte des intérêts qu’ils représentent. A plusieurs reprises, des éléments de discours préparés par Mathias – lobbyiste parisien travaillant à Bruxelles dans le cabinet « Better World » – sont repris tels quels par des responsables politiques en interview ou lors de rendez-vous. Les lobbyistes utiliseraient un « frenglish » un peu barbare, incluraient des informations personnelles dans des cartographies (numéro de téléphone portable et adresse du domicile), inviteraient des sénateurs dans des endroits luxueux pour peaufiner des argumentaires, feraient suivre des avocats, engageraient des personnes pour physiquement attaquer des journalistes, paieraient des experts 1 million d’euros pour qu’ils relaient lesdits arguments... Autant de pratiques qui, dans les faits, sont illégales et qui ne sont pas le travail que nous faisons au quotidien. L’AFCL le rappelle d’ailleurs très bien : « oui, l’indépendance de la décision publique doit être respectée, et non, la fin ne justifie pas tous les moyens ». Notre métier est très bien encadré et, si dérives il y a, elles ne font pas partie du cadre déontologique auquel je souscris.
Alors, mon propos ici n’est pas de juger de la question de l’utilisation ni de la défense des produits phytosanitaires. D’autres le feront bien mieux que moi. Mon propos est simplement d’apporter un autre éclairage au métier de lobbyiste qui, dans les faits, est très différent de ce qui est porté à l’écran : rédiger des synthèses de rapports parlementaires, envoyer des demandes de rendez-vous, plonger dans des sujets extrêmement techniques pour répondre à des consultations publiques en ligne, préparer des auditions parlementaires, rencontrer des décideurs, les inviter à des inaugurations… Au quotidien, je protège la licence to operate de mes clients, je valorise leur expertise et promeus leurs solutions en m'en tenant aux faits et aux études. Et ceci est un objet beaucoup moins cinématographique que la vie de Mathias entre Bruxelles, Moscou et Paris et qui est de surcroit le porte-parole de son client, c’est certain !
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Mais je comprends l’intention, la réputation que ce métier a et les fantasmes qu’il engendre. L’imaginaire collectif s’est en effet construit autour de pratiques dont nous sommes aujourd’hui les héritiers et la nécessité de l’institutionnaliser se fait de plus en plus sentir. L’institutionnaliser pour une meilleure reconnaissance, pour pouvoir l’expliquer mais aussi toujours mieux l’encadrer pour, in fine, qu’il soit mieux accepté parce qu’en réalité, toujours en utilisant les mots de l’AFCL, « le lobbying, c’est simplement la liberté de défendre des intérêts dans un cadre démocratique ».
Ma deuxième conviction est que la défiance envers les lobbyistes, ces hommes de l’ombre – oui car dans le film il n’y a que des hommes – est un corollaire de la défiance des citoyens envers le politique, envers la manière dont les décisions sont prises et dont ils se sentent exclus, mais décisions auxquelles nous pouvons, nous, être associés. Il s’agit de créer des espaces de discussion, de savoir quelle place on donne au citoyen, à sa parole, à ses convictions. Et c’est au politique ici de reprendre la main pour organiser un débat démocratique qui satisfasse toutes les parties et recrée la confiance.
Enfin, et je sais que ceci ne fait pas l’unanimité, je pense aussi qu’il existe un « sens de l’histoire », ce qu’on a longtemps appelé « progrès », qui est façonné par des attentes toujours plus grandes de justice sociale et environnementale dont se saisissent d’ailleurs les patrons et patronnes des plus grandes entreprises. Et la grande partie de mes activités d’ailleurs consiste en la présentation de solutions constructives et positives dont les décideurs sont preneurs, afin de faire évoluer les normes « dans le bon sens » même si, toujours, à chaque sujet qu’on me présente, je me dis : « mais c’est bien plus compliqué que cela. »
Alors, comme je le conseille pour tous les films qui sortent, allez le voir et faites-vous votre opinion avec, en tête, cette phrase de Truffaut : « le cinéma est un mélange parfait de vérité et de spectacle. »
“Selon le Corporate Europe Observatory, quatre mille lobbyistes disposent d’un badge d’accès au Parlement. Mais leur cible principale reste la Commission. Quinze à trente mille personnes travailleraient à Bruxelles pour des lobbys, dont 70 % pour le secteur privé (tabac, chimie, automobile, filière laitière, etc.) et 10 % pour des associations (environnement, droits sociaux, femmes, etc.).” La force du nombre n’est quand même pas négligeable… le rapport de force est en faveur des lobbyistes :)
Integrated Communication Expert
2 ansWell said young lady. Proud professionalism shines through
Senior Associate Director | Public Affairs | Tech practice lead
2 ansBravo pour cette expression nécessaire et qui manque cruellement dans un espace médiatique où on préfère donner à voir seulement une facette, tronquée, de notre métier (à l'exception de médias spécialisés comme Contexte et Politico mais qui malheureusement ne suffisent pas à faire évoluer l'opinion publique) Je reconnais bien la finesse de ton esprit et de ton argumentation dans ces lignes dans lesquelle je me retrouve également, et pense que la solution est aussi à aller chercher du côté de Bruxelles où l'instutitionnalisation du lobbying est beaucoup plus ancienne (induisant aussi une plus grande transparence dans les relations entre représentants d'intérêts et décideurs publics) Sur ce sujet, lire l'excellent ouvrage de Guillaume Courty "Le lobbying en France. Invention et normalisation d'une pratique politique"
Directeur conseil, directeur adjoint du pôle affaires publiques
2 ansBravo Myriam pour ce très bel article
Directeur Corporate & Public Affairs Groupe JIN | Enseignant Sciences Po Paris & IHEDN | Administrateur Sciences Po Alumni
2 ansMerci Myriam Moulay pour ce partage très inspirant ! Je plussoie grandement à tes réflexions. J’aime beaucoup cette fin de billet autour de l’idée de sens de l’histoire, de progrès et de solutions positives : un véritable #LobbyingPositif en somme ! (Placement de produit ✅🙃)