Vous, vous n'êtes pas Docteur !
"Bonjour Docteur", "Docteur s'il vous plaît ...", "Ho lui ce ne peut être qu'un médecin", "Vous, vous n'êtes pas Docteur !".
Non effectivement je ne suis pas Docteur, je suis Infirmier. Je suis un jeune infirmier qui continue de s'étonner. Vous et moi connaissons l'importance des phénomènes de représentations ; de ce que peut renvoyer un habit ; de ce que renvoie l'homme dans une société occidentale et d'histoire patriarcale. L'habit ne semblerait pas faire le moine. On ne peut nier que porter la blouse ne fait pas de nous un Docteur (en médecine). Cependant, que renvoie cette blouse ? Que renvoit la femme ou l'homme qui la porte ? qu'est-ce que je renvoies auprès des patients que je prends en soins ? de leurs familles ? de mes collègues ?
A ce jour, je suis ammené à porter deux tenues professionnelles. Celle entière de la blouse et du pantalon blanc : celle du soignant de service hospitalier mettant en oeuvre les soins au quotidiens. Celle également de la blouse portée au dessus d'une tenue civile, une blouse identificatrice de l'appartenance à une profession de santé, afin d'effectuer une mission administrative et de recueil de données, sans lien direct avec le patient. J'ai l'impression, lorsque je m'habille de l'une ou l'autre façon, que j'appartiens à deux corps différents, à deux représentations semblables mais non identique.
De part ces deux habits, ces deux uniformes, je constate une différence. La première tenue, celle entière (blouse, pantalon, et accessoires (stylos, montre, téléphone...)) me fait appartenir au corps soignant. A de quelques occasions j'entend un "Bonjour Docteur", essentiellement émit par une personne âgée avec leurs représentations au vue de leur génération (qui plus est en EHPAD). Plus rarement par la famille. Jamais par mes pairs. L'habit tout de blanc, de la représentation même de ce blanc, couleur de la santé, de la paix, de la neutralité, du propre et du sain, renvoient à la notion soignante : infirmier, aide soignant ... que sais-je ? Nous sommes quelques millions à porter cette tenue blanche, à piétiner dans les couloirs des services de soins, à prodiguer les soins (préventifs, éducatifs, curatifs, ou même palliatifs) et promouvoir la dignité et le bon état de santé de nos patients. Cette tenue, changée chaque jour, protège le patient et celui qui la porte des micro-organismes, des agents pathogènes. Nous nous reconnaissons entre nous, tel que par exemple au regard d'un code couleur institutionnel. Cet habit, très présent, n'étonne pas, ne fait lieu à aucun commentaire, banal, il est normal. Il est la norme d'un centre hospitalier dans un service de soins. Sauf exception, cet habit blanc est porté par des professionnels paramédicaux. Le tutoiement est naturel, la collaboration est présente. Ces hommes et ses femmes travaillent ensemble, avec un système hiérarchique qui leur est propre, mais non perceptible pour le regard extérieur. Ce regard même qui ne différencie pas tel ou tel professionnel sans en être averti.
La blouse blanche mettant en lumière les habits civils, d'autant plus quand elle est ouverte, Elle n'est pas dans la norme. Elle, est minoritaire. Elle, porte la représentation de la santé pour différentier un individu d'un professionnel hospitalier. Elle, non commune, impose le vouvoiement de l'inconnu. Elle, dans l'Histoire occidentale, fait référence au corps médial, au savoir et à l'expertise du médecin. La blouse blanche soigne, la blouse blanche guérie. Dans l'histoire de la santé, la blouse blanche est portée par le médecin, qui est un homme. L'infirmière quant à elle est une Femme (et même au commencement, une Soeur). Est-ce cela l'explication que, quand je mets ma blouse blanche au dessus de mes habits, je me fais appeler Docteur ? [sauf en psychiatrie où le fait de ne porter que la blouse est une norme. Une réflexion déjà présente en ce temps, dans différentes situations, pour y avoir travaillé deux années. Infirmier dans la structure psychiatrique, je sors en blouse porter un bilan sanguin au laboratoire, je suis dévisagé : on pense que je suis un interne]. Dans ce contexte, pour le patient je suis Docteur : "Docteur, l'infirmière refuse de me donner un comprimé contre la douleur". Pour la famille je suis un Docteur : "J'aimerai vous parler de ma mère, je la sens faible depuis quelques temps, vous êtes bien le médecin?". Et même, oui même pour le personnel soignant, je suis médecin : "Bonjour Docteur", "Heu dis moi, c'est le médecin qui regarde les dossiers là ? il est jeune !" {demande une aide soignante à l'infirmière}, "Bonjour Monsieur." {me lance une infirmière sans trop me regarder que je connais bien, et qui ne me reconnaît pas au premier abord}. Que les représentations de cette Blouse (de Elle) renvoie au corps médical, pour le patient ou la famille, ne m'étonne guère ; par contre, se faire nommer Docteur par son collègue, cela oui m'interroge.
De par ce qu'il est et ce qu'il renvoie, le Docteur est doué d'un savoir, d'une expertise. Bien souvent, son diagnostic permet de sauver, de guérir. Il est le référent des soins puisque sa décision et par extension sa prescription, est la pierre angulaire de tout un système de santé. Il peut travailler en équipe, évoluer au sein d'un consortium, faire valoir sa parole au sein d'un tout, le médecin, dans la représentation collective, demeure le "capitaine du navire" : le décideur.
"Je ne suis pas docteur, je suis infirmier"
En intégrant l'institut de formation en soins infirmier, nous garçons sommes mis en garde : "vous allez vous faire appeler Docteur car vous êtes des hommes, ne rentrez pas dans le jeu au risque de vous faire charrier". Rappelons tout de même que dans la profession d'infirmière, les hommes ne représentent que 13% des 600.000 Infirmier(e)s Diplomé(e)s d'Etat. Ces représentations de la Blouse Blanche me rappellent une émission récente du 29 décembre 2016 de France Inter sur l'Elégance, et par définition sur ce que cela représente pour chacun. Depuis que je travaille en EHPAD, chaque jour j'ai droit à ce que l'on me nomme Docteur au moins une fois. Et à chaque fois, à chaque appellation je réctifie les propos de mon interlocuteur, car même si être médecin est une belle profession, je n'en suis pas un. Je suis infirmier, je l'ai choisi, et me suis battu pour le devenir. Je ne suis pas Docteur en médecine, et à ce jour je n'ai aucun doctorat. Un jour peut être ....
Quentin COLLIAU, Infirmier en soins généraux et spécialisés
Chargé du développement de l’emploi et de l'animation du territoire de Blois - référent départemental de l'apprentissage | Communicant au service des institutions publiques
7 ansbel article, très bien écrit !
Président chez CRSA
7 ansBravo Quentin Très belle analyse!