Vaccination obligatoire des professionnels en situation de crise : une mesure « pour l’exemple ou un « devoir éthique » pour tous ?
Vaccination obligatoire des professionnels en situation de crise : une mesure « pour l’exemple ou un « devoir éthique » pour l’ensemble de la population ?
Emmanuel Hirsch
Extrait de Une éthique pour temps de crise, E. Hirsch, éditions du Cerf, 2022
Les mesures d’interdiction d’exercice des professionnels hostiles à leur vaccination doivent être également envisagée du point de vue de leur exemplarité. Faut-il l’évoquer ici, sans prêter pour autant à l’excès d’assimilations irrecevables, en situation de guerre, les décisions « pour l’exemple » peuvent aussi avoir des conséquences redoutables.
Le décret relatif à la suspension de l’obligation de vaccination contre la covid-19 des professionnels et étudiants a été publié dans le Journal Officiel du 14 mai 2023.
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Et si demain une crise sanitaire imposait à nouveau des mesures exceptionnelles, l’ensemble de la population admettrait-elle le « devoir éthique » de l’obligation vaccinale ?
En France, le 6 mars 2021 le Conseil national de l’Ordre des médecins rendait publique une position que semblaient justifier les réticences et les suspicions amplifiées à travers les réseaux sociaux : « La vaccination des soignants est une exigence éthique. » L’instance ordinale y argumentait sa position : « Alors que l’ensemble des soignants est aujourd’hui éligible à la vaccination contre la Covid-19, se faire vacciner est par conséquent une exigence éthique qui s’impose à tous, la vaccination diminuant considérablement les chaînes de transmission du virus Cette exigence s’impose d’autant plus que les soignants, à qui les Français vouent une confiance importante, ont plus que jamais un devoir d’exemplarité qui leur incombe. »
Retenons cette invocation au « devoir d’exemplarité » qui ne doit pas pour autant prévaloir sur le devoir d’intégrité et de circonspection rappelé dans le Code de déontologie médicale et conditionnant la relation de confiance : « Le médecin ne peut aliéner son indépendance professionnelle sous quelque forme que ce soit » ; « Lorsque le médecin participe à une action d’information du public à caractère éducatif, scientifique ou sanitaire, quel qu’en soit le moyen de diffusion, il ne fait état que de données confirmées, fait preuve de prudence et a le souci des répercussions de ses propos auprès du public. » N’a-t-on pas exalté à l’excès cette fonction d’exemplarité sociale à visée d’incitation à la vaccination, d’autant plus exploitable que les professionnels du sanitaire et du médico-social l’avaient illustrée en s’investissant sans compter leurs efforts depuis le début de la pandémie ? De telle sorte qu’y déroger ne pouvait que susciter la désapprobation et le rejet de la communauté. Non seulement au motif de refuser à contrecourant des prescriptions institutionnelles un mode de prévention considéré scientifiquement pertinent et limité dans ses effets indésirables, mais également parce que cette réticence de la part de personnes davantage que d’autres en capacité de comprendre les risques et leurs conséquences d’une innovation thérapeutique constituait une enfreinte à une unanimité promue dans la doxa alors en vigueur. De surcroit, elle portait atteinte aux représentations d’un certain idéal de dévouement et d’esprit d’abnégation incarné par le soin. Les mesures d’interdiction d’exercice des professionnels hostiles à leur vaccination doivent être également envisagée du point de vue de leur exemplarité. Faut-il l’évoquer ici, sans prêter pour autant à l’excès d’assimilations irrecevables, en situation de guerre, les décisions « pour l’exemple » peuvent aussi avoir des conséquences redoutables.
Le 9 mars, dans son communiqué « La vaccination des soignants contre la Covid-19 doit devenir obligatoire », l’Académie nationale de médecine soutenait une position encore davantage prescriptive : « Considérant que l’hésitation vaccinale est éthiquement inacceptable chez les soignants, l’Académie nationale de médecine recommande de rendre obligatoire la vaccination contre la Covid-19 pour tous les professionnels de santé exerçant dans le secteur public ou libéral, dans les établissements de santé et dans les EHPAD, ainsi que pour les auxiliaires de vie pour personnes âgées. »
Si je respecte la multiplicité des positions développées avec un véritable souci de rigueur par l’Académie de médecine (dont je fais partie) depuis le début de la pandémie, j’estime que considérer « l’hésitation vaccinale [est] éthiquement inacceptable chez les soignants » est discutable. D’une part en observant que bien qu’acceptant la vaccination, nombre d’entre eux ont hésité avant de concéder à l’obligation parce que leur faculté de choix alternatif ne leur permettait pas en pratique de faire autrement. Mais aussi parce que l’hésitation dans l’arbitrage d’une décision qui engage à titre personnel et pour les autres est plutôt l’expression de l’esprit critique. Que des professionnels assumant des responsabilités humaines et sociales dans le contexte incertain d’une crise majeur ne soit par reconnus dans une faculté d’hésitation et donc de discernement m’inquièterait.
Le 3 juillet 2021, en dépit des explications et des admonestations les obstacles à une démarche volontairement consentie de la part des professionnels s’avèrent tels que « 96 médecins appellent à la vaccination obligatoire des soignants ». Ils constatent l’échec de leurs tentatives à convaincre les membres de leurs équipes rétifs à la vaccination, et s’en remettent au législateur, invoquant un « devoir éthique » pour prescrire ce à quoi ils ne sont pas parvenus dans le cadre d’une concertation : « Parce que c’est un devoir éthique de protection des personnes vulnérables dont ils ont la charge, tous les soignants doivent être vaccinés. »
La loi n° 2022-1089 du 30 juillet 2022 mettant fin aux régimes d'exception créés pour lutter contre l'épidémie liée à la covid-19 a décidé la suspension de la mesure d’interdiction d’exercice dès lors que la Haute autorité de santé (HAS) estimera que les conditions sanitaires ne la justifient
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1 ansMerci Emmanuel Hirsch pour votre plaidoyer: « Si je respecte la multiplicité des positions développées avec un véritable souci de rigueur par l’Académie de médecine (dont je fais partie) depuis le début de la pandémie, j’estime que considérer « l’hésitation vaccinale [est] éthiquement inacceptable chez les soignants » est discutable. D’une part en observant que bien qu’acceptant la vaccination, nombre d’entre eux ont hésité avant de concéder à l’obligation parce que leur faculté de choix alternatif ne leur permettait pas en pratique de faire autrement. Mais aussi parce que l’hésitation dans l’arbitrage d’une décision qui engage à titre personnel et pour les autres est plutôt l’expression de l’esprit critique. Que des professionnels assumant des responsabilités humaines et sociales dans le contexte incertain d’une crise majeur ne soit par reconnus dans une faculté d’hésitation et donc de discernement m’inquièterait. » Plus jamais ça? Comme vous le souhaitez, il nous faudrait un vrai temps de bilan et une vraie consultation citoyenne sur ce sujet ardent, avant la prochaine crise.