Le Brexit, quelles implications juridiques ?
(Synthèse des développements et exemples du rapport du HCJP)

Le Brexit, quelles implications juridiques ? (Synthèse des développements et exemples du rapport du HCJP)

Il n’est plus à prouver que Londres est incontestablement l’une, pour ne pas dire la place économique, financière et juridique de l’Union Européenne (UE). En effet l’essentiel des affaires conclues à l’échelle internationale, transitent par Londres et les contrats encadrant les opérations financières et commerciales sont le plus souvent soumis au droit britannique et la compétence des juridictions britanniques est largement admise en cas de litige potentiel.

Depuis le référendum du 23 juin 2016 ayant scellé de manière définitive la volonté du peuple britannique de recouvrer son indépendance en sortant de l’UE, les incertitudes sont nombreuses et si jusqu’à lors beaucoup d’experts se sont prononcer sur les points économiques et financiers, peu ont abordé la question juridique et notamment les conséquences du Brexit face à l’espace européen de coopération judiciaire.

Ainsi, l’espace judiciaire commun mis en place par l’UE clarifiant les règles de compétence judiciaire, les règles et juridictions applicables et simplifiant la circulation des jugements entre les différents Etats membres (EM) saura-t-il résister aux impacts encore incertains du Brexit ? Un nouveau régime coopératif va-t-il être pensé ? Les conséquences sont-elles prévisibles de manière exhaustive et notamment au regard des clauses contractuelles de choix du juge ou du droit applicable dans les contrats commerciaux ?

Des questions dont les réponses doivent certes être envisagées du point de vue européen mais aussi en fonction des impacts que cela serait susceptible de générer au sein même du Royaume Uni.

C’est en ce sens que le Haut Comité Juridique de la Place financière de Paris à livrer son rapport le 30 janvier 2017, dont il est ici proposé une synthèse.

 

  1. Le fonctionnement actuel

Les institutions européennes dans un premier temps, puis la montée en puissance de l’espace économique européen ont permis d’ériger des principes sur lesquels les agents économiques peuvent s’appuyer avec simplicité afin d’encadrer juridiquement et en toute sécurité leurs transactions transnationales.

Dès lors, le système de compétence en cas de litige est précis, et tant sur le territoire britannique que sur le territoire de l’un des autres Etats membres, les décisions de justice prononcées sont applicables de la même manière, peu importe le territoire européen à l’origine de la décision. La reconnaissance mutuelle de la validité de décisions de justice est un des principes fondateurs en matière de contentieux commercial au sein de l’UE, tout comme la protection des droits et des intérêts des agents économiques devant l’ensemble des juridictions des Etats de l’UE.

Le système qui a fait ses preuves repose essentiellement sur deux piliers dont le Règlement UE n° 1215/2012 autrement appelé « Bruxelles I bis » auquel se rattache de nombreux textes précisant des règles précises dans des domaines très circoncis de litiges mineures ou de règles de procédure[i] fonde le premier pilier.

Le deuxième pilier étant constitué par deux autres Règlements fondateurs qui régissent le domaine de la détermination de la loi applicable en matière contractuelle ou extracontractuelle et le domaine de la loi applicable aux obligations contractuelles (Règlement Rome I n° 593/2008) et la loi applicable aux obligations non contractuelles (Règlement Rome II n° 864/2007).

Si nous effectuons un focus sur le « deuxième pilier », il ressort clairement des Règlements Rome I et II que si chacun des juges des EM sont liés à ceux-ci en raison de leur applicabilité universelle, ils ne prévoient aucune réciprocité, ce qui de fait suppose que le Brexit n’aura aucun effet sur les cas d’application du droit britannique par les juridictions des autres EM.

Le « premier pilier » quand à lui s’applique aux rapports entre EM mais n’exclut pas pour autant le fait de tenir compte des procédures et/ou jugements pouvant émaner d’Etats tiers.

Néanmoins cette analyse doit nécessairement s’inscrire dans le cadre du principe de confiance mutuelle entre les EM, ce qui impose entre autre le respect par chaque EM du droit de l’Union (c’est-à-dire préserver l’efficacité du droit de l’UE dans chaque ordre juridique interne et reconnaître la compétence interprétative de la CJUE et l’autorité de ses décisions[ii]).

Donc l’engagement pris par le gouvernement britannique de sortir de l’UE sous-entend que le Royaume Uni sera à nouveau seul maître à bord vis-à-vis de son droit et mettra fin à la compétence et à l’autorité de la CJUE. Ceci va engendrer la fin du système de coopération judiciaire entre les EM qui devront considérer, comme chaque opérateur économique, le Royaume Uni comme un Etat tiers.

Des conséquences sont indiscutablement à prévoir et à anticiper afin d’éviter l’apparition d’un « no man’s land » juridique.

2. Les conséquences liées à la fin du fonctionnement actuel

  Le Royaume Uni va réintégrer dans son organisation interne les règles du droit international privé commun.

D’un point de vue européen et français, cela va s’avérer un peu plus complexe dès lors que le Royaume Uni sera comme nous l’avons vu supra, un état tiers et que les deux piliers formant le socle de la coopération judiciaire à l’échelle européenne ne traitent pas des mêmes sujets. L’un ne trouvera plus à s’appliquer après la sortie officielle de du Royaume Uni de l’UE, mettant fin à l’application automatique des jugements britanniques en France, alors que l’autre verra ses effets perdurer notamment au regard du choix de la loi applicable dans les contrats par exemple.

Dans le premier cas, et en attendant la mise en place potentielle de convention bilatérales ou multilatérales, et de manière générale pour tout contentieux né avant l’extinction des effets des traités à l’égard du Royaume Uni, des règles transitoires devront être mises en place.

Dès lors, il est possible de mettre en exergue trois conséquences patentes risquant de donner lieu à des imbroglios d’interprétation et de compréhension des règles applicables.

  • Première conséquence : le choix de la loi applicable

Cette première conséquence doit s’analyser d’un point de vue français d’une part mais aussi du point de vue britannique, quel que soit le domaine, c’est-à-dire contractuel ou extracontractuel.

Du point de vue français, en matière contractuelle, les conséquences seront relativement limitées dans la mesure où le Règlement Rome I est d’application universel. La liberté contractuelle prédomine donc également dans le choix de la loi applicable. Ainsi les tribunaux français feront application du droit anglais si la clause de choix le désigne comme droit compétent. Néanmoins il semble difficile de concevoir qu’une partie fasse le choix d’appliquer le droit anglais sans avoir désigner les juridictions anglaises comme seules compétentes.

Si le contrat est muet sur le sujet, alors en raison des critères spécifiques de désignation de la loi applicable (critères se rattachant aux caractéristiques du contrat lui-même) prévu par le même Règlement, alors il sera possible d’appliquer la loi anglaise si la juridiction française saisie du dossier estime que ce choix relève d’une bonne administration de la justice.

En matière extracontractuelle, il faut se référer aux dispositions du Règlement Rome II. Ainsi la loi anglaise pourra trouver à s’appliquer puisque selon le Règlement, la loi applicable est la loi du lieu où le dommage a lieu.

Du point de vue britannique, la situation n’est pas si simple. En effet le Règlement Rome I pour la matière contractuelle, cessera d’être appliqué, laissant une très large place à la liberté contractuelle et à la bienveillance de chacune des parties l’une envers l’autre.

Le Financial Markets Law Comitee (FLMC)[iii] semble plus inquiet notamment au regard des contrats commerciaux et a fait de nombreuses recommandations dont par exemple celle de maintenir malgré la sortie de l’UE, les dispositions découlant du Règlement Rome I. En effet, il serait selon lui trop dangereux que le droit anglais se purge de manière pure et simple de toutes les dispositions qui étaient applicables en vertu du Règlement. Son avis se veut sensiblement similaire quant aux dispositions du Règlement Rome II en matière extracontractuelle.

Au regard de ces recommandations mais aussi de l’inquiétude grandissante au sein de la City, le gouvernement a pris l’engagement que les dispositions provenant de l’UE et intégrées dans le droit anglais perdureront, ce qui devrait notamment éviter le risque de rupture de contrats d’affaires pour imprévision par exemple.

Dès lors, à la suite du Brexit et de la sortie officielle du Royaume Uni de l’Union européenne, les britanniques ne seront plus liés aux évolutions du droit européen, ce qui d’une part annonce un challenge important notamment pour la négociation des contrats avec les pays européens ou tiers, contrats pour lesquels l’application de la loi anglaise était quasi automatique (notamment en matière de contrats de produits dérivés) et pour que la City londonienne ne devienne pas un fantôme de ce qu’elle était dans le domaine des affaires, si notamment les opérateurs en choisissant de se détourner du droit anglais, se détournaient en même temps de la place financière.

D’autre part, des questions restent en suspens, par exemple au regard des procédures d’insolvabilité des établissements de crédits puisque l’article 25 de la Directive 2001/24/CE modifiée prévoit que la loi du contrat prime sur la loi de la procédure d’insolvabilité.

  • Deuxième conséquence : la compétence juridictionnelle

Le Brexit va entrainer la fin de l’application du Règlement Bruxelles I bis entre le Royaume Uni et les Etats membres.

Ainsi d’un point de vue français, cela va engendrer différents cas de figure selon les cas.

En effet, par exemple en cas de litige, si le défendeur est domicilié dans un Etat membre, la logique veut que par application du Règlement précédemment cité les juridictions du lieu où le défendeur est domicilié ont compétence.

Toutefois, quid si le défendeur invoque une clause de choix de juridictions compétentes faisant des juridictions anglaises, les juridictions compétentes ? A ce jour le point de savoir si une clause de choix de juridictions compétentes peut prévaloir sur les dispositions du Règlement n’a pas été tranché. Toutefois la CJUE avait en 2005 refusé de faire prévaloir une telle clause.

L’exemple inverse consiste à envisager le cas d’un litige ou le défendeur est domicilié au Royaume Uni. Le droit international privé va de nouveau se voir appliquer dans la mesure où le Royaume Uni deviendra à terme un Etat tiers. Mais des règles spécifiques oubliées pourraient réapparaitre comme la situation du défendeur ayant la nationalité française (articles 14 et 15 du Code civil) afin de déterminer les juridictions françaises comme étant compétentes.

D’un point de vue britannique, la résurgence du droit international privé s’annonce plus complexe, car si dans le cas d’un défendeur domicilié au Royaume Uni, les juridictions britanniques auront compétences pour connaitre du litige ; le schéma n’est pas si simple si le défendeur est domicilié dans un Etat membre puisque dans ce cas c’est la Haute Cour qui doit octroyer compétence à la juridiction britannique en raison de critères précis comme par exemple les chances de succès du litige.

Enfin le retour à l’application stricte du droit anglais rendrait à nouveau possible le fait pour les juridictions de se déclarer incompétentes à la demande du défendeur et si elles estiment sa demande fondée ou encore le fait de demander la cessation d’une procédure commencée devant une juridiction de l’un des Etats membres afin de la rapatrier au Royaume Uni. Mais rien ne garantit que le droit international privé le permette facilement en fonction de chacun des Etats membres et cela quand bien même les juridictions britanniques se trouveraient plus à même de connaitre du litige.

  • Troisième conséquences : reconnaissance et exécution des jugements   

Le Règlement Bruxelles I bis encadre la circulation des jugements au sein de l’Union. Au moment où le Règlement cessera d’être appliqué au sein du Royaume Uni, les jugements qui sont de fait revêtus de l’autorité de chose jugée par application du Règlement, devront ils nécessité une demande d’exequatur ? Ou bien, seront-ils dotés de manière automatique de la force exécutoire dès lors que le litige est né avant que le Règlement ne cesse d’être appliqué ?

D’un point de vue français, l’exequatur sera réintroduite concernant les jugements émanent de pays tiers. Cette procédure relevant de la compétence du Tribunal de Grande Instance n’a subi que peu de bouleversement et devrait être simple à remettre en place à condition bien entendu que le jugement britannique soit conforme sur le fond et la forme à l’ordre public français.

D’un point de vue anglais, comme il est évoqué supra, cela sera plus complexe car il va falloir composé avec les différents régimes de reconnaissance et d’exécution des jugements des Etats membres dont certains ne font pas preuve d’une souplesse aussi large que le dispositif français en matière de circulation des jugements.

Dès lors des procédures contentieuses risquent d’être nécessaires dans bon nombre de cas afin de faire reconnaitre l’exécution d’un jugement britannique dans un Etat membre.  

Le Brexit va engendrer des conséquences juridiques importantes et la majorité d’entre elles ne trouvent pas aujourd’hui de solutions. Il est fort probable que de nombreux problèmes non envisagés en amont viendront s’ajouter en pratique. Ainsi faut-il envisager la mise en place d’un nouvel accord coopératif qui viendrait palier les différents Règlements européens ? Les Etats membres le souhaitent-ils ? Si oui comment seront gérés les situations d’affaires et/ou litigieuses pendant la période de transition ? Il faut s’attendre à un bouleversement des règles qui ne seront pas immédiates mais qui arriveront assez rapidement pour que le Gouvernement britannique envisage dès à présent l’ensemble des chantiers à mettre en place.

 

[i] Règlement n° 861/2007 et Règlement n°1896/2006

[ii] CJUE, 18 décembre 2014 et CJCE, 7 février 2006

[iii] The application of english law, the Jurisdiction of english courts and the enforcement of english judgements, décembre 2016



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