Wishful Brexiting - Ou la complexe traduction des vœux britanniques en réalités

Wishful Brexiting - Ou la complexe traduction des vœux britanniques en réalités

Theresa May a prononcé le 2 mars dernier un discours structurant à Mansion House, sur le futur partenariat entre le Royaume-Uni et l’Union européenne. Elle y présente sa vision des réalités difficiles (« hard facts ») du Brexit, ainsi que ses propositions pour les futures relations avec le continent. Cette prise de position s’ajoute aux douze priorités pour les négociations du Brexit, exposées le 17 janvier 2017 à Lancaster House, aux compromis du discours de Florence sur le retrait et la transition, le 22 septembre 2017, ainsi qu’à l’exposé des engagements britanniques pour la poursuite d’une politique commune sur la sécurité et la défense, à Munich le 17 février 2018.

Dans le même temps, l’Union européenne est à l’initiative en ce qui concerne l’accord de retrait : elle a publié le 28 février un projet d'accord, fondé sur l’accord politique conclu en décembre entre le Royaume-Uni et les 27 autres États membres. L’Union a également arrêté sa position sur les relations futures avec le Royaume-Uni : le Conseil, dans une configuration à 27, a décidé le 23 mars des orientations servant de mandat au négociateur européen pour entamer les discussions sur le cadre des relations futures, sur la base du projet d'orientations présenté par Donald Tusk le 7 mars 2018.

Le calendrier général des négociations n’accuse aucun retard dirimant. En ce qui concerne l’accord de retrait, la reconnaissance par le Conseil le 15 décembre 2017 des progrès suffisants et la rédaction d’une première version de texte final par la Commission représentent des avancées d’ampleur. La définition de la période de transition avant la fin du mois de mars 2018 répond à une exigence de Theresa May et aux demandes répétées d’entreprises présentes au Royaume-Uni qui indiquaient avoir besoin d’une année au minimum pour déplacer, si nécessaire, leurs activités.

Enfin, il reste un an – jusqu’au 29 mars 2019 – pour discuter le cadre général de la relation future entre l’Union européenne et le Royaume-Uni. Il n’est pas clair sur quoi va déboucher exactement cette négociation : un document qui prendrait la forme d’une déclaration politique qui ferait l’objet de discussions plus spécifiques et techniques pendant la période de transition (position européenne), ou un accord juridiquement contraignant qui contiendrait les principales dispositions et principes régissant les relations futures, quitte à négocier les questions techniques pendant la période de transition (position britannique).

En tout état de cause, cette partie des négociations va concentrer l’ensemble des enjeux de long terme relatifs au Brexit. Il apparaît pour l’instant que le cadre général des relations futures, tel que proposé par le Royaume-Uni, est en l’état soit inacceptable pour l’Union Européenne, soit sans contenu concret, se limitant à des déclarations d’intention. En suggérant un Brexit impossible, le Royaume-Uni fait peser la charge de sa définition concrète sur l’Union européenne, et perd par là même l’initiative.

1. Le processus de sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne entre dans une nouvelle phase, qui est la plus déterminante sur le long terme

1.1. Les termes de la séparation et de la transition font désormais l’objet d’un large accord de principe, permettant aux négociations de passer à l’étape suivante

Le 15 décembre 2017, le Conseil européen prenait acte des progrès « suffisants » réalisés dans le cadre de la première phase des négociations sur la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne. Cette phase initiale, consistant à négocier les conditions de la transformation du Royaume-Uni en État tiers, portait notamment sur la frontière entre l’Irlande et l’Irlande du Nord, sur le statut des ressortissants européens au Royaume-Uni et britanniques dans l’Union européenne, ainsi que sur le règlement financier associé à la sortie. Tout en invitant les négociateurs à « achever », « consolider » et « rédiger » les points de convergences trouvés sur la première phase, le Conseil européen a ouvert la deuxième étape des négociations sur le Brexit, qui concerne la transition et le cadre des relations futures.

Au cours du sommet européen des 22 et 23 mars derniers, le Conseil a appelé à renforcer les efforts sur certains sujets relatifs au retrait (Gibraltar en particulier) et a rappelé que les engagements précédemment pris devaient être respectés.

En ce qui concerne la période de transition, un accord sur les points clés a été annoncé le 19 mars dernier par David Davis, secrétaire d'État à la sortie de l'Union européenne, et Michel Barnier, chef négociateur de la Commission. Cet accord se caractérise par de nombreuses concessions du Royaume-Uni, dont les plus importantes sont :

  • la fin de la période de transition, fixée au 31 décembre 2020 : elle ne durera donc pas deux ans, comme l’avaient souhaité les négociateurs britanniques ;
  • les citoyens européens qui se seront installés au Royaume-Uni pendant la période de transition bénéficieront eux aussi du droit de séjour à la fin de cette période. Ce droit ne bénéficiera par conséquent pas seulement aux citoyens qui se sont établis au Royaume-Uni avant le début de la période de transition ;
  • le Royaume-Uni pourra continuer à accéder sans entraves au marché unique, mais devra contribuer au budget de l’Union et ne pourra pas participer à la prise de décision (pas de représentation au Parlement européen, pas de ministre invité aux réunions, pas de commissaire). Le Royaume-Uni a ainsi renoncé au droit de veto réclamé sur les lois que l’Union européenne adopterait durant cette période de transition.

À l’inverse, le Royaume-Uni bénéficiera du droit d’entrer en négociation avec des pays tiers, en vue de conclure des accords commerciaux, durant la période de transition (ces derniers ne pouvant toutefois entrer en vigueur qu’après la fin de ladite période). En outre, aucune « clause guillotine » n’est prévue à ce stade ; celle-ci permettrait de priver le Royaume-Uni de ses droits d’accès au marché unique durant la période de transition s’il ne respectait pas la règlementation de l’Union ou les décisions de la Cour de justice.

En tout état de cause, cet accord sur la transition ne fera l’objet d’une signature définitive qu’en mars 2019 avec l’accord de retrait.

1.2. Les hard facts de Theresa May annoncent des négociations difficiles

Dans son discours du 2 mars 2018 de Mansion House, Theresa May a exprimé sa position sur le futur partenariat entre le Royaume-Uni et l’Union européenne. Elle y a notamment présenté de façon explicite les réalités difficiles (« hard facts ») du Brexit, comme des avertissements adressés aux citoyens britanniques. Sur deux points, qui étaient au cœur du vote britannique lors du référendum du 23 juin 2016, Theresa May semble préparer le terrain pour des déceptions à venir :

  • Theresa May, qui a interprété le référendum comme un vote contre l’une des quatre libertés du marché unique européen (la libre circulation des personnes), affirme clairement que le Royaume-Uni se privera du marché unique, et donc de son niveau actuel d’accès au marché européen en ce qui concerne les biens, les services et les capitaux. Elle reprend d’ailleurs une dialectique jusque-là européenne, en indiquant que le marché unique venait avec des avantages, mais aussi des obligations ;
  • Theresa May expose sa vision de l’indépendance juridique du Royaume-Uni après la sortie de l’Union européenne. Elle présente le seul équilibre capable de garantir la sécurité juridique : une application prolongée des décisions de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) dans des cas où un tribunal britannique devrait s’y référer au même titre qu’à un autre tribunal étranger, pour les lois votées par le Parlement britanniques en des termes identiques aux normes européennes, ainsi que pour ce qui concerne les agences européennes qui continueraient à agir au Royaume-Uni. La volonté que la CJUE (ni, d’ailleurs, un tribunal britannique) ne soit juge des contentieux issus de l’accord régissant la relation entre l’Union et le Royaume-Uni est ici rappelé.

Ces deux points soulignent que l’application du mandat de Theresa May – interprété à partir du référendum du 23 juin 2016 – dépend des négociations de l’accord sur la relation future entre le Royaume-Uni et l’Union européenne, et non des conditions du retrait ou de la transition, qui ne traduisent pas la volonté d’indépendance de long terme recherchée par les citoyens britanniques. 

À ces deux réalités difficiles présentées aux citoyens britanniques, Theresa May a ajouté deux hard facts supplémentaires, à l’adresse des négociateurs européens. Theresa May rappelle que l’accord final ne peut pas être « sur étagère », en refusant à nouveau de pousser les négociations dans le sens d’un modèle existant (canadien, norvégien ou turc par exemple). De même, elle précise que l’accord final, en ce qui concerne l’ouverture des marchés britanniques et européens, devra être juste et prévoir des garanties contraignantes, par exemple sur la concurrence, la protection des consommateurs et les aides d’État. En tant qu’État membre, le Royaume-Uni encourageait la mise en œuvre d’une politique européenne de la concurrence efficace. Bientôt État tiers, le Royaume-Uni s’inquiète de l’évolution du marché européen en la matière. Même en demandant des engagements dans l’accord régissant ses relations futures avec l’Union, il ne retrouvera pas le même niveau d’influence sur cette politique européenne.

Malgré cette apparente reconnaissance des difficultés à venir et de l’ampleur des enjeux liés au Brexit, la position britannique demeure toujours floue en ce qui concerne les relations futures.

2. Le Royaume-Uni est toujours à la recherche d’un Brexit impossible

2.1. Le manque d’initiative britannique sur la frontière irlandaise condamnerait le Royaume-Uni à accepter l’option envisagée par les négociateurs européens

Le Royaume-Uni et les 27 autres États membres se sont mis d’accord sur trois possibilités dans l’accord politique conclu en décembre dernier, en ce qui concerne la frontière entre les deux Irlande :

  • la signature d’un vaste accord de libre-échange entre l’Union et le Royaume-Uni, gommant toute frontière douanière ;
  • l’application de solutions nouvelles pour les contrôles douaniers ;
  • l’absence d’accord et l’application à l’Irlande du Nord des règles du marché unique et de l’union douanière.

Dans le projet de traité présenté le 28 février dernier 2018, l’Union européenne ne détaille que cette dernière option, en l’absence de propositions concrètes du Royaume-Uni sur les deux premières selon Michel Barnier. Ainsi, le contrôle des marchandises, devenu nécessaire du fait du Brexit, ne s’effectuerait pas à la frontière entre l’Irlande du Nord et la République d’Irlande, qui doit rester virtuelle afin de préserver les accords de paix de 1998. Ce contrôle aurait lieu dans les ports britanniques et aurait en quelque sorte pour conséquence de créer une frontière à l’intérieur du Royaume-Uni, entre la Grande-Bretagne et l’île d’Irlande.

Theresa May a refusé cette option qui, selon elle, menacerait « l’intégrité constitutionnelle du Royaume-Uni ». Dans le même temps, elle a confirmé une nouvelle fois que son interprétation du Brexit impliquait une sortie du Royaume-Uni du marché unique et de l’union douanière, le référendum devant aboutir à redonner au niveau national la compétence en matière de commerce international et de négociation des traités de libre-échange, chose qui lui serait impossible à l’intérieur du marché unique ou de l’union douanière.

Afin d’éviter qu’une frontière matérielle ne soit installée entre le nord et le sud de l’île d’Irlande, le Royaume-Uni fait deux propositions :

  • la première consisterait à mettre en place une coopération douanière qui suppose que le Royaume-Uni applique à sa frontière les exigences de l’Union européenne pour les importations du reste du monde destinées à l’UE. Le Royaume-Uni appliquerait les mêmes tarifs et les mêmes règles que l’UE pour ces biens. Ce faisant, l’UE n’aurait pas besoin de procéder à un nouveau contrôle à sa frontière avec le Royaume-Uni. Le Royaume-Uni compléterait ce mécanisme pour appliquer ses propres tarifs et règles pour les biens qui sont destinés à son marché ;
  • la deuxième consisterait à mettre en place un « un régime douanier très rationalisé, dans le cadre duquel le Royaume-Uni et l’Union européenne accepteraient conjointement de mettre en œuvre une série de mesures visant à minimiser les tensions commerciales, ainsi que des dispositions spécifiques pour l'Irlande du Nord ». Au titre de ces mesures, le Royaume-Uni propose la mise en place de procédures de contrôle les moins contraignantes possible (contrôle administratifs facilités par l’automatisation, reconnaissance des « trusted traders » avec l’application des meilleurs solutions informatiques pour ne pas obliger les véhicules à s’arrêter à la frontière).

Ces deux solutions proposées par les britanniques se heurtent à des difficultés très importantes, tant pratiques que conceptuelles. La première implique de garantir des mécanismes efficaces de suivi de la destination des biens et de maintenir un niveau de confiance élevé[1]. La deuxième revient à mettre en place des facilités déjà existantes ou des technologies restant à inventer. Par ailleurs, la réussite de chacune de ces propositions reposerait sur une confiance importante entre les acteurs engagés et sur des procédures robustes. L’Union européenne prendrait ainsi le risque de tenter une expérience dont le succès très incertain ne lui conférerait par ailleurs que peu de bénéfices.

Ces difficultés deviennent encore plus évidentes lorsqu’il s’agit des propositions spécifiques à l’Irlande du Nord, évoquées par Theresa May dans le cadre de sa seconde suggestion. Autoriser les petites et moyennes entreprises du nord et du sud de l’île d’Irlande (les échanges entre elles représenteraient 80 % des échanges nord/sud selon les britanniques) à continuer à opérer comme elles le font actuellement, sans restriction, aboutirait à distordre la concurrence, figer pour l’avenir une situation économique et commerciale qui ne manquera pas d’évoluer et retirer tout moyen de contrôle à l’Union sur les biens qui entreraient dans l’Union par l’Irlande du Nord.

Le Royaume-Uni ne précise en outre pas si la compétence de la CJUE ou les évolutions futures de la règlementation européennes s’appliqueront, alors que ces éléments sont les pendants inévitables du marché unique.

2.2. Oscillant entre alignement et divergence avec l’Union européenne, Theresa May cherche avant tout à présenter un Brexit acceptable pour les Britanniques

Un des éléments qui revient le plus souvent dans le discours du 2 mars 2018 de Theresa May est l’alignement actuel entre les normes européennes et britanniques. Cet alignement devrait tout à la fois justifier et permettre une relation commerciale future avec le moins de frictions possible entre le Royaume-Uni et l’Union européenne, afin de favoriser des échanges dynamiques et bénéfiques pour les deux ensembles. Cet alignement perdurerait juste après le Brexit, du fait de la transposition en droit interne de la majorité du corpus juridique de l’Union européenne par le Royaume-Uni afin d’assurer une continué juridique essentielle. Selon Theresa May, cet alignement rendrait possible l’absence de barrières spécifiques pour les services (par exemple financiers), l’application de standards communs pour les biens ou encore la participation du Royaume-Uni comme « associated country » à certaines agences européennes.

Toutefois, tout en affirmant ces principes, Theresa May mentionne à plusieurs reprises la possibilité qu’aura le Parlement britannique de « diverger » à l’avenir, et ainsi d’éloigner le corpus normatif britannique du droit européen.

Telle que présentée par Theresa May, l’option de divergence ressemble à une option unilatérale de retrait ; elle ne peut être acceptée par les Européens. Elle permettrait au Royaume-Uni non seulement de bénéficier de droits importants sans être membre de l’Union, mais elle lui permettrait aussi de faire évoluer sa législation différemment lorsqu’elle le considérerait opportun, sans que l’Union ne puisse exercer un contrôle quelconque, autre que des pressions politiques.

L’option de divergence, comme d’autres propositions britanniques, mêle une proposition de négociation (se fonder sur l’alignement normatif entre les deux ensembles pour en rapprocher les économies) et un argument de politique intérieure (affirmer clairement l’indépendance britannique). Entre un Brexit purement symbolique et un Brexit rationnel économiquement, un entre-deux acceptable pour les Britanniques est recherché par Theresa May.

Ainsi l’option de divergence, tout en étant fortement critiquable et critiquée par les Européens, fait l’unanimité au sein de la classe politique britannique, tant chez les tenants d’un Brexit « dur » comme Jacob Rees-Mogg (qui a qualifié la mesure de « sensible, pragmatique et généreuse ») que ceux qui veulent garder des liens forts avec l’Union, comme Sarah Wollaston.

Il en va de même sur de nombreux sujets – et hors-sujets – abordés par Theresa May depuis son premier grand discours sur le Brexit (de Lancaster House), au cours duquel elle avait affirmé que le Royaume-Uni profiterait du Brexit pour renforcer les droits des travailleurs, s’engager plus dans la recherche et l’innovation ainsi que pour l’environnement. Ces sujets ne sont pourtant pas l’objet du Brexit. Le 2 mars dernier, elle a dans le même esprit consacré son introduction, sa conclusion ainsi que plusieurs parts de sa prise de parole a des déclarations très générales de politique intérieure. Notamment, elle souhaite faire du Royaume-Uni sorti de l’Union européenne « un pays qui ne travaille pas pour un petit nombre de privilégiés, mais pour chacun d'entre nous ». Elle présente le vote en faveur du Brexit comme un « vote pour un changement plus large, afin qu'aucune communauté en Grande-Bretagne ne soit jamais laissée de côté ».

Theresa May tente de démontrer par tous les moyens que le Brexit peut être bénéfique et qu’elle fait tout pour qu’il soit un succès. En cela, son Brexit est impossible, car il crée une distorsion entre l’acceptabilité et la réalité du Brexit.

3. La définition de la relation future avec le Royaume-Uni pèse sur l’Union européenne, qui n’est pourtant pas à l’origine du Brexit

L’Union a arrêté ses positions de principe sur les relations futures avec le Royaume-Uni : le Conseil a décidé le 23 mars des orientations servant de mandat au négociateur européen pour entamer les discussions sur le cadre des relations futures, sur la base du projet d'orientations présenté par Donald Tusk le 7 mars 2018. Ces positions reprennent – en les complétant – les orientations du Conseil européen des 29 mars 2017 et 15 décembre 2017.

3.1. Le mandat de négociation européen intègre les lignes rouges britanniques et les traduit en une position juridiquement acceptable

Tout en ne présentant ni une vision claire du Brexit ni des solutions concrètes pour envisager de façon globale et cohérente les relations futures, le Royaume-Uni réaffirme régulièrement ses lignes rouges.

L’Union européenne répond à ces lignes rouges avec bien souvent une approche juridique. En effet, quand le Royaume-Uni affirmait dans la première phase des négociations qu’il ne paierait pas dans le cadre du règlement financier sur le retrait, ses obligations juridiques lui ont été rappelées. Quand certains ministres affirmaient fortement qu’il n’y aurait pas d’accord de transition, c’est la sécurité juridique et la continuité de l’application des normes qui leur étaient rappelées. Lorsque le Royaume-Uni évoque une possible participation à certains aspects du marché unique, les négociateurs européens rappellent que celui-ci est indivisible et qu’il s’accompagne de la compétence de la CJUE.

Depuis le 15 décembre 2017, le postulat de départ de la position européenne est une ligne rouge britannique : « l'Union prend acte de ce que le Royaume-Uni a fait part de son intention de ne plus participer à l'union douanière ni au marché unique à l'issue de la période de transition ». Le mandat de négociation confié à la Commission européenne prévoit en ce sens d’aboutir à un accord de libre-échange « équilibré, ambitieux et de portée large » qui n’équivaut pas à une participation « à tout ou partie » du marché unique. Pour assurer des relations économiques équitables, l’accord devra inclure des « garanties contre des avantages compétitifs indus ». Ce point constitue une inquiétude exprimée à la fois par Theresa May (en matière de concurrence et d’aides d'État) et par les Européens (sur les pratiques fiscales, sociales, environnementales et touchant à la réglementation). En ce qui concerne les services financiers, les orientations de mars 2017 prévoyaient déjà un accord garantissant la stabilité financière du continent et respectant « son régime et ses normes de réglementation et de surveillance, ainsi que leur application ». En dehors des domaines liés aux échanges commerciaux, la position européenne est ouverte à l’établissement de partenariats.

Les orientations du Conseil du 23 mars 2018 présentent une approche européenne pragmatique vis-à-vis des lignes rouges britanniques : si ces dernières évoluent, les propositions européennes pourront être adaptées en conséquence. Le Royaume-Uni reste ainsi libre de modifier sa vision du Brexit ; l’Union y répondra dans le cadre de ce que permettent les traités.

Les demandes du Royaume-Uni sont acceptées par les Européens lorsqu’elles sont acceptables juridiquement. Les orientations sur le cadre des relations futures avec le Royaume-Uni le démontrent en ce qui concerne la nécessité de poursuivre la lutte contre le terrorisme et la criminalité internationale, ainsi que de ne pas interrompre la coopération dans le domaine de la défense, de la politique étrangère, de la justice et de la lutte contre le changement climatique. Il en va de même pour la participation aux programmes européens dans les domaines de la recherche et de l’innovation, ainsi que dans ceux de l’éducation et la culture. En ce qui concerne l’aviation, les orientations du Conseil du 23 mars prévoient la possibilité d’un accord sur le transport aérien et des accords de sûreté et de sécurité aérienne.

La tentative de traduction des lignes rouges britanniques existe également au Parlement européen. Guy Verhofstadt, chef du groupe des libéraux de l'Alliance des démocrates et libéraux pour l'Europe, a présenté le 7 mars dernier une résolution adoptée par le Parlement européen le 14 mars, dans le sens d’un accord d’association entre le Royaume-Uni et l’Union européenne. Dans ce cadre, la future relation pourrait se fonder sur quatre piliers : les relations commerciales et économiques, la politique étrangère et de sécurité, la sécurité intérieure et la coopération thématique. En présentant cette proposition, Guy Verhofstadt a indiqué « [avoir] essayé de faire le lien entre les lignes rouges du gouvernement britannique et les principes régissant le fonctionnement de l’Union européenne ».

3.2. Aux cinq « tests » politiques britanniques répondront deux « critères » juridiques européens

Theresa May a annoncé le 2 mars 2018 qu’elle jaugerait l’accord sur la future relation entre son pays et l’Union européenne en utilisant cinq tests, qui apparaissent très politiques et peu opérationnels :

  • tout accord devra respecter le résultat du référendum du 23 juin 2016 ;
  • cet accord devra créer de la stabilité[2] ;
  • il devra protéger les emplois et la sécurité ;
  • il devra être « cohérent avec le genre de pays que nous souhaitons être – moderne, ouvert vers l’extérieur et tolérant » ;
  • enfin, tout accord devra rassembler le Royaume-Uni.

De son côté, Donald Tusk a présenté le 7 mars 2018 deux critères que le résultat des négociations devra selon lui satisfaire :

  • un critère d’équilibre entre les droits et les obligations de chacun, prenant le contre-exemple d’un accord qui octroierait au Royaume-Uni les droits de la Norvège avec les obligations du Canada ;
  • un critère d'intégrité du marché unique. Ce critère se décompose en deux partie : l’impossibilité d’accepter qu’un État choisisse – librement et en fonction de ses intérêts – de se soumettre ou non à la juridiction de la Cour de justice de l’Union européenne ; l’impossibilité d’accepter un « choix à la carte » des secteurs du marché unique auxquels cet État souhaiterait prendre part.

Theresa May répond ainsi à des contraintes essentiellement politiques. La position de Donald Tusk est plus juridique. Il défend l’application des traités et les acquis de l’Union européenne en ce qui concerne notamment le marché unique. Cette position européenne est puissante, mais efficace seulement parce que les opinions publiques européennes se désintéressent globalement de la tenue des négociations sur le Brexit : il n’y a pas de réel débat sur le plan politique parmi les 27. De ce fait, les négociateurs européens peuvent s’appuyer pleinement sur des normes et des institutions stables. Il s’agit pour eux d’appliquer l'article 50 du traité sur l'Union européenne pour ce qui concerne l’accord de retrait, puis les dispositions existantes sur les accords commerciaux ou d’association pour définir la relation future.

On ne peut attendre plus des négociateurs européens qu’une traduction des lignes rouges du Royaume-Uni en des positions juridiquement acceptables au regard des traités. L’imagination sera britannique ou ne sera pas.


[1] Le 8 mars 2018, une procédure d'infraction a été engagée par la Commission européenne à l'encontre du Royaume-Uni au sujet de droits de douanes non perçus pour le budget européen, pour un montant de 2,7 Md€.

[2] « The new agreement we reach with the EU must endure. After Brexit both the UK and the EU want to forge ahead with building a better future for our people, not find ourselves back at the negotiating table because things have broken down. »



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