Émotion, musique et marketing
Des effets quotidiens et omniprésents
Les effets de la musique sur nos émotions et notre comportement sont quotidiens et omniprésents. Rares sont les lieux de vente qui ne recourent pas à la musique pour améliorer l’expérience de leurs clients. Il a été montré qu’un magasin sans ambiance musicale est généralement évalué de façon plus négative (froideur, tristesse, manque d’âme…) qu’un magasin avec ambiance musicale. Cette différence peut même impacter le chiffre d’affaires du magasin de plus de 20%.
Une musique agréable et familière exerce donc un effet positif sur la consommation. Elle rend le client détendu, renforce son sentiment de confiance et augmente le temps passé dans lieu de vente. Elle réduit aussi le sentiment de vulnérabilité du client lorsqu’il doit dépenser son argent. Toutefois, le temps passé dans le lieu de vente dépend de la familiarité de la musique, de son tempo et de son intensité sonore : si une musique est familière et appréciée, un tempo lent ou une intensité faible augmentent généralement le temps passé, une musique peu appréciée des clients, un tempo rapide ou une intensité élevée peuvent avoir un effet inverse.
En dehors des lieux de vente, la musique agrémente aussi notre quotidien dans les bureaux en open space, où elle augmente la productivité, et dans les parkings souterrains où elle réduit l’anxiété. En dehors de ses effets spécifiques, la musique permet aussi de recouvrir les bruits désagréables issus de l’environnement, que ce soit dans un lieu de vente, un bureau ou un parking. Par ailleurs, lors d’un appel téléphonique, l’attente semble moins longue en présence de musique. Enfin, la production de sons musicaux a même été utilisée dans le domaine du nudging. En effet, il a été possible d’inciter les utilisateurs d’un escalator à emprunter l’escalier adjacent en transformant les marches de l’escalier en un clavier de piano produisant un son au contact de chaque marche.
La musique comme vectrice de représentations
Une musique connue est associée à tout un ensemble de représentations en mémoire grâce aux liens construits entre la musique et les nombreux contextes dans lesquels nous l’avons entendue (lieux, personnes présentes, occasions…) et les émotions ressenties dans ces différentes situations. L’écoute de la musique peut donc réactiver ces représentations.
Mais une musique non connue peut également, par ses seules caractéristiques sonores, activer différentes représentations. Des études ont utilisé des paradigmes non verbaux dans lesquels les participants étaient invités à produire des dessins que leur suscitait l’écoute d’une même mélodie dont le timbre et le tempo variaient. Ces études ont montré que la mélodie jouée au violon avec un tempo lent était associée à un univers calme et majestueux, alors que la même mélodie jouée au piano était associée à une dimension aquatique. Au contraire, jouée à la flûte avec un tempo rapide, cette mélodie était associée à une ambiance dynamique et à l’univers de la santé.
Dans notre précédent article, nous avons vu que des éléments auditifs spécifiques, tels que le timbre, la hauteur et le rythme, engendrent différentes réponses cérébrales et peuvent contribuer de façon différenciée à l’émotion ressentie par l’auditeur. Des auteurs ont utilisé différents modèles théoriques des émotions, comme le modèle circumplex de l’affect, par exemple, pour tenter d’associer les émotions ressenties à différents paramètres musicaux. Dans ces modèles, différentes émotions discrètes sont représentées sur le pourtour d’un cercle, via deux dimensions variant selon des axes orthogonaux se croisant au centre du cercle, comme la valence et l’éveil (arousal), l’énergie et la tension, ou encore l’approche et l’évitement. Ces dimensions émotionnelles ont alors été mises en rapport avec des dimensions musicales. Par exemple, la valence a été mise en rapport avec l’harmonie et le timbre musical, alors que l’éveil a été mis en rapport avec le tempo, la dynamique et la fréquence du son. Cette approche aide les compositeurs et les concepteurs d’ambiance sonore à composer ou choisir les musiques les plus aptes à susciter telle ou telle émotion, selon la manipulation de certains paramètres musicaux.
Le transfert des représentations musicales aux marques et aux produits
L’encodage en mémoire fonctionne selon un principe de création d’associations entre différentes représentations stockées activées par les inputs perceptifs. Ainsi, lorsqu’une marque est perçue dans le cadre d’un contexte musical particulier, une association se crée entre la marque et la musique entendue. Dans ce cas, les représentations associées à la musique, y compris les représentations émotionnelles, peuvent être progressivement transférées à la marque ou au produit. La répétition de la présentation du couple marque-musique (ou produit-musique) renforce cette association qui se fait à la fois sur le plan explicite (i.e., conscient) et implicite (i.e., non conscient). Ce mécanisme est particulièrement bénéfique dans le cas où une musique connue et appréciée de la cible est associée à une marque ou un produit nouveau. Le caractère familier de la musique rassurera le consommateur en présence d’un élément nouveau (pour lequel il pourrait éprouver de la méfiance ou de la réserve) et l’agrément de la musique se transférera à cet élément.
Ce phénomène d’association a été étudié récemment (2023) par Shannon Bosshard et Peter Walla. Ces auteurs ont demandé à des participants d’évaluer 300 noms de marque, ce qui leur a permis de constituer une liste de marques neutres personnalisée pour chaque participant. La moitié des marques neutres ont alors été présentées aux participants accompagnées d’une musique agréable, l’autre moitié accompagnées d’une musique désagréable, et ceci au cours de plusieurs cycles de présentations répétées (1, 5 et 10 répétitions). Après chaque cycle de présentations, les participants devaient évaluer à nouveau les marques initialement perçues comme neutres. En plus de l’évaluation explicite des marques, l’activité électrique du cerveau des participants était mesurée pour chaque marque au moyen d’un dispositif EEG.
Un élément particulièrement intéressant des résultats de cette étude est que l’association de la musique à la marque a modifié la réponse cérébrale à la marque, alors que cet effet n’a pas pu être mis en évidence au moyen des évaluations explicites. Il est possible que les réponses explicites des participants aient été biaisées par les évaluations antérieures, même distantes, qui avaient été effectuées (les participants évitant de se contredire). Les réponses implicites obtenues via les mesures de l’activité cérébrale n’étaient toutefois pas sensibles à ce biais. Par ailleurs, l’étude a révélé que les changements d'attitude à l'égard des marques étaient plus sensibles aux effets de la musique désagréable qu’à ceux de la musique agréable.
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Cette étude confirme donc la présence d’un transfert de notre niveau d’agrément d’une musique à une marque et montre aussi l’importance de ne pas se limiter au recours à des tests explicites pour mesurer de tels phénomènes. Les procédures de mesures implicites peuvent également être déployées pour mesurer l'attirance pour les logos sonores, ainsi que le niveau de congruence entre une musique ou un logo sonore et les attributs d’une marque. Au même titre que la musique, des éléments auditifs spécifiques, tels que le timbre, le tempo le rythme et la fréquence du son, peuvent tous influencer la perception de la marque, et des procédures implicites peuvent être utilisées pour étudier ces effets.
La musique comme aide à la récupération en mémoire
Les associations créées à l’encodage entre une marque (ou un produit) et un élément sonore familier (musique ou logo) permettent une meilleure récupération ultérieure de la marque ou du produit. De façon générale, associer un élément nouveau à un élément connu déjà stocké en mémoire favorise la récupération de l’élément nouveau. Une fois l’association marque-musique formée en mémoire, la seule présence de la musique permet la récupération automatique de la marque lors de l’écoute de la musique.
De tels effets sont observés dans de nombreuses situations. Par exemple, on récupère plus facilement les paroles d’une chanson si on la chante. On apprend plus facilement et on retient mieux une liste de mots si les mots ont été appris sur un support mélodique. Le nom d’une station de radio apparaissant sous la forme d’un sigle est encodé et récupéré plus facilement s’il est présenté sous la forme d’un jingle.
La présence d’une musique aide également l’identification de la marque et renforce l’attribution d’une publicité à la marque. Ainsi, dès la première seconde d’un spot publicitaire, le consommateur-spectateur peut savoir qui lui parle, sur la seule base des premières notes d’une musique connue associée à la marque, et même dans le cadre d’une publicité nouvelle encore jamais vue. Ce principe est particulièrement utile dans le cas d’une saga composée de plusieurs fims diffusés au sein d’une campagne.
Des choix musicaux différents pour s’adresser à des cibles différentes
Pour une marque, une enseigne, un magasin, le choix de son identité sonore est primordial. Comme les préférences musicales et le volume sonore préféré sont susceptibles de varier avec l’âge et la cible, on ne proposera pas la même ambiance musicale dans un lieu de vente de baskets et dans une bijouterie de luxe.
Pour séduire un public jeune, dynamique, dans l’ère du temps et avide d’innovation, on pourra choisir une atmosphère de type discothèque, avec de la musique branchée au volume sonore relativement élevé, délivrée par une installation sonore aux basses bien présentes. Bien sûr, le choix de l’ambiance sonore se fera aussi selon le type de produit vendu et l’image que l’on souhaite voir associée à la marque.
Pour une cible d’un âge précis, si l’on veut recourir à des éléments connus et appréciés possédant une résonance émotionnelle particulière, on pourra recourir à des musiques qui ont marqué les individus de la cible alors qu’ils étaient âgés de 13 ou 14 ans (voir article précédent de KeyEmotion Lab ). Ainsi, si l’on veut toucher en 2024 une cible adulte de 55 ans, on pourra choisir des musiques faisant partie des hit-parades de 1983 (2024-55+14).
Afin de s’assurer des meilleurs choix, des tests explicites et implicites pourront être effectués en amont, avant une diffusion en grandeur nature, lors de laquelle les vérifications pourront se poursuivre.
Si vous souhaitez en savoir plus sur les thèmes abordés dans cet article, ou sur les mécanismes émotionnels en général, n’hésitez pas, contactez-nous !
Co-Founder Maia-BE | L'Agence du Comportement Client | Insights, Stratégie & Formation | Behavioral Sciences Expert
8 moisCharles Noirclerc un article pour toi 😊
Director at BEYOND REASON - Actionable Neuromarketing for World Class Brands
8 moisThe way we see it, EEG, fMRI, fNIRS are not procedures but observation tools. Our go-to obs. tool is a proprietary variant of IAT. More important is the intellectual framework in which we operate (and in which we reframe the client's challenges)
Director at BEYOND REASON - Actionable Neuromarketing for World Class Brands
8 moisalso, a global major in beauty & cosmetics is using the BEYOND REASON - Actionable Neuromarketing neuro-procedure to optimise the sound of opening of a lipstick tube, in order to increase value attribution 🍒
Director at BEYOND REASON - Actionable Neuromarketing for World Class Brands
8 moisAnne Louvegnez, Ph.D Olivier Koenig at BEYOND REASON - Actionable Neuromarketing we have used implicit measures (and implicit motivation theory) to help one of the world's biggest retail brands with their music. Specifically, the usage of music to optimise 1 shopper experience 2 brand fit 3 emotional resonance. Results in significant positive impact on in-store purchase decisons. ♠
Médecin Généraliste / Family Doctor / Drummer / BA110
8 moisPavle Marinkovic music, emotion & business