Vive la tech ? Quand l’IA générative se fait une place dans le travail
🤖 Alors que le célèbre salon Viva Technology ouvre ses portes, nous souhaitions questionner avec vous les effets de l'IA générative sur le travail.
Après l’écriture puis l’imprimerie, le numérique constituait la troisième révolution anthropologique majeure. Dans son essai Petite Poucette[1], le philosophe Michel Serres évoquait ainsi ses effets sur une nouvelle génération née digitale qui aurait toutes les informations à portée de pouce, façonnant un nouvel homme, et un nouveau travailleur par la même occasion. Car appliqué au travail, le numérique a profondément bouleversé nos organisations, des relations professionnelles à notre gouvernance en passant par l’organisation du travail. Troisième révolution anthropologique, troisième révolution industrielle.
Nous parlons même désormais d’« industrie 4.0 » ou de quatrième révolution industrielle. Cette quatrième étape n’est en réalité que le prolongement accéléré de la précédente :
« les technologies numériques […] ne datent pas d’hier. Ce qui rompt avec la troisième révolution industrielle, c’est leur complexité et leur intégration toujours croissantes »[2].
L’IA n’est en effet pas nouvelle : simplement ses algorithmes se sont-ils affinés, son usage, amplifié et démocratisé. Mais, comme toute innovation majeure, elle suscite son lot de craintes, de résistances et d’utopies, ne serait-ce que parce qu’elle remet en débat ce qui fait la valeur de l’homme, sa singularité, l’essence de sa condition. En novembre 2022, l’accessibilité de Chat GPT bouscule le monde économique et interroge : que va faire l’IA au travail ?
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Les professions intellectuelles en question
Et il y a bien quelque chose de profondément nouveau dans l’intégration de l’IA générative au sein de nos organisations : c’est que, pour une fois, cette innovation technologique questionne des populations dont l'emploi était jusqu'ici épargné.
Jusque-là, les nouvelles technologiques avaient en effet surtout bouleversé les activités manuelles (via la robotisation) ou à faible qualification (via l’automatisation dans le traitement des données). On parlait alors dans les entreprises de polarisation des corps sociaux, entre opérateurs et tâcherons du clic d’un côté et supers intelligences de l’autre, à même de manipuler les outils du numérique au service de leur productivité. On s’inquiétait sur l’obsolescence des compétences et on annonçait la fin des métiers de caissiers et de guichetiers.
Or, grâce à ses facultés créatives et de production intellectuelle autonome, l’IA générative percute particulièrement les activités intellectuelles : ChatGPT n’est qu’une goutte dans l’océan de solutions d’IA générative qui se déploient aujourd’hui, qu’elles génèrent du texte, de l’image, de la vidéo ou du code, comme en témoignent les logiciels DALL-E, Midjourney ou encore Sora.
Voilà donc cette technologie qui pourrait réduire 44 % de la charge de travail des radiologues [3], qui pourrait reléguer les traducteurs au rang de relecteurs de versions DeepL, qui épaule les designers dans les studios de mode [4] et qui fait trembler les analystes symboliques [5] : une expérimentation réalisée par le BCG avec ses consultants estime que le bond qualitatif des livrables de ses consultants est de 40 % sur un business case créatif [6]. 65 % des dirigeants de cabinets de conseil, d’audit ou d’ESN pensent que le métier va radicalement changer[7]. Et même notre directeur artistique flippe.
Mais plus encore que le questionnement des professions intellectuelles, l’irruption de l’IA générative dans nos organisations questionne les “travailleurs moyens” ; les qualifiés mais pas experts qui font tourner l’économie de la connaissance.
Le grand retour des travailleurs moyens ?
Carl Benedikt Frey et Michael Osborne, professeurs à l’université d’Oxford, de prendre la parole à ce propos :
“Il y a dix ans, nous avons publié un article [8] [...] qui mettait en évidence la manière dont l'intelligence artificielle élargissait le champ d'action des ordinateurs et, partant, les possibilités d'automatisation. L'idée dominante à l'époque était que l'ère du travailleur "moyen" était en train de s'achever, les machines remplaçant progressivement les emplois routiniers et administratifs. [...] Dix ans plus tard, ce que l'on appelle l'IA générative semble bouleverser ces tendances : l'ère du travailleur "moyen" fait son retour.”
Sur ce point, pourtant, tous les avis ne convergent pas, que ce soit
La bonne nouvelle c’est qu’il est possible de choisir la façon de s'approprier cette révolution technologique. Filipe Franco, Directeur du développement & Lab Innovation chez BlueLink, interrogé dans le cadre de l'enquête menée pour l'AFRC en témoigne :
« Quand l’intelligence artificielle est apparue il y a quelques années, nous nous sommes naturellement questionnés sur ses impacts potentiels sur les métiers de la relation client. Déjà à l’époque, les premiers chatbots ont poussé la profession à s’interroger sur le rapport entre l’Humain et l’IA ; rapidement, l’option de la complémentarité s’est imposée comme une évidence ! »
Chez BlueLink, l'intégration technologique s'est faite en faveur d'un déplacement du travail humain. Pierre Rannou , CEO et Cofounder partage la vision de Tutteo
« La logique, ce n’était pas ‘Il y a une IA donc je vais virer quelqu’un’. L’objectif est plutôt de former les équipes à l’IA et de le prendre comme un pivot interne. »
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Intégrer l’IAG à son organisation
Comment s’y prendre correctement pour intégrer l’IAG au sein de son organisation ? Voilà la grande question que les DRH comme les directions des opérations se posent.
Bien faire les choses nécessite de poser avant tout un état des lieux sur son entreprise. L’intégration d’une innovation technologique ne peut s’en émanciper — au risque autrement de coûter cher : 70 % des transformations numériques n’atteignent pas leurs objectifs[12] et la résistance en interne est perçue comme le troisième frein à la digitalisation de l’entreprise devant le manque de moyens financiers[13]. Et, en effet, les transformations technologiques impactent différemment les métiers, les niveaux d’expertise et les organisations. Elles ne s’appuient pas sur les mêmes prédispositions managériales selon les entreprises, ni ne revêtent pas les mêmes imaginaires en interne pour embarquer un corps social (par exemple, moins la catégorie professionnelle est élevée, plus elle est inquiète vis-à-vis de la technologie)[14].
Un outil peut aider à poser ce diagnostic : Le modèle d’acceptation technologique, de l’anglais Technology Acceptance Model, est une théorie développée dans les années 1980 par le chercheur en systèmes d'information Fred D. Davis. Son objectif est de comprendre et d’expliquer l'adoption des technologies en milieu professionnel en identifiant les facteurs psychologiques et sociaux qui influencent le comportement humain. Les premiers travaux qui étudient la pertinence du TAM appliqué à des technologies basées sur l’IA sont probants et révèlent quelques spécificités supplémentaires à prendre en compte. Voici un modèle théorisé en 2022 dans le cas d’une IA en boucle humaine, qui se dote de nouvelles dimensions :
Cet état des lieux servira ensuite de boussole et d’aide à la décision des dirigeants. Car il n’y a pas d’IA à prédire, il n’y a que des IA à choisir. Le travail est une activité constitutive de la nature humaine. Il a des pouvoirs expressifs essentiels à l’homme, il a des propriétés identitaires. Il est donc impératif — si l’on souhaite le bousculer de telles innovations — de le faire sur l’autel de convictions fortes. D’autant plus que l’IAG soulève de nombreux enjeux concernant l’intensification du travail et le lien social (on se souvient tous de l’effet déroutant du film Her). Que l’on bosse donc dans les services, en usine, dans un centre d’appels ou dans les tours de la Défense, il s’agira de prendre la mesure de la responsabilité qui incombe à un tel contexte de transformation. Et de décliner la colonne vertébrale choisie en termes de formation, pour répondre aux besoins identifiés lors de l’état des lieux, de management, pour s’assurer que les pratiques innervent l’ensemble des équipes concernées, et de gouvernance, pour encadrer l’orchestration de cette transformation.
Une newsletter écrite par Rose Ollivier
Bibliographie
[1] Michel Serres, Petite Poucette, Le Pommier, 2012
[2] Klaus Schwab, La quatrième révolution industrielle, Dunod, 2017
[3] Une étude publiée en août 2023 dans Le Lancet Oncology et menée sur plus de 80 000 patientes suédoises, démontre que le duo d’un radiologue et d’un logiciel IA était tout aussi performant, voire détectait légèrement plus de cancers, que deux radiologues (en première puis deuxième lecture).
[4] Mango a par exemple développé une plateforme d’IA générative conversationnelle pour concevoir ses collections. Surnommée Lisa, elle identifie également les tendances de consommation et prend en charge le service client.
[5] Reich, R., L’économie mondialisée, Dunod, 1993
[6] BCG, IA générative : quel impact sur la performance au travail ?, septembre 2023
[7] The Boson Project pour Napta, janvier 2024
[8] Frey Carl Benedikt et Osborne Michael A., « The Future of Employment: How Susceptible Are Jobs to Computerisation? », Oxford Martin Program Working Paper, septembre 2013, 72 p.
[9] McKinsey Global Institute, Generative AI: How will it affect future jobs and workflows?, septembre 2023
[10] BCG, IA générative : quel impact sur la performance au travail ?, septembre 2023
[11] ibid
[12] Flipping the Odds of Digital Transformation Success, BCG analysis based on 895 digital transformations, 2020
[13] Une étude de la BPI France de 2017
[14] Une étude de l’Académie des Technologies de 2020