UNE TRANCHE DE PISA: RECETTE A BASE D’INTELLIGENCE ENSEIGNANTE
Lycée français de Taipei

UNE TRANCHE DE PISA: RECETTE A BASE D’INTELLIGENCE ENSEIGNANTE


La valeur des enseignants mise en lumière

On peut penser ce que l’on veut des tests PISA, de leur influence sur les décideurs, de leur méthodologie largement critiquable ou peut-être surtout des classements infantilisants auxquels ils donnent lieu et qui leur font prendre des airs de concours de l’Eurovision (on notera les similitudes entre les scores de la France dans ces deux concours comparatifs).

Le fait est pourtant que les tests PISA existent et qu’ils ne sont pas prêts de disparaître. Le fait est aussi que lorsque l’on prend la peine de regarder au-delà des effets d’annonce, il est possible d’y découvrir des conclusions très intéressantes. Celles-ci s’adressent plutôt à un pays et à sa politique dans son ensemble mais il ne me semble pas totalement déplacé, en tant que chef d’établissement, de penser à en appliquer certaines à la toute petite échelle de mon école.

Parmi les conclusions tirées par les chercheurs, celle-ci a tout particulièrement attiré mon attention: “la chose la plus importante que peut faire une école c’est encore de mettre en face de ses élèves de bons professeurs” (Je traduis et note au passage que d’après mes lectures cette phrase est attribuée à au moins deux chercheurs, Hanushek et Goldhaber, il faudra rendre un jour à César ce qui lui appartient).

Alors bien sûr, il s’agit d’une phrase qui n’est pas de nature a priori à révolutionner la manière dont nous pensons l’école (je ne me réveille pas guilleret le matin avec l’intention de recruter des professeurs incompétents). Elle mérite cependant qu’on s’y arrête quelques instants autant pour ce qu’elle dit que pour la question fondamentale qu’elle laisse, pour l’heure, sans réponse.

En premier lieu, ce que cette phrase apparemment anodine nous dit, c’est qu’après toutes les recherches possibles, après toutes les études et tous les tests PISA, il convient - enfin ? - de postuler que ce sont les professeurs qui font la différence. De nombreuses études ont été menées (j’en resterai pour ma part à celle de Hanushek et Rivkin) qui permettent d’isoler parmi les différents facteurs en jeu dans les processus d’apprentissage (tels que l’environnement de l’école, le milieu social des enfants, le contenu des programmes,...) la véritable valeur ajoutée de l’enseignant. Et de conclure donc qu’au-delà de tous ces facteurs, c’est belle et bien la qualité des enseignants qui offrent aux élèves les meilleurs chances de réussite. Cela paraît peut-être évident, encore fallait-il le démontrer.

Un “bon” professeur, c’est quoi?

Au delà du postulat, la question est maintenant de savoir ce qu’on entend par un “bon” professeur. Hanushek et Rivkin s’attaquent pour cela à quelques hypothèses: la certification/qualification, l’expérience, le niveau de salaire, … sans les trouver particulièrement pertinentes. Je me permets de m’arrêter sur cette affirmation car elle vient tout de même contredire en profondeur bien des croyances populaires (et sont souvent largement ignorées par les décideurs). Non, on n’est pas forcément un moins bon professeur si l’on n’est pas certifié. Non, on n’est pas forcément un meilleur professeur après 20 ans de carrière (les gains après 5 ans devant les élèves sont négligeables).

Aux hypothèses précédentes, je pourrais rajouter les questions suivantes, moins scientifiques mais que tous les acteurs du monde de l’éducation se posent au quotidien: est-on un “bon” professeur si on est bienveillant et si on laisse aux enfants une certaine liberté pour découvrir ou est-on un “bon” professeur si on possède une autorité naturelle et qu’on sait tenir ses élèves? Est-on un “bon” professeur si l’on innove dans ses pratiques ou est-on un “bon” professeur si l’on s’en tient aux bonnes vieilles recettes? Est-un un “bon” professeur si l’on sait assurer une excellente communication avec les familles ou est-on un “bon” professeur si l’on consacre tout son temps aux enfants sans se soucier de son image?

La réponse, me direz-vous sans doute, est un peu de tout cela. Vous auriez sans doute raison et sans doute un peu tort: la vérité c’est qu’on ne sait pas vraiment ce qui fait qu’un professeur est un professeur efficace. Ce qui nous laisse dans une impasse quand il s’agit, chaque année, de recruter.

Et si l’on recrutait des professeurs intelligents?

Revenons alors à PISA et à une autre étude de Hanushek, Piopiunik et Widerhold qui s’intéresse à la valeur ajoutée de l’intelligence des professeurs (je ne rentre pas dans le débat de ce qu’est l’intelligence, ni des différents types d’intelligence identifiés, pour me concentrer sur les qualités académiques que sont la capacité de comprendre des textes en profondeur et celle de résoudre des problèmes mathématiques).

La conclusion de cette recherche est sans équivoque: plus les professeurs sont intelligents, mieux leurs élèves réussissent.

J’étais particulièrement heureux de découvrir cette conclusion on ne peut plus scientifique car elle vient confirmer une intuition toute personnelle que je nourris depuis que je fais ce métier: mettez quelqu’un d’intelligent, de cultivé, de curieux devant un groupe d’élèves et préparez-vous à voir des miracles. On dit souvent que les écoles françaises de l’étranger sont privilégiées parce qu’elles ont la chance de recruter d’excellents enseignants. C’est vrai. Mais pour connaître le système de l’intérieur depuis une douzaine d’années, je sais que “excellent” ne signifie pas forcément qualifié ou expérimenté. Quand il faut recruter tardivement des collègues parce que le nombre d’élèves a subitement augmenté ou parce qu’un enseignant recruté en janvier annonce finalement en mai qu’il ne viendra plus, mes collègues et moi sommes bien souvent dans l’obligation de procéder au recrutement de profils divers: personnes diplômées déjà sur place mais sans expérience, époux ou épouse d’expatrié qui a l’avantage d’être disponible, une personne qui travaille déjà dans l’école sur d’autres fonctions, etc. On dit souvent, quand cela nous arrive et comme pour nous protéger par avance: “je n’ai pas eu le choix”. Mais peut-être devrions-nous plutôt dire : “j’ai tout de suite saisi cette opportunité”.

Annoncer aux familles que l’on recrute des gens sans expérience et sans qualification peut être une gageure selon le contexte. C’est un discours souvent difficilement audible et les écoles internationales - dont les frais de scolarité sont généralement exorbitants - l’ont bien compris, elles qui mettent systématiquement la certification de leurs professeurs en avant et qui, pour les plus prestigieuses, ne considèrent même aucun candidat non qualifié. Je confesse que c’est aussi mon choix le plus souvent possible.

Dans le système français nous avons de la chance. Devenir enseignant reste pour un étudiant une carrière relativement enviable. Si bien que la France continue de recruter, par le biais de concours très difficiles (31,8% de réussite seulement l’an dernier pour le secondaire, un chiffre stable par rapport aux années précédentes) quelques uns de ses meilleurs étudiants attirés par l’enseignement (un taux de chômage de 10%  depuis de nombreuses années explique sans doute pour partie cet engouement). En conséquence, nous avons en France des professeurs “intelligents” (selon la mesure effectuée par les tests PIAAC)

C’est donc fort de toutes ces conclusions que je recrute (et tente de garder!) des professeurs depuis quatre ans au Lycée français de Taipei. J’essaie, modestement, de mettre devant les élèves les professeurs les plus intelligents possibles. Il n’y a pas pour cela de recettes miracles ni de techniques imparables. Parfois le sentiment de solitude est intense: seul juge, on peut finir par douter de soi et de son instinct. Mais j’aime créer lors des entretiens une atmosphère détendue (on n’est pas au tribunal). Il m’arrive de poser des questions qui semblent parfois un peu hors sujet (qu’êtes-vous en train de lire? Quel est le dernier film que vous avez vu?). Surtout, j’aime que ces entretiens deviennent une conversation fluide entre deux éducateurs qui savent bien qu’ils n’ont pas toutes les réponses mais qui savent aussi que c’est dans ce questionnement qu’ils continueront de progresser et de prendre plaisir à exercer. J’aime recruter et travailler avec des collègues, autonomes, fiers de leur travail, cultivés, curieux, et ouverts. Je sais que ces professeurs là ont tellement à apporter à leurs élèves. Je sais que les parents auront plaisir à communiquer avec eux

ET, c’est comme ça, peut-être, que notre école, pas bien connue, pas bien réputée il y a quelques années est devenue aujourd’hui un des établissements les plus en vue de Taiwan et qui, après avoir connu des moments difficiles doit maintenant mettre en place des listes d’attente. C’est qu’il ne faut pas se leurrer: de toutes les choses que fait le proviseur toute l’année, la plus essentielle, celle qui a le plus d’impact direct sur les élèves, c’est choisir qui sera devant les élèves. Si c’est grâce à PISA que nous en avons la certitude et la preuve scientifique, alors ces tests auront au moins servi à quelque chose.


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