La place de l’insight dans la boîte à outils du coach

La place de l’insight dans la boîte à outils du coach

Les coachs, comme toutes les professions, ont des croyances. Parmi celles-ci, le rôle central de l'insight (la prise de conscience) comme levier de changement : il suffi(rai)t que le client « prenne conscience » (de telle ou telle chose) pour que le changement s'opère.

Cette hypothèse – les acteurs changent grâce à la prise de conscience – occupe une place de choix dans toutes les disciplines ayant à gérer le changement :

  • C'est le rôle de la communication dans les projets de changement ou les réformes : on va faire « prendre conscience » aux salariés (ou aux citoyens) de toutes les bonnes choses contenues dans le projet (ou la réforme). On va faire de la pé-da-go-gie.
  • C'est la stratégie pour lutter contre le tabagisme. On sensibilise le fumeur à l’aide de photos bien trash pour qu’il « prenne conscience » des méfaits de son loisir.
  • Ça a longtemps été la ligne directrice de la Sécurité routière : sensibiliser les automobilistes à la dangerosité de la vitesse. Stratégie qui a ralenti le déploiement de mesures vraiment efficaces et coûté la vie à quelques milliers de personnes supplémentaires.
  • C'est encore la ligne directrice adoptée en matière de changement climatique. Malheureusement, les scientifiques sont bien placés pour constater que toute la connaissance, toutes les « prises de conscience » qu'ils apportent, ne changent pas grand-chose.

Mais revenons à nos organisations.

Quand on demande à un / une coach pourquoi il intervient, il va répondre : « Pour aider Mr Machin ou Mme Truc à… », et il va nommer le problème que l’institution lui a confié (ce problème peut être individuel, d’équipe, d’organisation, une transformation, peu importe).

Arrêtons-nous déjà ici : si le coach croit cette fable, il est mal parti en termes de diagnostic. Le coach n’est pas du tout là pour régler le problème désigné :

il est là parce que l’institution n’y est pas arrivée par elle-même.

Comme les entreprises ne déboursent pas de grosses sommes d’argent pour le plaisir, on peut légitimement penser qu’elles ont déjà essayé de régler le problème qu’elles nous confient. Et comme le levier de l’insight (« faire prendre conscience de… »), quelle que soit la forme qu’il prend (feedbacks, recadrages, communication, sensibilisation, etc.), est un des plus fréquemment utilisé, si l’entreprise recourt à un appui externe, c’est que ce levier n’a pas bien fonctionné. Le recours à un prestataire est donc déjà une information sur les leviers qui marchent ou pas.

Autrement dit, avant même d'avoir démarré, l’insight comme stratégie de changement peut donc non pas être éliminé, bien entendu – une bonne surprise est toujours possible –, mais au moins interrogé.

Tout ce qu’on se raconte là étant d’une simplicité biblique, on peut alors se demander pourquoi nous nous accrochons à ce levier de l’insight.

Il ne faut sans doute pas aller chercher trop loin : parce qu’il est très pratique.

  • Si le client change, c'est grâce à l'insight ; donc, directement ou indirectement, grâce au coach. Tout va bien, on a fait le job.
  • Si le client ne change pas, c'est qu'il ne veut pas. Comme l'éthique du métier pose qu'on doit pas « avoir d'intention » pour son client, le tour est joué.

Pile je gagne, face tu perds.

Le grand paradoxe de cette affaire est qu'elle se déroule dans une communauté professionnelle qui se pique de connaître le facteur humain... tout en faisant reposer sa pratique sur des postulats qui simplifient celui-ci jusqu'à la caricature : comme s'il suffisait de dire oui pour faire oui, comme s'il suffisait d'être conscient pour changer, comme si les contradictions n'existaient pas, comme si l'on croyait encore à ce conte pour enfants d'un être humain rationnel, alors qu'il n'est que rationalisant.

À croire que Freud n'a jamais existé, pas plus que l’inconscient, le refoulé, la compulsion de répétition, la névrose, les désirs inavouables, les pulsions contradictoires... Un siècle de travaux en psychologie, et on continue de penser que l’humain va changer à coups de « prise de conscience ». Pourquoi Erickson a-t-il eu besoin de déployer de tels trésors de créativité, pourquoi Nardone a-t-il écrit autant de livres sur les stratagèmes, si l’insight fonctionne aussi bien ?

Pourquoi les gens conscients du désastre écologique continuent-ils à prendre l’avion ?

Parce que le changement est un truc un peu plus compliqué que les bluettes qu’on raconte à son sujet.

C'est sûr qu’avec cette hypothèse de l’insight, tout le monde y trouve son compte :

  • les clients, bien contents de ne pas changer malgré leur demande officielle, et qui torpillent tranquillement leur coach ;
  • les coachs, qui peuvent toujours s’abriter derrière une neutralité toute suisse en cas d’échec ;  
  • les « philosophes » à succès, qui n’ont qu’à se pencher pour trouver des exemples d’amateurisme et d’à peu près.

La profession ne gagnera ses lettres de noblesse que quand elle sortira d'une certaine forme de simplisme, acceptera de se coltiner la complexité humaine et ses dilemmes, se dotera des méthodes, postures, connaissances, grilles de lecture, stratégies – en un mot du professionnalisme – que ceux-ci requièrent.

Karine Aubry

Coach systémique - Auteure - Kolibri Coaching

2 sem.

Merci Arnaud, c'est fort intéressant (et plein de finesse). Si l'insight n'est pas la panacée dans l'accompagnement, il rend tout de même de sacrés services à certaines étapes, mais attention... personne n'a la manette de l'insight (qui n'est certainement pas un "outil" du coach) puisque c'est, je le crois, une propriété émergente de la communication d'un humain, ici accompagné, avec son environnement. Ainsi, au détour d'un exemple, d'une question (ou d'un recadrage de sens comme cela a été dit ici), ou d'une action mise en oeuvre, celui dont le changement est ardemment attendu de tous voit soudain les choses différemment. Et en conséquence, agit différemment. Mais ce moment de bascule, à la portée plus ou moins vaste, ce moment est plutôt une chance, qu'un acte délibéré. Je réfuterais donc l'insight comme outil, et de plus je le situerais dans un effet qui dépasse le cognitif, car l'émotionnel est pris dans le mouvement. J'ai arrêté de prendre l'avion en 2014, le jour où j'ai mis en balance un Paris-NYC avec les 2 tonnes "autorisées, pas an", et avec les ordres de grandeur de mes efforts de sobriété quotidiens sur un tas de petites choses. L'effet a été émotionnel, et durable. Merci à tous de vos commentaires, ce débat est riche!

Philippe ARMAND 💫

Coach Professionnel Certifié | Facilitateur en Intelligence Collective | Expert en Théâtre Forum | Accompagnement des Transformations Organisationnelles

2 sem.

Pas sûr en effet que cela suffise car il faudra dépasser ses propres peurs, accepter l'inconfort dans le changement de ses croyances....mais ce qui est sûr, c'est que cet insight est la 1ere étape (...mais peut-être est-ce aussi une croyance! 🤔😉)

Stéphane KONRAD 😀

Consultant en management & organisation visuelle agile - formateur - intervenant chez #EstrellasCamino

3 sem.

Arnaud Tonnelé J'ai eu du mal à croire que la prise de conscience était suffisante à imaginer les "bonnes" actions pour lancer cette dynamique d'amélioration. Cet article m'éclaire et me confirme le fait que c'est la simplexité et le fait de viser l(s)es étoiles qui fera la réussite du processus ! 🌱 🤩 ! Gracias 🌲

Olivia C.

J'accompagne les entrepreneur·es engagé·es à alléger leur charge mentale et émotionnelle au travail ✨

1 mois

Cet article et sa tonalité me paraissent décrédibiliser le rôle central de la prise de conscience et mettre dans le même panier tous les accompagnants, et je trouve ça dommage. Il ne suffit pas que le client réalise une prise de conscience pour changer, oui. Déjà la prise de conscience doit être 1/ en lien avec l'objectif du client ; 2/ relative à son blocage sur son chemin pour l'atteindre ; 3/ connectée à un enjeu et une motivation à changer. En ce sens, certains exemples apportés ici ne me semblent pas adaptés. Par ailleurs, une prise de conscience non accompagnée s'évapore et reste peu utile, oui. Pour autant, à mes yeux la prise de conscience a un réel rôle dans le changement. Il existe des travaux de recherche sur ce sujet dans la matière du coaching professionnel ainsi que dans celle de la médiation. Enfin, la formulation très généralisante du dernier paragraphe me gêne énormément. Une grande partie de la profession adopte une déontologie, des process d'accompagnement et un professionnalisme et si je lis l'intention de nous élever tous dans cette tonalité, celle-ci adoptée en conclusion ne lui fait pas honneur.

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