Tony Blair: Leçons de Leadership et d'Influence

Tony Blair: Leçons de Leadership et d'Influence

Dans son livre récemment publié, "On Leadership: Lessons for the 21st Century" (Crown/Penguin Random House, September 2024), Tony Blair, ancien Premier ministre du Royaume-Uni, partage non seulement son expérience en tant que leader politique, mais aussi des conseils précieux pour quiconque envisage de se lancer dans l’arène politique. Il décrit ainsi son livre comme le manuel qu’il aurait aimé pouvoir lire lorsqu’il a accédé au pouvoir. Cependant, les leçons qu’il propose ne se limitent pas au monde politique : elles s’étendent au leadership en général, à l’influence et même à la négociation.



En effet, qu’est-ce que le leadership sans influence ? En lisant entre les lignes, on découvre des enseignements subtils mais puissants sur l’art de négocier et d’exercer une influence durable. Quelles que soient nos convictions politiques, on ne peut ignorer l’impact déterminant de celui qui fut un artisan clé du processus de paix en Irlande du Nord. Dans une récente interview pour McKinsey & Company réalisée par Raju Narisetti (lien en commentaire), Tony Blair aborde indirectement les notions d’influence et, sans les nommer, de négociation à travers le prisme du leadership et de la gouvernance. Voici les principaux enseignements que l’on peut en tirer.

 

1. Influence et persuasion : de l’accession au pouvoir à son exercice

Tony Blair explique que pour accéder au pouvoir, il faut être un "Great Persuader". Cela implique bien plus que de convaincre le grand public : il faut aussi rallier ses pairs politiques et autres parties prenantes. Cette capacité à persuader constitue le socle même du leadership.

Blair met en avant la nécessité de mobiliser et d’engager ses soutiens, une compétence également cruciale dans le cadre de négociations complexes, en particulier celles impliquant plusieurs parties. C'est une évidence, mais il est rare d'entendre un leader politique admettre que cette capacité d'influence (vendre ses idées) est l'un des piliers d'une ascension politique réussie.

 

2. La clarté de vision comme levier d’influence

Blair compare le leadership à la conduite d’un bus : si vous savez exactement où vous allez, les critiques des passagers ne perturberont pas le trajet. En revanche, si vous vous arrêtez pour débattre de la destination, vous risquez de ne jamais repartir.

Cette métaphore souligne l’importance d’une vision claire pour influencer et mobiliser. Pourtant, beaucoup de leaders – et de négociateurs - négligent cette étape essentielle. Ils se focalisent presque exclusivement sur les objectifs de l’autre partie, au point d’oublier leurs propres priorités. Cela peut entraîner frustration et insatisfaction.

Prenez le temps de clarifier vos propres attentes en vous posant la question : « Je serai satisfait si… ». Ce processus introspectif permet d’identifier vos besoins réels et d’éviter de poursuivre des objectifs superficiels ou mal définis.

 

3. L’importance de l’entourage et des relations

Blair insiste sur l’importance de s’entourer de collaborateurs compétents et capables de le challenger. Selon lui, les grands leaders recherchent des équipes qui n’hésitent pas à remettre en question leurs idées et un bon dirigeant doit s’entourer de personnes plus intelligentes que lui pour prendre de meilleures décisions.

En négociation, cette approche est tout aussi pertinente. S’entourer d’experts capables d’apporter des perspectives critiques peut faire toute la différence. Mais cela exige un effort : il faut savoir mettre son ego de côté et accepter la critique constructive.

William Ury, co-auteur de Getting to Yes, insiste sur ce point dans son dernier ouvrage Possible. Il explique que dans une négociation, votre principal obstacle n’est pas l’autre partie, mais vous-même : vos biais, vos peurs, et votre manque de recul. Travailler avec une équipe peut vous aider à rééquilibrer votre jugement et à prendre des décisions plus appropriées.

 

4. Adaptabilité et apprentissage continu

Blair met en garde contre le danger de rester figé dans ses idées initiales, même lorsque de nouvelles informations émergent. Cette rigidité est, selon lui, souvent à l’origine des plus grandes erreurs en matière de prise de décision.

En négociation, l’adaptabilité est tout aussi essentielle. Bien que la préparation soit cruciale, il est indispensable d’être prêt à remettre en question ses hypothèses une fois la négociation entamée.

Michael Wheeler , dans The Art of Negotiation, évoque d’ailleurs la nécessité pour les négociateurs de ne pas hésiter à mettre en œuvre des mécanismes d’improvisation ou d’agilité pour ajuster leurs stratégies en temps réel. A la manière des entrepreneurs qui, malgré des études de marché solides et des business plans irréprochables doivent savoir pivoter lorsqu’ils sont confrontés au réel.

 

5. Garantir l’exécution : l’exemple de la “Delivery Unit”

Tony Blair revient également sur la fameuse "Delivery Unit", qu’il a créée pour s’assurer que les priorités clés de son gouvernement soient réellement mises en œuvre. Il s’agissait d’un mécanisme inspiré du secteur privé pour prioriser et suivre les progrès sur quelques objectifs clés. Ce monitoring visait à garantir que les promesses soient tenues.

Selon Blair, la réussite d’un leader doit en effet être mesurée par sa capacité à tenir ses engagements, et non uniquement à les annoncer. Il souligne que dans l'opposition, l'accent est mis sur la communication (le "dire"), tandis qu'au gouvernement, l'essentiel repose sur l'exécution (le "faire").

En matière de négociation, se focaliser sur la faisabilité et l’implémentation d’un accord est également un principe crucial.

Il est en effet primordial de se focaliser sur la faisabilité du deal et d’éviter des accords théoriques. Un accord n’a de valeur que s’il peut être mis en œuvre. Une négociation réussie doit donc intégrer dès le départ des considérations pratiques :

  • Les ressources nécessaires : Existe-t-il des moyens financiers, humains ou logistiques pour réaliser l’accord ?
  • Les contraintes : Quels obstacles réglementaires, culturels ou techniques pourraient empêcher sa mise en œuvre ?
  • Les parties prenantes : Sont-elles prêtes à soutenir l’accord et à contribuer à son exécution ? Ou représentent elles un risque de blocage ?

 

Pour revenir à Tony Blair, l’accord de paix en Irlande du Nord, (« Good Friday Agreement - 1998»), est un exemple d’accord où les parties ont pris soin de garantir sa faisabilité par des engagements spécifiques et une feuille de route détaillée.

En résumé, la faisabilité et l’implémentation doivent être au cœur de toute négociation. Un accord, aussi prometteur soit-il sur le papier, devient inutile s’il ne peut être réalisé. Comme le résument Ury & Fisher dans Getting to Yes : "Un bon accord n’est pas seulement un accord que vous voulez, mais un accord que vous pouvez faire vivre."

 

6. La communication efficace : un outil d’influence incontournable

Enfin, Blair insiste sur l’importance de construire un récit clair pour expliquer ses décisions, même lorsque celles-ci sont impopulaires. Une communication transparente est essentielle pour gagner la confiance des parties prenantes.

Il ne s’agit pas d’être un expert en art oratoire, mais en négociation, le pouvoir des mots est tout aussi crucial. Une explication floue ou confuse peut susciter la méfiance, voire le rejet, tandis qu’un message simple, soutenu par des faits tangibles, favorise l’adhésion.

Prenons l’annonce d’un "léger aménagement tarifaire afin de mieux coller aux pratiques du marché.." par un fournisseur. Derrière ces mots, il peut s’agir d’une augmentation de prix aussi brutale qu’inexpliquée. Pour qu’une telle décision soit acceptée, il faut élaborer un récit clair et justifier cette décision de manière compréhensible, intelligible et bien sûr, honnête. En matière de communication, la confusion et le manque de clarté sont souvent à l’origine de la suspicion.

 

Bien que Tony Blair s’adresse principalement aux leaders politiques dans On Leadership, ses réflexions transcendent la sphère politique. Ses leçons sur l’influence, la clarté de vision, l’adaptabilité et la communication trouvent un écho puissant dans le domaine de la négociation.

À méditer...

#leadership #influence #negociation #politique

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