Visa, arrêtons l’humiliation !

Visa, arrêtons l’humiliation !

Par Hédi Mechri

Si ce n’est pas de l’humiliation, cela lui ressemble étrangement. Jusqu’à quand, jusqu’où serons-nous traités comme des parias, des malfrats d’une époque qui n’est plus la nôtre ? Sommes-nous à ce point sortis de l’histoire alors qu’on pensait avoir fait une entrée triomphale ? Il fut un temps, pas très lointain, où quoi qu’on ait pu dire de l’état de nos libertés, les Tunisiens pouvaient se sentir comme des citoyens du monde à part entière. Ils pouvaient se rendre d’un pays, voire d’un continent, à l’autre sans être suspectés des pires intentions quoi qu’ils puissent être et à quelque niveau de responsabilité où ils évoluent et interviennent.

Le comble de l’hypocrisie c’est quand ces atteintes à la dignité des Tunisiens et aux règles de droit les plus élémentaires sont portées par des prétendus pays amis, défenseurs de surcroît des libertés et de la démocratie.

Les services consulaires de Sa majesté la Reine de Grande-Bretagne ont certes le droit d’accepter ou de refuser quiconque souhaiterait se rendre le plus légitimement et le plus pacifiquement du monde chez eux. Mais il ne semble pas qu’ils aient le droit de lui « confisquer » – car c’est bien de cela qu’il s’agit – son passeport pendant près d’un mois avant de rendre leur verdict : lui octroyer ou non le visa d’entrée dans le territoire britannique.

J’en suis pour ma part – et à ma plus grande stupéfaction – à mon 25ème jour sans que rien ne se profile à l’horizon. Pas d’explications, pas un mot d’excuse pour justifier ce retard. Il s’agit pourtant d’un renouvellement de visa longue durée, ce qui est de nature à raccourcir les délais d’une prestation de service. Chèrement très chèrement payée. Pour ces tarifs là – on en est au summum de l’échange inégal – on devrait avoir droit, et les Britanniques sont bien placés pour le savoir, à un meilleur traitement.

Un mois c’est une éternité pour les journalistes que nous sommes, contraints à d’incessantes mobilités. Pendant tout ce temps, je suis pour ainsi dire privé de voyage. Si les services concernés avaient un peu plus de respect et de considération pour nous autres, ils pouvaient à la limite accepter une photocopie du passeport plutôt que le passeport lui-même pour ne pas entraver notre mobilité internationale et nous priver d’être aux rendez-vous des événements qui comptent.

Que sommes-nous devenus pour qu’on nous rabaisse à ce point et qu’on nous traite avec une telle désinvolture, une telle indifférence et un tel irrespect ?

C’est bien pourtant le gouvernement britannique qui n’a pas hésité à présenter ses plates excuses à un personnage aussi trouble et aussi controversé que le Libyen Hakim Bel Haj. C’est à n’y rien comprendre. Il serait mieux inspiré, plus avisé, au nom des valeurs qui sont les siennes, tout aussi que les nôtres, d’interpeller ses services consulaires dont la démarche à notre égard choque et scandalise l’opinion publique. Notre silence confine à l’indignation. A l’annonce de l’attentat de Sousse, dont furent victimes des citoyens britanniques, les Tunisiens qui subissent aujourd’hui «  l’affront » des visas s’étaient sentis si proches des Britanniques qu’ils partageaient leur douleur au point qu’ils se disaient tous britanniques pour témoigner de leur compassion et de leur solidarité.

La Tunisie – et nos amis britanniques ne l’ignorent pas – est une petite géographie, mais c’est une grande histoire. Elle est certes aujourd’hui violentée, abîmée, brisée même par les turbulences post-révolution et par l’incompétence et l’incurie d’une classe politique qui a fait sombrer l’Etat en le réduisant au silence et aux compromissions. On ne comprend pas leur passivité et leur incapacité à défendre l’honneur de ceux-là mêmes qui les ont portés au pouvoir. Cette Tunisie, aujourd’hui au plus mal, que le gouvernement britannique dit vouloir aider, n’est rien sans les Tunisiens. Leur impuissance et leur incapacité à dénoncer publiquement ces pratiques humiliantes et dégradantes ne grandissent pas à nos yeux la Grande-Bretagne.

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