La joie est un choix quotidien.

Carnets, Marseille - Septembre 2019.

La joie se choisit tous les jours.Hier, alors que je discutais avec un jeune que nous accueillons dans notre association de Campagne Lévêque, j’ai de nouveau goûté à cette réflexion qui m’agite ces derniers temps quant à cette joie qu’il faudrait choisir au quotidien et incessamment renouveler. Il m’expliquait, ce R., que sa maman lui avait volé une part de l’argent qu’il avait économisé en vue de s’offrir un vélo. Puis, il me raconta comment il lui avait fait payer son méfait en la volant en retour. Quelques minutes avant notre discussion et alors qu’il se préparait à venir me rencontrer, elle lui avait retiré les lacets de ses chaussures pour le punir du temps, trop long selon elle, qu’il prenait pour se préparer. La sanction peut prêter à sourire. Seulement, dans le contexte d’une cité où les jeunes accordent une importance démesurée à leur apparence, elle en dit long quant à la volonté de cette mère d’humilier son fils. Ce R., au sourire pétillant malgré tout, me bouleversa quand il conclut ses malheurs par cette phrase répétée deux fois exactement avec l’œil grave et sage d’un adulte, doublée de l’intonation et de l’erreur de conjugaison de l’enfant de dix ans qu’il restait : “Dommage qu’elle est comme ça ma mère. Dommage qu’elle est comme ça”. Dur de choisir la joie en pareil contexte, alors comment faire ?

Grandir, tous les jours.

Quand je suis arrivé au Rocher en janvier, ce jeune R. savait à peine lire une phrase, à peine un mot. Il y a de quoi être malheureux de ne pas savoir lire à son âge et d’avoir plusieurs trains de retard par rapport à ses camarades de classe : on vit décalé, donc exclu et triste. L’adjointe de notre association l’a en conséquence fortement encouragé à venir au Rocher, en travaillant de concert avec ses parents. Au cours des huit derniers mois, nous avons ainsi vu ce petit gars venir au Rocher plusieurs fois par semaine, nous l’avons entendu s’agacer d’avoir oublié la prononciation de telle ou telle autre suite de lettres, nous l’avons vu se frotter les yeux, épuisé par les deux heures de lecture dont il sortait, puis arpenter la salle d’études du Rocher où il se mettait systématiquement à danser avec un sourire fier et espiègle. Énervé par la lenteur de sa progression, je l’ai même vu une fois se frapper la tête avec le livre pour enfant que nous déchiffrions ensemble et me dire “Tu sais, j’ai l’habitude de prendre des coups”. Bon.

En juillet, R. est parti une semaine en Ardèche où nous emmenions en camp le groupe d’élèves du primaire que nous accueillons tous les mercredis matin dans notre local pour de l’aide aux devoirs et des ateliers créatifs. Nous avions décidé de ficeler notre camp avec l’histoire du roi Arthur en fil conducteur. Lors d’une veillée, nous avons proposé aux jeunes, répartis en équipe, de jouer au “Time’s up”. Vous savez, ce jeu où l’on doit tirer dans un chapeau des noms écrits sur des papiers et les faire deviner à son équipe par la parole, puis par le mime. Quand vint le tour de son équipe de chevaliers, R. s’est levé d’un bon, sans même un brin d’hésitation, et a brillamment joué parce qu’il pouvait lire les bouts de papier qu’il tirait dans le chapeau. Et il était si heureux !

Être intégré au groupe, en connaître les mécanismes sociaux et les règles… La joie a ses outils. Ici, c’est la persévérance dans l’apprentissage de la lecture qui en a été la clé. Or, la persévérance est, par définition, un choix à renouveler au quotidien. Et il en va de même pour tout ce qui nous permet de choisir la joie : la santé d’un corps dont on prend soin chaque jour, l’intelligence qu’on nourrit un peu chaque soir d’une bonne lecture... Bref, merci le Rocher : c’est peut-être trivial pour beaucoup, ça ne l’était pas pour moi.