Emprunté au vocabulaire militaire, l’acronyme VICA (Volatil, Incertain, Complexe, Ambigu - VUCA pour les anglo-saxon) a été repris ces dernières années par de nombreuses entreprises « tech » de la Silicon Valley pour qualifier la perception de leur propre marché.

En effet, voilà bien quatre grandes caractéristiques du marché mondialisé actuel : Volatil, Incertain, Complexe, Ambigu...Mais ce simple constat devient plus intéressant lorsque des entreprises décident d’intégrer ces facteurs dans leur stratégie et leur structuration. Pour dérouler le fil, revenons sur ces quatre éléments de description du marché, et plus généralement de l’environnement actuel des entreprises :

• Volatil : tout change vite, et les bases les plus solides peuvent parfois vaciller dans un contexte mondialisé, où l’accès à l’offre et à l’information est immédiat et où la concurrence est sans cesse renouvelée. Volatilité des prix des matières premières, nouvelle technologie qui chasse l’ancienne, clientèle dispersée, informée et peu fidèle...difficile dans ce contexte de voir loin et de bâtir une stratégie de long terme.
• Incertain : la multiplicité et l’évolution rapide des facteurs qui conditionnent la vie de l’entreprise rend très hasardeuse la lecture de l’avenir, et empêche des anticipations fiables.
• Complexe : tous les domaines de l’entreprise portent une complexité qui a tendance à s’accroître : complexité règlementaire, technologique, juridique, etc.
• Ambigu : les données, spécialement les données de marché, peuvent être contradictoires ou mal interprétées

Vous me direz, rien de nouveau derrière ces descriptions, et c’est bien la perception qu’ont les entreprises depuis plusieurs années. Certes, mais tout l’intérêt de ce concept est son intégration dans le fonctionnement même de l’entreprise : intégrer le risque de volatilité, l’incertitude, la complexité, l’ambiguïté. Et cette intégration passe par une vision renouvelée de l’entreprise.

Agilité des ressources et transversalité

On peut trouver de nombreux rapprochements entre les récentes réussites dans le monde ultra-concurrentiel de la Silicon Valley, mais trois points communs sautent particulièrement aux yeux : innovation, écoute du marché (partir d’un problème et tenter de le résoudre) et focalisation rapide des ressources sur un projet.

La capacité d’innover répond à la rapidité de l’évolution des marchés, et permet de conserver un leadership ou de se diversifier. Pour encadrer cette phase d’innovation, il faut bien-sûr une efficacité dans « l’écoute du marché », que ce soit via une utilisation efficace des données clients (pour l’amélioration du service ou la proposition de nouveaux produits) ou via la tentative de résolution d’un problème global (stratégies d’innovation de Google ou de Tesla par exemple : constater un problème qui affecte la plus grande part de la population, puis chercher et développer une solution qui changera le Monde !). Le troisième point semble plus prometteur encore : être capable de focaliser ses ressources rapidement et massivement sur un projet.

Voilà peut-être le point à la fois le plus différenciant et le plus difficile à percevoir. Pourtant, il s’agit bien de l'élément central dans l’intégration du caractère « VICA » de l’environnement de l’entreprise : savoir réagir vite, mobiliser du savoir-faire à un moment clé, sur un projet clé.

Si ce fonctionnement est plutôt naturel pour les petites entreprises, à l’heure actuelle la majorité des moyennes et grandes entreprises ne sont pas structurées pour répondre à cet enjeu. Notre modèle d’entreprise est toujours basé, comme à l’époque industrielle, sur des équipes de travail cloisonnées, parfois étanches voire même concurrentes. Il est évident que cette façon de fonctionner offre la « sécurité » d’une hiérarchie bien déterminée, au sein de laquelle chacun a un rôle bien défini. Et gare à celui qui proposerait un projet commun !

Décloisonner et libérer la créativité

Ce constat contribue à expliquer l’inertie générale qui règne dans les grandes entreprises, avec d’énormes difficultés à se renouveler et à être réactif sur un marché mondial. Les talents sont nombreux en France, et l’on entend souvent que le modèle d’entreprise français les empêche de s’exprimer. Pourtant, chaque salarié, même s’il est spécialisé dans une tâche ou un domaine pour lequel il est formé, peut avoir des idées sur d’autres champs de compétences, ou intéressé à proposer sa vision sur les perspectives et les projets d’avenir de l’entreprise, à toute échelle. Reste à donner un espace de coopération, un contexte pour que cette voix s’exprime.

Ce contexte peut aussi bien être un temps passé auprès d’autres services ou d’autres équipes de travail durant l’année, ou la mise en place régulière d’équipes mixtes de travail pour apporter des solutions et des compétences transversales à une problématique ou un projet ! Management et communication interne jouent alors un rôle déterminant dans ce « mode projet », qui a pour condition sine qua non une bonne circulation de l’information et un partage par la direction auprès des salariés de la vision stratégique de l’entreprise.

Dans un contexte de crise, l’entreprise a tout intérêt à capitaliser sur sa ressource la plus précieuse : la ressource humaine ! Par un décloisonnement maîtrisé des services et une confiance accordée au potentiel de chacun à faire évoluer un projet transversal, on offrirait à bien des entreprises une clé de développement à la fois énorme et déjà présente en interne, tout en permettant aux salariés de disposer de nouvelles possibilités d’épanouissement professionnel et de reconnaissance.

Pour revenir à notre question de départ, vous aurez compris le point de vue de l'article : une entreprise qui fait l’effort de ce mode de fonctionnement, au-delà d’améliorer le bien-être de ses salariés, libère un vrai potentiel interne de croissance en obtenant la capacité de mobiliser des ressources et des savoir-faire de façon rapide et efficace ; ce qui lui permet d’aiguiser ses armes pour affronter le danger de ces quatre lettres : VICA.