BEA obligatoire sur le domaine privé : jurisprudence imprévisible, sécurité juridique impossible !
Acte 1 : en juin 2023 (Cass. 3e civ., 15 juin 2023, n° 21-22.816), la troisième chambre civile de la Cour de cassation a requalifié autoritairement un bail emphytéotique du Code rural, conclu par une commune pour permettre au preneur d’exploiter une centrale hydroélectrique, en BEA, au motif que ce dernier portait sur « la réalisation d’une opération d’intérêt général relevant de [la] compétence » du bailleur public (CGCT, art. L. 1311-2). Publiée au Bulletin, la décision écorne la liberté contractuelle dont semblaient jusqu’alors pouvoir se prévaloir les propriétaires publics sur leur domaine privé (la loi accréditant cette interprétation puisque l’article L. 1311-2 précité dispose qu’« un bien immobilier appartenant à [une personne publique locale] peut faire l’objet » – et non « doit faire l’objet » – d’un BEA). Le tribunal administratif d’Orléans a confirmé cette solution (TA Orélans, 18 janvier 2024, n° 2100113).
Acte 2 : le Tribunal des conflits a adopté une analyse différente de l'intérêt général en considérant, ici encore au sujet de l’exploitation d’une centrale hydroélectrique, que « l’activité de production d’électricité exercée, dans le seul but de la céder à Électricité de France, par la société ne peut [...] être regardée, en l’espèce, comme poursuivant un but d’intérêt général » (T. confl., 9 oct. 2023, n° C4284).
Acte 3 : la cour d’appel de Chambéry a étendu le champ d'application du BEA obligatoire à l’activité de logement social. Appliquant la solution dégagée par sa juridiction suprême, le juge a requalifié (d’office, le moyen n'ayant pas été soulevé) en BEA un bail emphytéotique du Code rural conclu entre un EPCI et une SEM HLM, destiné à permettre la construction de logements sociaux (CA Chambéry, 7 déc. 2023, n° 21/01380).
Acte 4 : la Cour administrative d'appel de Marseille a refusé de requalifié en BEA un « bail de longue durée » conclu par une commune pour permettre à son preneur d'exploiter une microcentrale hydroélectrique (rejetant ainsi l'application de la jurisprudence de la Cour de cassation), contre l'avis de son rapporteur public qui estimait que ce bail innommé pourrait être requalifié en BEA mais préconisait, face à l’incertitude juridique ambiante, de renvoyer l’affaire au Tribunal des conflits.
Comment déterminer la nature juridique du bail à conclure sur le domaine privé ? Applicable au bail emphytéotique du Code rural, cette jurisprudence est-elle susceptible de s'étendre au bail à construction ? L'état (imprévisible) de la jurisprudence rend la tâche du notaire (et des autres professionnels du droit) extrêmement difficile, si ce n’est tout bonnement impossible.
Retrouvez mon analyse (en 6 actes !) – ainsi que les perspectives (jurisprudentielles et législatives) que je propose pour sortir de l'ornière – dans le dernier numéro de la Semaine juridique Notariale et immobilière (JCP N, 2024. act. 1216).
Adjointe administrative principale
5 moisIntéressant !