Michel Barnier et l’art de la négociation: 4 clés pour réussir
Cet article a initialement été publié sur le site de Forbes France
Alors que Michel Barnier vient d’être nommé Premier Ministre de la France, tous les observateurs s’empressent de dresser le portrait de cet homme politique aguerri et de ses accomplissements. Il a été député, ministre, commissaire européen. Cependant, ce qui l’a vraiment distingué, c’est son rôle mémorable dans les négociations du Brexit. Nul doute que son identité de négociateur en chef pour l’Union européenne lui a permis de sortir du lot et d’ancrer son personal branding de façon durable.
Et il en aura bien besoin ! Ses qualités de fin négociateur et de diplomate chevronné seront cruciales dans son nouveau rôle de chef de gouvernement.
Que vous soyez une entreprise négociant avec un client ou un fournisseur, un syndicat en quête d’un accord, ou encore un parti politique tentant de trouver un terrain d’entente, l’expérience de ce négociateur tenace et déterminé est une source d’inspiration pour tous ceux qui doivent naviguer dans les méandres de discussions complexes.
Cartographier les parties prenantes
Dans une négociation, les acteurs ne se résument pas à ceux qui se trouvent autour de la table. Le négociateur, en général, agit dans le cadre d’un mandat avec des objectifs précis et des lignes rouges à ne pas franchir. Les négociations du Brexit offrent une leçon précieuse, car l’Europe est composée d’une multitude de cercles de pouvoir et d’influence. Bien que Michel Barnier fût le négociateur en chef, il devait régulièrement rendre des comptes aux 27 États membres, au Parlement européen, à la Commission, ainsi qu’aux acteurs économiques et aux syndicats. Comme l’a très justement observé Paul Fisher, directeur du Programme de négociation à l’Université d’Oxford, Barnier a su dresser une cartographie exhaustive des parties prenantes, incluant celles qui avaient un intérêt direct ou indirect dans les discussions.
Dans le monde de l’entreprise, cet aspect est souvent négligé. Trop d’organisations limitent leur interaction à des échanges superficiels avec les principaux interlocuteurs, ignorant ainsi les forces plus subtiles qui influencent la dynamique de négociation.
La gestion du temps
Quand on parle du temps dans une négociation, la plupart des gens pensent aux «deadlines» : serons nous dans les temps pour finaliser les discussions ? L’accord sera-t-il signé à la date prévue ? Ces questions sont légitimes, mais elles masquent un autre aspect essentiel du temps : l’amont. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, une négociation ne commence pas lorsque les discussions débutent. Elle démarre bien en amont, notamment lorsque le négociateur s’assure du soutien des parties prenantes.
Encore une fois, Barnier n’a cessé de rencontrer, bien avant les discussions officielles avec le Royaume-Uni, chacun des responsables des 27 États membres, le Parlement européen, et d’autres acteurs clés. Il leur a exposé sa stratégie avec une transparence exemplaire voire obsessionnelle. Ce fut un avantage distinctif par rapport à ses interlocuteurs, car comme le souligne Paul Fisher, la « diplomatie de dernière minute » n’a que peu de chances de donner des résultats équivalents à une préparation de longue haleine.
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Parler d’une seule voix
L’un des objectifs clés de Barnier, avant même d’entamer les négociations, était de garantir que toutes les parties prenantes de l’UE s’exprimeraient d’une seule voix. Dans son ouvrage La Grande Illusion, Journal Secret du Brexit, il exprime sa satisfaction de voir que tous les acteurs, qu’ils soient directs ou indirects, ont reconnu l’importance de maintenir un alignement parfait.
Cet aspect a, selon moi, joué un rôle déterminant dans la conclusion de l’accord, et ce pour deux raisons. Premièrement, cette coalition européenne a montré une solidité proactive, contrairement à Theresa May, qui, confrontée à un contexte différent, devait soumettre chaque avancée à son Parlement, sans être assurée de son soutien. Deuxièmement, Barnier n’a pas simplement obtenu un accord initial, il a continuellement nourri ce partenariat moral en jouant la carte de la transparence. Pendant quatre ans, comme il l’explique dans le podcast de Jennifer Williams, Foreign Policy – The Negotiators, il a régulièrement rencontré les chefs d’État, de gouvernement, et autres acteurs clés, garantissant ainsi que son mandat ne se rapprochait pas dangereusement de sa date d’expiration.
Respect, confiance et collaboration
Interrogé sur son état d’esprit, Michel Barnier n’a cessé de répéter – presque comme un mantra – qu’il a toujours eu le plus grand respect pour les Britanniques. Ce respect est une clé essentielle dans toute négociation.
Trop souvent, les négociateurs se laissent emporter par leurs émotions, ce qui perturbe inévitablement le déroulement des discussions. Dans son livre Possible, William Ury soutient d’ailleurs que « le plus grand obstacle dans une négociation, c’est vous-même ».
Michel Barnier a toujours su tempérer ses réactions et maîtriser ses émotions, une approche essentielle face à des interlocuteurs parfois aussi provocateurs que Nigel Farage (fondateur du parti pro-Brexit UKIP et Eurosceptique avéré), qui n’a pas hésité à qualifier l’Union européenne de « mafia » et ses membres de «gangsters ».
Le respect est une condition sine qua non à toute discussion constructive. Et bien qu’il soit parfois difficile à conserver, il est indispensable pour avancer. La confiance, elle aussi, est capitale. Lorsque Boris Johnson a tenté de revenir sur l’accord déjà acté concernant l’Irlande, Barnier a reconnu avoir perdu toute confiance en son homologue à ce moment précis. Car si une partie peut revenir sur ses engagements d’hier, que fera t-elle demain ?
Enfin, chaque négociateur sait qu’il existe deux approches : compétitive ou collaborative. Barnier a toujours privilégié la collaboration. Sa mission, comme il l’a souvent affirmé, n’était pas de négocier contre, mais avec ses interlocuteurs, dans le but de résoudre les désaccords ensemble. Malgré les difficultés rencontrées avec Theresa May, il existait entre eux une volonté commune de s’attaquer rationnellement aux problèmes à résoudre, contrairement à l’équipe de Boris Johnson, davantage guidée par « l’idéologie et la rhétorique », comme il l’affirme dans le podcast The Negotiators.
Selon Barnier, cette négociation a été avant tout une école de la patience. Mais il en retire aussi une leçon essentielle : il est possible d’obtenir un accord tout en respectant profondément l’autre partie et ses divergences. Deux enseignements précieux qui lui seront sans doute utiles dans ses nouvelles fonctions, et qui devraient l’être pour tout négociateur.