Vive les jugements !

Vive les jugements !

Il est de bon ton dans la communauté du développement personnel de dire qu’il ne faut pas juger. On parle de « non jugement », posé comme une sorte d’obligation morale. Il serait mal de juger.

Quelques remarques par rapport à cela.

Juger les juges ou les jugements est évidemment un paradoxe, du même ordre que le « il est interdit d’interdire » de 68. Affirmer qu’il ne faut pas juger, ou affirmer que le non jugement est la posture souhaitable, c’est encore porter un jugement.

Le non jugement est souvent recommandé pour les jugements… négatifs. Mais doit-on aussi proscrire les jugements positifs ? Féliciter quelqu’un, c’est lui dire qu’on juge que ce qu’il a fait est formidable. Doit-on aussi s’interdire les jugements positifs ?

Juger, et exprimer ses jugements, c’est donner des repères : à un collaborateur, un enfant. Notre sens moral nous indique qu’il y a des choses « bien », des choses « mal ». Doit-on taire notre sens moral ? Comment faire alors pour transmettre ? Même transmettre qu’« il ne faut pas juger », c’est encore estimer qu’il y a des choses mieux que d’autres à transmettre, et c’est donc encore juger. Et si les jugements ne s’expriment pas, comment faire pour engager le nécessaire dialogue entre tous les sens moraux, et essayer de fabriquer un minimum de normes partagées ? N’y a-t-il pas le risque de tomber dans un relativisme absolu, où tout se vaudrait, tout serait à égalité ? ne plus pouvoir faire la distinction entre l’abject et l’admirable ?

De plus, si l’on écoute les spécialistes du cerveau, notre système limbique a pour fonction de… juger : classer les informations selon qu’elles nous sont agréables ou non, leur donner une signification, positive ou négative. Le cerveau humain n’arrive pas à fonctionner sans apprécier, sans donner un sens à ce qu’il voit, entend, perçoit. Notre cerveau est une machine à juger. Ne pas juger est un non-sens cérébral.

Enfin, si l’on écoute Marshall Rosenberg, le père de la Communication Non Violente, nos ressentis – ce qui nous fait apprécier que telle chose est juste, bonne, souhaitable (ou injuste, mauvaise, à éviter) – nous renseignent sur nos besoins. Quand je juge que le comportement de mon chef ou de mon collaborateur n’est pas adéquat, cela me donne une information précieuse sur ce qui me manque (besoin de sens, d’équité, de justice, de respect, etc.). Les jugements sont une précieuse source d’information.

Maintenant, il ne faut pas confondre jugement et expression du jugement. Je peux penser pis que pendre de mon voisin ou de mon garagiste, je ne suis pas obligé de le leur dire. Les partisans de « l’authenticité » crieront à l’hypocrisie, et ils auront raison. Mais l’authenticité a deux faces : une lumineuse et une sombre. Ne voir que la première me semble relever d’une vision dangereusement rousseauiste. Il y a plein de moments et d’endroits dans le monde où les gens sont parfaitement authentiques : quand Donald Trump insulte Hillary Clinton, il est extraordinairement authentique. Les combattants des pays en guerre se haïssent et se le prouvent très authentiquement.

« Un homme, ça s’empêche », disait Camus, et dans son esprit, « empêcher » voulait dire « se contrôler ». Je pense illusoire et néfaste de s’interdire de juger, pour toutes les raisons évoquées. En revanche, on n’est pas obligé d’utiliser nos jugements comme des armes de destruction massive : on peut en faire des outils de dialogue et de compréhension mutuelle. Un marteau peut aussi bien casser la tête du premier venu que servir à bâtir une belle maison. Il en va de même de nos jugements.

Xavier ROBIN 🚀 passionné par l'humain

J'accompagne les dirigeants à mieux diriger, les managers à mieux manager et les équipes (Comex, Codir...) à mieux collaborer avec un objectif commun : la mise en mouvement.

8 ans

Je juge que c'est une belle réflexion sur l'intériorité du jugement et la vigilance à l'extérioriser.

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