Émotion et musique
Plusieurs études d’imagerie cérébrale fonctionnelle ont mesuré les activations produites dans différentes parties du cerveau lors de l’écoute de la musique, en particulier, lors de l’écoute des musiques préférées. Les chercheurs ont observé que les stimuli musicaux entraînent de nombreuses modifications de l’activité cérébrale dans les régions impliquées dans les émotions et le circuit de la récompense. Ils génèrent également de nombreuses réactions physiologiques.
Des réponses cérébrales multiples
Le stimulus musical est complexe et véhicule de nombreuses informations. Si l’entrée du stimulus dans notre cerveau implique nécessairement les aires temporales auditives, le stimulus génère par la suite des modifications de l’activité neuronale dans un vaste réseau cortical et sous-cortical. Les éventuelles paroles activent bien entendu les aires de la compréhension du langage. Les différents paramètres musicaux que sont la tonalité, le rythme, le tempo, la pulsation et le timbre, avec ses différentes composantes de plénitude et de brillance, génèrent chacun des augmentations ou des réductions d’activités dans différentes régions cérébrales, avec de possibles différences inter-hémisphériques, ainsi que dans le cervelet. Le cortex entorhinal et l’hippocampe sont également sollicités et permettent l’encodage en mémoire des informations perçues. Enfin, les régions impliquées dans les traitements émotionnels et le circuit de la récompense sont sollicitées.
Des réactions physiologiques
De façon étonnante, plusieurs paramètres physiques de la musique peuvent agir sur nos paramètres physiologiques et notre comportement. Une musique au rythme et tempo endiablés peut augmenter notre fréquence cardiaque et respiratoire. Elle peut aussi générer en nous une irrépressible envie de bouger…
Alors que le stress initie toute une série d’étapes menant à la libération de cortisol par les glandes surrénales pour nous préparer à agir -- activation de l’amygdale, stimulation de l’hypothalamus, activation de l’hypophyse, sécrétion d’ACTH (hormone adrénocorticotrope), stimulation des glandes surrénales -- la musique a le pouvoir d’inhiber cette chaîne de processus. En effet, une musique apaisante aura comme conséquence, après l’activation du cortex auditif, de réduire l’activation de l’amygdale et d’inhiber la chaîne de libération du cortisol.
Une musique ou un passage musical particulièrement apprécié peut aussi provoquer la « chair de poule » ou des frissons. Parmi les réactions physiologiques à la musique, la présence de frissons est probablement celle qui a été la plus étudiée.
Le frisson musical
La musique provoque une libération de dopamine et génère des messages nerveux au corps entier, dont aux minuscules muscles attachés aux poils, ce qui provoque des frissons. Il a été montré que la concentration de dopamine dans le circuit de la récompense de participants écoutant une musique leur donnant des frissons était plus importante que dans le cas de l’écoute d’une musique neutre. Il a été observé de surcroît que le cerveau semble capable de distinguer l’émotion provenant de l’anticipation d’un passage musical générateur de frissons de l’émotion ressentie consécutivement à l’écoute effective de ce passage. En effet, le changement de concentration de dopamine n’apparaîtrait pas dans les mêmes aires cérébrales avant et au cours du pic émotionnel lié à l’écoute du passage.
Les raisons de cet effet de la musique sur le cerveau et le corps reste une énigme pour les chercheurs. De tels effets sur les circuits neuronaux impliqués dans les émotions et le circuit de la récompense et provoquant la libération de dopamine sont en principe déclenchés par des stimuli biologiquement importants dont dépend la survie de notre espèce. Il s’agit en particulier de stimuli érotiques ou de nourriture. Le paradoxe est que la musique, qui ne semble pas représenter un stimulus vital pour notre espèce, déclenche ces mêmes réponses neuronales et physiologiques.
Aujourd’hui, cette énigme reste totale. Selon certains auteurs, la musique ne ferait qu’exploiter des circuits et mécanismes neuronaux mis en place pour d’autres raisons au cours de l’évolution. En d’autres termes, les réactions qu’elle provoque ne seraient qu’un accident de l’évolution et l’espèce humaine ne serait nullement mise en danger si, d’un jour à l’autre, toute musique venait à disparaître.
Lorsqu’on anticipe l’arrivée imminente d’un passage d’une musique qu’on adore et qui nous procurera des frissons, le cerveau libère donc de la dopamine. Anticiper l’avenir représente bien entendu une capacité primordiale d'un point de vue évolutif. Le mécanisme en place dans le cadre de l’écoute de la musique pourrait donc s’être greffé sur une fonction ancestrale de notre cerveau consistant à placer notre corps dans un profil d’action approprié au comportement à tenir vis-à-vis d’un stimulus à venir, biologiquement important et vecteur de plaisir.
Une hypothèse alternative est que la musique aurait pu jouer un rôle majeur dans la reproduction avant l’apparition du langage articulé. Elle aurait donc occupé un rôle biologique important lors de l’évolution, à l’instar des stimuli érotiques et de la nourriture, et ce, chez tous les êtres humains, quelle que soit leur culture. Notre cerveau garderait donc aujourd’hui des traces de ce rôle ancestral.
L’importance de la surprise harmonique
Si la musique est un stimulus particulier susceptible d’activer les régions cérébrales impliquées dans les émotions et le circuit de la récompense, toutes les musiques ne produisent pas le même effet chez tous les individus et les frissons musicaux apparaissent souvent à des moments particuliers d’une musique que nous apprécions ou qui nous touche.
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Certains chercheurs ont proposé que la surprise harmonique était à la base de ces effets. La surprise harmonique correspond à un changement d’accord non conventionnel ou non habituel ; un changement qui représente une surprise, en quelque sorte. Cette surprise entraînerait la libération de dopamine et produirait une sensation de plaisir, ainsi que l’envie de réécouter cette même musique. Le problème avec cette hypothèse est que nous nous habituons aux musiques que nous écoutons et que la surprise devrait ainsi diminuer avec le temps, obligeant ainsi les artistes à innover constamment.
Si cette hypothèse semble intéressante, elle ne peut pas tout expliquer. Pourquoi, par exemple, des musiques que nous écoutons depuis des années, voire des décennies, nous touchent toujours autant, en l’absence pourtant de toute surprise harmonique ?
Des différences liées à l’âge et des différences de goût personnel
Il existerait plusieurs centaines de genres ou styles musicaux dans le monde. Pour des raisons complexes, probablement liées à l’univers musical dans lequel nous avons grandi et aux styles musicaux préférés de notre groupe social d’appartenance, certains genres musicaux nous touchent et suscitent des émotions plaisantes, alors que d’autres nous laissent indifférents, et d’autres encore nous font fuir
Il a été montré que ce que nous avons écouté au cours de l’enfance ou de l’adolescence a bien façonné nos préférences et nos goûts musicaux adultes. Il existerait un pic au cours du développement lors duquel une sensibilité exacerbée à la musique s’est manifestée. Ainsi, les musiques les plus entendues à l’époque de ce pic ont profondément influencé nos préférences musicales adultes. Il est intéressant de constater que ce pic apparaîtrait vers 13 ans chez les filles et vers 14 ans chez les garçons. Allez donc rechercher les tubes des hit-parades de l’année correspondant à vos 13 ou 14 ans… vous serez peut-être surpris(es) de découvrir les musiques qui vous auront marqué(e)s pour votre vie entière.
L’importance du vécu personnel associé à une musique
En dehors de cette influence d’un pic de sensibilité à un âge donné, d’autres critères sont évidemment à prendre en compte dans nos préférences musicales. Notre mémoire possède cette spécificité de fonctionner sous la forme de l’élaboration et du stockage d’associations entre un stimulus et les stimuli constitutifs du contexte au moment de l’encodage. Ainsi, si une musique dont on a gardé la trace en mémoire a été associée à un stimulus émotionnel particulier par le passé, la seule écoute de la musique réactivera le stimulus et l’émotion associée. Il va de soi que ce principe est générateur de différences individuelles importantes et que nous ne ressentirons pas tous les mêmes émotions lors de l’écoute des mêmes musiques. C’est la raison pour laquelle les chercheurs utilisent souvent dans leurs expériences les stimuli musicaux préférés des participants aux expériences, ces stimuli faisant office de stimuli contrôles pour les autres participants.
Des différences de sensibilité individuelle
Si la surprise harmonique ou encore les éléments personnels associés à la musique sont générateurs d’émotions et de frissons, il existerait également des différences individuelles dans notre capacité à ressentir des frissons et des émotions à l’écoute d’une musique. Les personnes ressentant des frissons posséderaient également une capacité supérieure à ressentir les émotions de façon intense dans le cas de l’écoute d’une de leurs musiques préférées. Cette capacité semblerait dépendre du câblage neuronal de notre cerveau. En comparant des individus ressentant facilement des frissons à des individus n'en ressentant pas, il a été montré que les connexions neuronales entre les aires du cortex auditif et des aires impliquées dans les émotions (p.ex., cortex frontal médian et insula) étaient plus développées chez les participants ressentant des frissons et de fortes émotions.
Une vertu thérapeutique
L’émotion procurée par une musique qu’on apprécie pourrait être aussi efficace que des médicaments contre la douleur. Il a été observé que l’écoute d’une musique que l’on apprécie réduit significativement l’impression de douleur produite par l’application d’une sonde sur un bras, simulant la sensation de chaleur produite par le contact avec une tasse de boisson chaude. La musique préférée permet de réduire la sensation de douleur d’un point sur une échelle de 10, ce qui correspond à l’effet d’un médicament analgésique en vente libre.
D’autres études portant spécifiquement sur les frissons musicaux ont montré que la présence de frissons était associée à une intensité plus faible de la douleur perçue. Il a été proposé que les frissons pourraient exercer un effet physiologique particulier qui bloquerait les signaux de douleur ascendants. Cet effet s’additionnerait à l’effet plus central lié au fonctionnement du circuit de la récompense et des aires émotionnelles.
Pour conclure, la capacité de la musique à induire un plaisir intense et sa capacité à activer les aires émotionnelles et le circuit de la récompense suggère que bien que la musique ne soit pas indispensable à notre survie, elle peut être néanmoins d’un grand bénéfice pour notre bien-être mental et physique. Si vous souhaitez en savoir plus sur les liens entre musique et émotion, contactez-nous !
🚀 Créatrice de synergies durables - 🎶 Team Building musical - 🌟 Coaching personnel par le chant - Coaching d'équipe en ligne - Fondatrice de MuzikLAb - Ingénieur INSA
8 moisJe ne peux que cautionner le sujet de ce post 🎶🎶. Merci Olivier Koenig pour ce développement instructif 😊
Co-fondatrice de KeyEmotion Lab
8 moisUn morceau de musique entendu par le passé dans une situation agréable sur le plan émotionnel peut aujourd’hui réactiver cette émotion et le souvenir de cet évènement. Mais la musique en elle-même peut également favoriser l’encodage d’informations. Par exemple, on apprend mieux une liste de mots si les mots sont présentés sur un support mélodique. Est-ce que cet effet est en lien avec l’émotion ?