écologie scientifique vs écologie utopique
En réaction à un post d’un ami de trente ans, ému par un article sur la dégradation de notre environnement en raison de l’activité humaine, article d’un rare pessimisme et en même temps excessif et utopique quant aux causes comme aux effets et solutions possibles, il me fallait recadrer un peu ces idées pour que triomphe le bon sens plutôt que l’utopie et un certain anachronisme.
Dis-moi cher xxx (en m’adressant à lui dont je tairai le nom), tu aurais aimé te voir attribuer le maroquin de la « transition écologique » ? De beaux textes comme celui-ci, il y en tant ! Et eux aussi polluent, en gâchant du papier donc en massacrant des arbres, en augmentant la consommation énergétique lorsqu’ils sont diffusés par voie électronique. C’est vrai, la petite planète bleue est malade. Mais il faut être pragmatique et réaliste : elle ne guérira qu’à la condition impérative que TOUS les pays du monde, TOUS les citoyens du monde, se liguent pour cette noble cause qui relève de l’écologie scientifique, par opposition à l’écologie politique qui, elle, nous pollue et nourrit d’autres ambitions.
As-tu récemment mis les pieds dans une grande ou moyenne surface ? Si oui tu auras pu constater que tous les produits d’hygiène et de soin de la personne sont conditionnés dans des emballages en plastique.
Ce sont, chaque seconde, des millions de tonnes de matières premières (qui se raréfient) qui sont gâchées, ce sont des millions de kWh d’énergie pour les produire qui auraient pu servir à autre chose ou être économisés, quant au contenu de ces produits dont la formule figure sur les emballages, ce sont des millions de tonnes, chaque seconde, de carbures cycliques, d’agents allergènes voire plus dangereux pour la santé, ce sont millions de tonnes de colorants, conservateurs, fragrances de synthèse, produits reconnus agressifs pour nos glandes ou notre système lymphatique qui sont également gâchés, qui auront comme exutoires nos canalisations puis seront rejetés dans le milieu naturel parce qu’on ne sait ni les traiter, ni les recycler.
De plus, ces contenants comme ces contenus - que l’on nous vend comme « bio » - ont fait l’objet de circuits longs et complexes sur le plan logistique, utilisant la route, le rail, l’air ou la mer pour parvenir jusqu’aux points de vente avant que nous-mêmes nous leur imposions un « dernier voyage » qui aggrave, certes marginalement, l’importante pollution déjà produite et qui est sans commune mesure avec l’impact carbone dont on nous rabat les oreilles.
Même le savon de Marseille n’est plus ce savon simple et presque naturel qui a fait sa réputation mondiale.
En formulant ces produits différemment, en les conditionnant avec des matériaux recyclables à l’instar du verre, de l’aluminium ou de l’acier, nous commencerions déjà à créer les conditions d’un début de troisième révolution. Ce me semble plus urgent que le crottin, que le retour à des pratiques d’une ère révolue.
Mais pour cela il faut un engagement collectif, des nations et des femmes et des hommes à l’échelle du globe. Nous en sommes encore loin semble-t-il, hélas ! Alors commençons par ce qui saute aux yeux et qui peut être changé, rapidement, par notre comportement en termes de consommation et d’usages et s’il le faut par voie de droit.
Rêver c’est bien. Agir c’est mieux ...
Mon ami de plus de trente ans a reproduit un texte de Fred Vargas :
« Je dédie ce post à mes enfants et à tous les enfants de la terre
Puissent-ils avoir la clairvoyance et le courage que nous n'avons pas eus (et je ne leur demande pas de nous pardonner).
Nous y voilà, nous y sommes. Depuis cinquante ans que cette tourmente menace dans les hauts-fourneaux de l'incurie de l'humanité, nous y sommes.
Dans le mur, au bord du gouffre, comme seul l'homme sait le faire avec brio, qui ne perçoit la réalité que lorsqu'elle lui fait mal. Telle notre bonne vieille cigale à qui nous prêtons nos qualités d'insouciance.
Nous avons chanté, dansé.
Quand je dis « nous », entendons un quart de l'humanité tandis que le reste était à la peine.
Nous avons construit la vie meilleure, nous avons jeté nos pesticides à l'eau, nos fumées dans l'air, nous avons conduit trois voitures, nous avons vidé les mines, nous avons mangé des fraises du bout monde, nous avons voyagé en tous sens, nous avons éclairé les nuits, nous avons chaussé des tennis qui clignotent quand on marche, nous avons grossi, nous avons mouillé le désert, acidifié la pluie, créé des clones, franchement on peut dire qu'on s'est bien amusés.
On a réussi des trucs carrément épatants, très difficiles, comme faire fondre la banquise, glisser des bestioles génétiquement modifiées sous la terre, déplacer le Gulf Stream, détruire un tiers des espèces vivantes, faire péter l'atome, enfoncer des déchets radioactifs dans le sol, ni vu ni connu.
Franchement on s'est marrés.
Franchement on a bien profité.
Et on aimerait bien continuer, tant il va de soi qu'il est plus rigolo de sauter dans un avion avec des tennis lumineuses que de biner des pommes de terre.
Certes.
Mais nous y sommes.
A la Troisième Révolution.
Qui a ceci de très différent des deux premières (la Révolution néolithique et la Révolution industrielle, pour mémoire) qu'on ne l'a pas choisie.
« On est obligés de la faire, la Troisième Révolution ? » demanderont quelques esprits réticents et chagrins.
Oui.
On n'a pas le choix, elle a déjà commencé, elle ne nous a pas demandé notre avis.
C'est la mère Nature qui l'a décidé, après nous avoir aimablement laissés jouer avec elle depuis des décennies.
La mère Nature, épuisée, souillée, exsangue, nous ferme les robinets.
De pétrole, de gaz, d'uranium, d'air, d'eau.
Son ultimatum est clair et sans pitié :
Sauvez-moi, ou crevez avec moi (à l'exception des fourmis et des araignées qui nous survivront, car très résistantes, et d'ailleurs peu portées sur la danse).
Sauvez-moi, ou crevez avec moi.
Evidemment, dit comme ça, on comprend qu'on n'a pas le choix, on s'exécute illico et, même, si on a le temps, on s'excuse, affolés et honteux.
D'aucuns, un brin rêveurs, tentent d'obtenir un délai, de s'amuser encore avec la croissance.
Peine perdue.
Il y a du boulot, plus que l'humanité n'en eut jamais.
Nettoyer le ciel, laver l'eau, décrasser la terre, abandonner sa voiture, figer le nucléaire, ramasser les ours blancs, éteindre en partant, veiller à la paix, contenir l'avidité, trouver des fraises à côté de chez soi, ne pas sortir la nuit pour les cueillir toutes, en laisser au voisin, relancer la marine à voile, laisser le charbon là où il est, (attention, ne nous laissons pas tenter, laissons ce charbon tranquille) récupérer le crottin, pisser dans les champs (pour le phosphore, on n'en a plus, on a tout pris dans les mines, on s'est quand même bien marrés).
S'efforcer. Réfléchir, même.
Et, sans vouloir offenser avec un terme tombé en désuétude, être solidaire.
Avec le voisin, avec l'Europe, avec le monde.
Colossal programme que celui de la Troisième Révolution.
Pas d'échappatoire, allons-y.
Encore qu'il faut noter que récupérer du crottin, et tous ceux qui l'ont fait le savent, est une activité foncièrement satisfaisante.
Qui n'empêche en rien de danser le soir venu, ce n'est pas incompatible.
A condition que la paix soit là, à condition que nous contenions le retour de la barbarie, une autre des grandes spécialités de l'homme, sa plus aboutie peut être.
A ce prix, nous réussirons la Troisième révolution.
A ce prix nous danserons, autrement sans doute, mais nous danserons encore."
Fred Vargas
Archéologue et écrivaine